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LUS la passion est grande, plus en quelque sorte en ses débuts elle paraît devoir se contenter des infiniment petits. Les bribes de l’amour lui suffiront, du moins elle le pense! Un serrement de main, un regard, un mot banal pour tous et auquel elle attachera une portée, tout cela suffira à combler ses aspirations! Et notez qu’en pensant de la sorte la passion est comme la conscience, elle ne se ment pas à elle-même. Elle croit ce qu’elle dit, elle croit ce qu’elle pense. L’objet de toutes ses complaisances est alors tellement idéalisé, il l’absorbe d’une façon si complète qu’elle s’imagine que la vue seule de cet objet satisfera tous ses désirs. Le caprice, à son début, sollicite la possession absolue; la passion vraie et comme débordante ne songe qu’aux minces détails. Celle-ci commence par où l’autre finit. Toutefois ces modesties, ces réserves premières que l’amour violent semble s’imposer de lui-même sont l’espace d’un éclair. Ce sont des gouttes d’essence alcoolisée qui activent l’incendie. Vous aviez demandé un seul regard: spontanément, il faut que ce regard concentre tous ses rayons sur vous; il ne peut se distraire sous aucun prétexte; et, s’il lui arrivait cette faute irrémissible déjà, car l’incendie se propage avec une rapidité effrayante, il vous faudrait la main. Bientôt, il vous manque le baiser; le baiser du front a succédé au baiser de la main, il vous faut dans l’instant d’après le baiser des lèvres sur les lèvres:

Osculetur me osculo oris sui.

Ce travail aussi rapide qu’inconscient qui métamorphose les âpres et insatiables désirs, la première satisfaction donnée au cœur aimant, se fit en moi. Au lendemain du jour où j’avais forcé en y entrant la vie de cette femme, je la considérais absolument comme mienne; et quand je me trouvai le dimanche au nombre de ses hôtes, auprès de son mari, mon bonheur de la veille se changea immédiatement en souffrance. J’étais jaloux de cet homme qui était chez lui. Peu ne s’en fallait que je ne l’accusasse dans mon for intérieur de me voler mon bien. Le mari m’accueillit avec cette politesse tudesque qui vise à l’urbanité et qui n’est que le billon de la courtoisie. C’était le portrait du juif de Francfort, ce petit homme à l’œil de fouine, à la face ronde quelquefois rougeaude, aux lunettes équivoques, court, ramassé, en un mot le prototype du marchand de lorgnettes. Ces hommes-là, soit qu’ils vendent réellement des lorgnettes, soit qu’ils griffonnent des brochures et des livres, soit qu’ils fassent des affaires en s’affublant du titre de banquier, soit qu’ils aient maison montée et donnent des soirées, soit encore qu’ils aient une femme distinguée, tous ces hommes-là ont un but. La lorgnette, le livre, la banque, la femme même sont le prétexte et souvent le moyen. Tous ils se connaissent; à un moment donné, ils ne font qu’un. Je ne connus à fond M. Werner que plus tard; alors, je le regardai comme un homme bouffi de suffisance, buvant les hommages que l’on rendait à sa femme. Blanche pouvait être fidèle à un pareil homme; mais elle ne pouvait l’aimer. Sa nature fine devait être constamment en révolte avec cette enveloppe burlesque qui était le vêtement fatal d’une personnalité égoïste.

Mme Werner me fit les honneurs de sa table et me plaça à sa droite. Était-ce le hasard, était-ce avec intention, elle avait la même toilette qu’elle portait au bal du Casino, cette soirée pendant laquelle, au milieu de tous, je la possédai seul, vivant de son souffle et lui communiquant les effluves de mon brûlant amour. Je me grisai de ce détail, insignifiant s’il n’était que l’effet du hasard, je ravivai le passé et sans trop songer à l’état présent, je le rivai à l’avenir. J’avais peu de goût pour la conversation générale qui me distrayait de la pensée dans laquelle je me complaisais; je ne pus faire cependant sans y prendre part. M. Werner parlait d’une expérience de tir qui venait d’être faite au polygone de Vincennes; je citai à ce propos le nom d’un mien ami qui était officier d’ordonnance du général R…, auquel l’Empereur avait confié une étude de ce genre. A ce nom cité en passant, M. Werner me regarda par-dessus ses lunettes, et depuis ce moment-là il eut pendant le reste de la soirée une déférence extrême pour ma personne. Sans aucun doute, ma mince personne grandissait de quelques coudées par cette connaissance. Mon hôte avait, à n’en pas douter, un penchant pour les individus en vue. Je devais apprendre plus tard les motifs de cette considération subite en ma faveur! C’était ce qu’on pourrait appeler une considération par ricochet.


Moi et l'autre

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