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A MM. LES SOUSCRIPTEURS.

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Table des matières

MESSIEURS,

J’ai à me justifier auprès de vous de la longue interruption qu’a éprouvée la publication du Memento, depuis sa sixième livraison.

Tourmenté, fatigué de mille chagrins domestiques qu’il est inutile de retracer ici, j’étais parvenu cependant à rassembler les matériaux qui devaient former la septième livraison, et j’avais disposé l’analyse des lois et ordonnances relatives aux bâtimens, etc., conformément aux promesses faites par le Prospectus. ( Voyez Introduction, page xxviij.)

Ce travail, qui devait faire le sujet d’un seul volume, allait être livré à l’impression, lorsque mes affaires m’obligèrent de faire un voyage de trois mois.

J’avais élevé deux jeunes gens, deux frères: l’aîné , toujours rétif à mes leçons, voyant constamment mauvaise compagnie et se livrant à des habitudes crapuleuses, avait fini par crocheter mes tiroirs et par me voler pour satisfaire à ses débauches et aux exigences du jeu. Je fus donc obligé de le chasser en 1829, toutefois auprès lui avoir procuré, par mes relations, un emploi pour le distraire de ses désordres; mais, conseillé par une femme sans principes et sans éducation, il continua son train de vie et se fit congédier par les entrepreneurs qui avaient bien voulu l’employer. Je l’abandonnai alors, quoiqu’à regret, et reportai toutes mes affections sur son jeune frère à qui je donnai ma confiance entière; car c’était lui qui veillait aux affaires du bureau, et qui, muni de ma signature, était chargé de recevoir tous mes deniers.

Je m’aperçus bientôt que ce dernier négligeait ses devoirs; que, depuis l’absence de son frère, il sortait furtivement sans me rendre compte de ses fréquentations. il devenait soucieux, distrait, taciturne; tout se faisait de travers; le travail (quand on travaillait) était cr blé d’erreurs, et après l’avoir attendu long-temps, il me fallait le recommencer; mais les affaires m’éloignant très-souvent de mon bureau, j’y faisais peu d’attention: ce fut un tort. Ce malheureux voyait son frère, qui lui inculquait ses affreux principes, et se coalisant en mon absence, à l’aide de deux femmes perdues, dont l’une loua un logement sur mon palier, y apporta quelques bribes de meubles pour simuler un emménagement, et donnant congé quelques jours après sous un prétexte quelconque, je fus entièrement dévalisé ; on avait passé pendant plusieurs nuits dans ce logement tous les objets d’arts qui composaient ma bibliothèque et mon cabinet, objets que je rassemblais à grands frais depuis vingt-neuf ans, et qui composaient toute ma fortune; les seuls gros meubles restèrent, que l’on n’avait pu enlever, et je retrouvai la maison vide à mon retour.

Dénué ainsi de tout inopinément, je me hâtai de réclamer de mes cliens ce qui m’était dû par eux; mais le jeune émule de son digne frère avait tout reçu, et je me trouvai sans aucunes ressources.

Ainsi me payèrent de leur éducation, de mes soins, de ma tendresse et de ma confiance, deux jeunes gens qui me devaient tout; ainsi fut perdue en quelques jours toute une existence d’artiste, toute une carrière d’études, de travail et d’honneur; en un mot, jamais ingratitude n’a été plus révoltante, jamais vol plus audacieux n’a été commis, jamais coupables n’ont été plus effrontés et plus insolens, persuadés qu’ils sont, d’ailleurs, qu’un lien me retiendrait toujours si j’avais une velléité de les livrer à la justice régulière; car il est dans le monde des situations qui paraissent inexplicables à ceux qui n’en connaissent pas les causes. Par exemple, on est quelquefois condamné à souffrir tout, à cause d’une similitude de profession, et encore pour conserver intact un nom qui serait déshonoré par le crime d’un seul; préjugé bizarre, injuste, ridicule, qu’en faisant sonner bien haut les progrès de notre civilisation, nous n’avons pu encore bannir de nos idées comme nous l’avons rayé de nos codes!

Il n’y a donc que mes amis qui puissent apprécier les raisons de convenances qui m’interdisent toutes poursuites judiciaires: aussi, ceux qui m’ont si indignement dépouillé s’en prévalent-ils tellement, que je les crois encore à Paris, et qu’ils cherchent même à s’excuser en calomniant leur victime: ce qui est le comble de la bassesse et de l’effronterie.

Telle est la cause de ce long retard dont vous vous plaignez avec raison, messieurs; c’est un coup de foudre que je ne pouvais ni prévoir, tant les liens qui m’attachaient à ces deux individus me paraissaient sacrés et indissolubles, ni empêcher, puisque j’étais absent.

Par suite de ce malheur irréparable, pénétré de douleur de cette infâme conduite et d’une ingratitude qui me privait de tout (car on ne m’a pas même laissé mes habits, je me suis retrouvé ne possédant que mon porte-manteau, parce que je l’avais avec moi, et quelques meubles qui auraient été reconnus), je faillis perdre toutes mes facultés morales; une maladie de langueur et de découragement s’empara de moi, et sans le secours de quelques amis sincères, que je prie ici de recevoir le témoignage de ma vive gratitude, j’aurais mis fin à des jours depuis si long-temps abreuvés d’amertume par ceux que j’ai comblés de mes bienfaits; car la perte de ma fortune n’est rien comparée aux plaies de l’âme qui sont insupportables: ces dernières sont un poids affreux que rien ne saurait alléger.

Cependant mille distractions me furent offertes; on m’entoura, je fus aidé, encouragé, et, dans ce siècle que l’on dit si égoïste, tant de sollicitude me rendit un peu de courage; je repris le travail..... le travail qui fut la consolation de ma vie entière! Ah! si les oisifs et les gens dissolus savaient quel bonheur, quelles douces jouissances sont attachées au travail, ils seraient vertueux, et la société serait bientôt débarrassée de tous les êtres vils qui la dégradent et l’obsèdent!...

Ma première pensée fut alors de remplir mes engagemens envers vous, messieurs; mais toutes mes notes avaient disparu... plus de manuscrit... tout était à refaire... Voulaient-ils le vendre comme tout le reste?... Dès-lors, je m’arrêtai à un plan nouveau; je pensai que l’abrégé qu’ils avaient en leur possession pourrait bien suffire pour justifier le titre de Memento, puisqu’il présentait une analyse des lois et ordonnances qu’il convenait de consulter en matière de bâtimens; mais ces analyses arides m’ont paru dès-lors insuffisantes et incommodes en ce sens, qu’étant très-succinctes et ne formant qu’une sorte de nomenclature, il fallait avoir constamment recours aux sources: en conséquence, j’étendis mon texte de manière à faire de cette partie du Memento un Traité spécial, ou CODE DE LA PROPRIÉTÉ, qui, épargnant d’autres recherches, pût servir de guide ou de memento, non-seulement aux artistes pour lesquels notre ouvrage est écrit, mais encore à messieurs les avoués, avocats, notaires, aux administrateurs, et même aux propriétaires et à leurs gérans. Ce travail ainsi complété, qui produit deux forts volumes au lieu d’un demi-volume, se sépare maintenant du corps de l’ouvrage, dont le prix est augmenté de 7 francs pour les deux premières séries de souscripteurs: aussi sera-t-il beaucoup plus utile, puisque, tel qu’il est maintenant, ce Code tiendra lieu d’un grand nombre de traités spéciaux composés par de savans jurisconsultes, mais qui, n’ayant en vue que le droit, se sont plu à élaborer quantité de questions surabondantes qui ne sont pas de notre sujet.

Ces recherches, toutes substantielles, m’ont coûté quinze mois d’une aptitude tenace dont je ne me croyais plus capable après tant de malheurs, mais qui, du reste, m’a sauvé de mon désespoir; et, sous ce rapport, c’est peut-être un bien que mon premier manuscrit m’ait été soustrait.

C’est ainsi qu’avec le temps de l’impression, trois années se sont écoulées sans que la suite du Memento parût.

Je devais cette explication à tous mes souscripteurs, dont plusieurs m’ont donné personnellement tant de preuves de bienveillance et d’amitié.

Comme personne n’aurait les mêmes raisons que moi de ne pas livrer mes deux voleurs à la justice des tribunaux, s’ils faisaient ailleurs quelques tours de leur façon, et qu’alors mon silence et le sacrifice que je fais à ma tranquillité personnelle n’auraient plus aucun résultat, je préviens messieurs les souscripteurs de Paris et des départemens que ces deux individus ont la taille de cinq pieds deux à trois pouces. L’aîné, ayant vingt-cinq ans, a les cheveux châtain-clair bouclés naturellement, nez très-long, bouche moyenne, figure ovale, teint blanc peu coloré , barbe légère, sans favoris, dos un peu voûté , peu d’embonpoint. Le jeune, ayant vingt-deux ans, a les cheveux de même couleur, mais lisses et raides, nez et bouche petite, figure ronde, imberbe, se tenant très-droit. Tous les deux physionomie effrontée, ne rougissant de rien; bravant tout, même le mépris; jasant hardiment et tranchant sur tout; en général tenue, habitudes et souvent langage de mauvais lieux, ce qui doit avoir fait des progrès, surtout depuis que, repoussés par tous les honnêtes gens, ils s’en tiennent uniquement à leurs premières fréquentations, et qu’ils ne peuvent plus voir que de viles créatures qui leur ressemblent.

J’ai appris qu’ils se présentaient quelquefois chez les entrepreneurs pour faire des toisés, depuis que, traqués par la police et les marchands, ils n’osent plus vendre ostensiblement mes effets; ils s’annoncent tantôt sous mon nom, tantôt sous celui de Fleury, peut-être sous d’autres encore que j’ignore; mais il est de mon devoir d’en prévenir mes confrères, ainsi que messieurs les entrepreneurs et vérificateurs, pour leur éviter à tous, ainsi qu’à moi, les suites et le châtiment de leur crime: du reste, ayant pris cette précaution, je les livre à leurs remords, si leur âme n’est pas arrivée à ce degré de dépravation tel qu’ils ne puissent en éprouver un jour: ce dont je doute fort.

Quoi qu’il en arrive, cette épouvantable catastrophe n’apportera aucun changement à mes relations d’intérêt ou d’amitié ; j’en excepte cependant un misérable qui, se disant homme d’affaires, et pour l’appât de je ne sais quel salaire ou de quelle part dans leur vol, les a aidés de ses conseils et probablement de sa coopération, par sa présence habituelle chez moi lors du fatal événement; qui leur a appris à dissimuler leurs démarches et à éviter des recherches fructueuses, par la dispersion, chez plusieurs recéleurs, des objets volés, mais qui n’a laissé aucune trace de sa complicité, en combinant, pour les diriger, la friponnerie avec l’astuce qui empêche de se compromettre, ce que ces sortes d’hommes d’affaires appellent de l’adresse.

Il ne me reste plus qu’à désigner, autant que me le permet ma mémoire, non appuyée de mon catalogue qui a disparu avec le reste, une partie des objets d’arts qui m’ont été soustraits, afin d’éviter aux amateurs honnêtes qui répugneront tous à décorer leurs cabinets et à garnir leurs porte-feuilles d’objets volés, le désagrément qu’on les reconnaisse chez eux après les avoir vus chez moi, et notamment les dessins originaux sur lesquels il est impossible de se méprendre.

Code de la propriété

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