Читать книгу Le Gastronome français, ou L'art de bien vivre - Charles-Louis Cadet de Gassicourt - Страница 17

Conclusion.

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NOUS n’avons en effet donné qu’un aperçu bien fugitif à ceux qui prétendraient qu’il ne nous reste rien à dire. Que serait-ce si, remontant à travers les âges de barbarie jusqu’à l’âge d’or, nous avions montré les profusions incroyables de nos ancêtres? Un Ariamnus, seigneur gaulois, traita pendant une année entière sur les grandes routes tous les voyageurs, toutes les armées que tentait sa magnificence. Des tables abondantes, dit Athénée, étaient servies le long des fossés et des haies; leur nombre et leur somptuosité sont à peine concevables. Le repas que César donna au peuple romain n’est qu’un dîner de famille en comparaison, quoiqu’il y eût cent mille convives, autant d’esclaves pour le service, et qu’on distribuât au dessert six cents sesterces par tête.

Que serait-ce si, commençant par la gourmandise d’Eve qui vendit sa postérité pour une pomme, Esaü qui vendit son droit d’aînesse pour un plat de lentilles; nous décrivions les premiers raffinemens de la cuisine bornée à traire les vaches, à pétrir le grain broyé, puis à assaisonner quelques légumes avec du sel ou du miel, grossiers précurseurs des épices et du sucre? Nous verrions la chasse satisfaire aux premiers désirs de la chair, dont la crudité réclama bientôt le feu épuratif La rareté du gibier fit sacrifier des victimes plus paisibles: le mouton, le bœuf et le cochon se métamorphosèrent en rôtis ou en bouillis; enfin les oiseaux, les poissons, les coquillages, tout y passa; et non content des productions animales et végétales, l’homme fouilla le sein de Cybèle pour tourner en substances alimentaires jusqu’aux minéraux.

Les Asiatiques, qui furent les premiers civilisés, furent les premiers qu’illustra la gourmandise. Les cuisiniers de Perse étaient autant recherchés que le sont les cuisiniers français dans l’univers gourmand. A la suite des Xercès et des Darius marchaient des légions d’officiers de bouche. Les Grecs, qui détruisirent un si bel ordre de choses, étaient alors les vrais barbares; et si le souverain de tant de cuisiniers eût eu plus de ressources dans l’imagination, quel parti son génie militaire n’eût-il pas tiré dans sa détresse de cinquante ou cent mille chefs, aides-cuisiniers, marmitons, écuyers-tranchans. proviseurs et maîtres-d’hôtels, tous armés de glaives affilés, et observant une discipline telle que jamais le roi de Macédoine n’en établit une pareille dans ses phalanges.

Du moins les Grecs reçurent-ils en ceci la loi des vaincus. En vain la sobriété spartiate lutta contre la gourmandise orientale; toute la Grèce eut des cuisiniers; et les Lacédémoniens, qui étaient les moines de ce temps-là , finirent, comme ceux du nôtre, par être les plus gourmands de toute la république, de l’empire ou du royaume.

Rome fit comme Athènes quand elle la subjugua; elle se soumit à ses cuisiniers, et renchérit même sur eux. Les Thimbron, les Actidès, les Philoxène pâlirent devant Apicius, Ésope et Lucullus.

Chacun de ces grands hommes mériterait un chapitre à part.

Alors, dit Tite-Live, la gourmandise, méprisée par nos idiots ancêtres, fut en honneur; et ce qui n’avait été qu’un vil métier devint une science qui se perfectionna encore par la suite . Ce fut en effet le premier pas que fit cette reine sauvage du monde vers la politesse des mœurs; et Rome, qui a perdu son empire, ses lois, son peuple même, a conservé ses cuisiniers habiles et ses tables somptueuses, tant il est vrai.... que...., etc.

C’est aux Romains qu’on doit l’usage de multiplier les services. Les tables se succédaient auparavant en ambigus. Philon en compta jusqu’à sept dans un repas. Ce sont eux aussi qui inventèrent les noms d’écuyers-tranchans, maîtres-d’hôtels, etc. Alors on savait encourager le mérite: un talent se payait quatre talens; c’est-à-dire 19,000 francs. On sait que Marc- Antoine paya d’une ville et de son territoire le repas que fit son cuisinier pour Cléopâtre .

La magnificence vraiment antique de Marc-Antoine n’approchait pourtant pas du luxe des rois d’Asie. Une province entière payait en tribut le gibier nécessaire à la table du grand roi; une autre fournissait le bœuf; une troisième le mouton. Celle dont le golfe Persique baignait les côtes, approvisionnait le garde-manger en poissons, et la plus fertile des satrapies contribuait pour le maïs, le blé ou le riz; de sorte que la table du prince offrait tous les jours la statistique complète de son empire, et il jugeait avec perspicacité de la prospérité de ses sujets par l’abondance de son dîner; méthode très-sûre, puisqu’elle est toujours en usage.

Les Hébreux, les Chinois, les Indiens, les Américains sauvages ou civilisés, les anciens et les modernes; et, parmi les Européens, Danois, Lapons, Anglais, Allemands, tous ont travaillé depuis des siècles à perfectionner l’art gastronomique, et nous ne désespérons pas de voir l’Histoire de la Cuisine s’allier partout au développement de la politique, des belles-lettres et de la civilisation; de voir enfin se réaliser l’espoir des philosophes et des savans de notre nation, qui appellent depuis long-temps et de tous leurs vœux une chaire de gastronomie au Collège de France et une classe de gourmandise à l’Institut.

G***.

Le Gastronome français, ou L'art de bien vivre

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