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Article Premier.

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Table des matières

LES lecteurs qui ne connaissent l’antiquité que dans les relations du moderne Anacharsis, savent, de reste, que les plus graves personnages et les plus sévères philosophes ont écrit avec détail, avec complaisance de cette gente gourmandise, que ses plus grands détracteurs choient à huis clos et cultivent avec ardeur, tout en l’invectivant avec hypocrisie.

Nous savons bien que le manteau des anciens ne nous préservera pas des traits de la critique. Nous ne nous piquons pas d’une érudition aussi sûre que celle de nos adversaires; et nous avons quelque chose de mieux à faire que de mâcher à vide; mais nous leur avouons sans détour que nous nous moquons de leurs sentences mal digérées.

Des délicats à face blême

Nous ne redoutons rien du tout;

Tant que nos mets auront bon goût,

Notre appétit sera le même.

De leurs malicieux propos

Il n’entrera dans nos oreilles

Pas plus... que d’eau dans nos bouteilles,

Ou que de sel dans leurs bons mots.

Au surplus, nous les avertissons qu’il y a pour leur vanité quelque danger à nous prendre en défaut; car ce serait nous donner la preuve que le sujet qui nous occupe est familier à ceux qui le dédaignent.

En tout cas, nous parlerons de cuisine avec Aristote, Platon, Théophraste, Hérodote, Athénée, Aristophane, gens très-respectés des savans critiques, pour être morts il y a plus de deux mille ans, mais qui mangèrent tant qu’ils vécurent. Des Grecs nous passerons aux Latins (de cuisine); et, quoique notre érudition se concentre dans cette délicieuse enceinte, nous avons fait assez de recherches pour convaincre les incrédules et encourager les faibles. La comparaison de nos repas à ceux des anciens peut faire naître quelque invention nouvelle, et ne dût-il résulter de nos travaux qu’une nouvelle sauce aux câpres, nous aurons atteint notre but, et bien mérité de l’humanité.

Les anciens, nos maîtres en tout genre, nos modèles dans les arts, dans l’histoire, dans la poésie, dans le gouvernement, n’ont pas omis de l’être aussi dans la cuisine, et l’on verrait, dans les fragmens perdus de plusieurs écrivains du temps, qu’il y eut plusieurs écoles ouvertes aux amateurs.

Il existait en Élide un savant cuisinier nommé Thimbron, qui voyagea par toute la terre dans la seule vue de perfectionner l’art de la cuisine. Je sais d’un savant bien informé, qu’il ouvrit à son retour une école publique, qui fut beaucoup plus fréquentée que ne l’avait jamais été celle de Pythagore, et que ne le fut ensuite celle d’Aristote. Sa philosophie consistant plus en actions qu’en paroles, est la seule qui ait conservé des disciples nombreux.

Tout le monde sait qu’Apicius fonda une académie de gourmands, et que l’académie apicienne, dont nous aurons plus d’une fois occasion de parler, fut continuée par les empereurs Vitellius Caligula, le magnifique Héliogabale ,

Et Géta qui mangeait par ordre alphabétique.

GASTR., ch. 1er.

Domitien alla même plus loin; et ne sachant plus que faire du sénat de Rome, il ne conçut pas de meilleur moyen de relever sa gloire que de le convoquer dans sa cuisine. Il y proposa la grande affaire dont Juvénal nous a conservé les détails. L’éloquence, animée par l’appétit, fit des merveilles; celui-ci fit taire enfin celle-là. Pressé d’aller dîner,

Le sénat mit aux voix cette affaire importante,

Et le turbot fut mis à la sauce piquante.

GASTR., ch. 1er.

Nous possédons assez de monumens pour faire revivre ce noble enthousiasme et ces utiles institutions. Nous serons les créateurs d’une science nouvelle, dont la nomenclature doit faire honneur aux professeurs; et, pour peu que nous y mêlions un peu de grec, nous espérons recevoir bientôt des docteurs en gourmandise. Nous le souhaitons pour le bien de nos semblables et la propagation des vérités utiles.

Que tous les gourmands de l’Europe sachent, pour la gloire de leur profession, que l’un des plus sages monarques de l’antiquité, celui qui fonda Thèbes,

Celui de qui nous vient cet art ingénieux

De peindre la parole et de parler aux yeux,

que Cadmus, l’aïeul de Bacchus, commença par être cuisinier du roi de Sidon, ce qui prouve que l’art du cuisinier marchait alors l’égal de celui du législateur.

Je propose aux gourmands d’adopter ce noble patron, dont l’origine se perd dans la nuit des temps héroïques. Je sais que la gourmandise est encore plus ancienne que lui, et naquit avec le monde; mais j’ai mes raisons pour choisir un Grec; c’est une autorité à opposer tour à tour aux petits-maîtres, aux érudits, aux tièdes et aux critiques.

Dirai-je Mithœcus, Actidès, Philoxène,

Hégémon de Thasos, et Timbron de Micène?

GASTR., ch. 1er.

Mithœcus publia en Grèce un livre, cité par Platon dans son dialogue de Gorgias, qui avait pour titre le Cuisinier Sicilien.

Numénius d’Héraclée, Hégémon de Thasos, Philoxène de Sicyone, dont parle Athénée, écrivirent sur la cuisine avec autant de gravité que le mérite un tel sujet.

Mais quoi! ce poëme de la Gastronomie, l’honneur de notre école, les délices de nos tables, ce poëme est donc aussi l’ouvrage d’un ancien? Il est trop vrai, pour la gloire de M. Berchoux, qu’un habitant de la ville de Minerve, nommé Archestrate, composa une Gastronomie vingt siècles avant M. Berchoux. Cet Archestrate, cher aux gourmands, était l’ami du fils de Périclès, qui sans doute était aussi un gourmand. L’auteur moderne a vraisemblablement trouvé son manuscrit dans quelque ruine antique; il a beau nous dire, avec un air de bonne foi, qu’il regrette de ne pas le connaître; je soutiens que ce poëme moderne est un vol fait à l’antiquité ; et, bien qu’il soit plein de verve, de jeunesse et de santé, il est aisé d’y reconnaître la sévérité du goût antique, la grâce athénienne et la correction la plus surannée. Le plagiat est d’autant plus coupable, qu’on peut juger du mérite de l’original par celui de la copie. Certes, le sel, la facilité, le naturel qui règnent partout dans ce poëme ne sont pas modernes.

Quoique je ne veuille pas faire ici l’énumération des auteurs anciens qui ont écrit sur la cuisine, nous ne pouvons nous refuser à rendre hommage au nom glorieux d’Apicius, devenu presque de nos jours le synonyme de gourmand.

A plusieurs plats nouveaux, d’un goût très-recherché ,

Le nom d’Apicius fut long-temps attaché.

Il fit secte, et l’on sait qu’il s’émut des querelles

Sur les Apiciens et leurs sauces nouvelles.

GASTR., ch. 1er.

Tels que les Hercules, les Bacchus, les Hermès, et tous les plus grands demi-dieux des siècles héroïques, Apicius a l’honneur des exploits, des inventions et des succès de plusieurs hommes, avec cette différence, toute entière à sa gloire, que les Hermès, les Hercules et les Bacchus se perdent dans la nuit des temps fabuleux, et que les Apicius ont vécu dans un siècle poli, éclairé, et juste appréciateur du vrai mérite. Cependant on ne sait s’ils étaient mille, ou s’ils n’étaient qu’un. On a fait de savantes recherches sur leurs vies; elles sont encore problématiques. Tout ce que les plus hardis d’entre les antiquaires osent affirmer, c’est qu’il y a eu trois Romains de ce nom également célèbres: le premier vivait sous Sylla, le second sous Auguste, et le troisième sous Trajan.

Le second fut, dit-on, l’inventeur des gâteaux qui portent son nom, et fonda une académie de gourmandise, dont il fut le chef jusqu’à sa mort, laquelle arriva, comme on sait, lorsque ne possédant plus que deux cent cinquante mille livres, il jugea qu’il était temps de sortir de ce monde. Il les employa dans un repas somptueux, et mourut.

On croit que c’est le troisième Apicius qui composa le traité de Obsoniis et Condimentis seu de Arte coquinaria, dont nous avons une édition publiée à Amsterdam en 1706 par les soins du savant Lister.

C’est le même qui se signala par l’invention d’un secret pour conserver les huîtres fraîches , et qui en envoya à l’empereur Trajan jusque chez les Parthes.

Le temps des Trajan et des Auguste est aussi celui de la gourmandise, et le Journal des Gourmands fut commencé probablement sous l’un de ces deux règnes.

Nous introduirons une autre fois nos lecteurs dans les secrets de la cuisine antique; qu’il nous suffise aujourd’hui de nous être fait un rempart contre la critique, et d’avoir rendu hommage à nos devanciers.

Le Gastronome français, ou L'art de bien vivre

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