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VIII

Table des matières

Le soir, cependant, dès la nuit, une lumière brillait à la fenêtre de M. de la Chesnaie, et trois ou quatre jours après, il avait lié connaissance avec son voisin M. Le Dam d’Anjault, grâce à des amis communs. Par M. Le Dam d’Anjault, il s’était fait présenter à madame de Clérac.

Qui aurait pu soupçonner, tandis qu’il faisait sa première visite, et tenait une conversation indifférente avec madame de Clérac, entre deux douairières et un chevalier de Saint-Louis, quelles émotions secouaient la fillette aux yeux ardents qui tricotait dans un coin du salon?

C’était du triomphe déjà, et encore de l’angoisse. «Il était venu pourtant! et sans avoir l’air de prendre seulement garde à elle, il l’avait cherchée du regard! Mais quand ses yeux s’étaient arrêtés sur elle, comme ils étaient froids!… Oh! non! certes non! elle ne plaisait pas!

«Que faudrait-il donc bien faire pour plaire? Oh! si M. de la Chesnaie pouvait comprendre combien, dans son cœur, à elle, il y avait de tendresse, de reconnaissance, de dévouement exalté! bien sûr qu’alors il l’aimerait.»

Le baron de la Chesnaie, cependant, avait aperçu ce petit sauvageon et avait été frappé de son visage étrangement passionné. Mais il en avait presque pris peur. Ce n’était pas une enfant ordinaire qu’une fille qui avait fait l’entreprise tentée par celle-ci… et quelle femme redoutable elle ferait peut-être!…

Cependant le vieux gentilhomme la trouvait délicieusement jolie. Il aurait voulu être son père, et la voir tous les jours se développer et grandir. Déjà son cœur bondissait à la pensée qu’une si charmante créature pût être enfouie dans un couvent, au sortir de l’enfance, et sans même avoir eu le temps d’achever son adolescence; déjà il se jurait de l’arracher à cette mort anticipée. Et pourtant, il ne songeait pas à l’épouser. Oh non!

Mais la date fixée par madame de Clérac pour son départ approchait. Les paquets étaient faits. Elle avait écrit à Mgr de Bréhan et même à la supérieure du couvent; elle avait aussi annoncé officiellement que sa nièce, poussée par la vocation, allait se faire religieuse.

Et M. de la Chesnaie, en venant faire sa troisième visite, comprit qu’il devait prendre congé de la vicomtesse. Il exprima le regret d’avoir eu trop peu de temps pour profiter d’une si charmante relation; et ajouta qu’il était d’autant plus attristé que, l’an prochain, il serait assurément trop loin de France pour avoir le bonheur de faire partie du cercle de madame de Clérac.

Et ce fut tout.

Edmée, qui écoutait, tremblante d’angoisse, devint pâle comme si elle eût entendu son arrêt de mort.

Cependant le baron de la Chesnaie s’était arrangé pour sortir en même temps que M. Le Dam d’Anjault.

Ils traversèrent la rue pour rentrer à l’hôtel, en échangeant des paroles indifférentes. Puis, arrivé au pied de l’escalier:

–Faites-moi donc le plaisir, cher comte, d’entrer un moment chez moi, dit M. de la Chesnaie à son nouvel ami…

M. de la Chesnaie avait l’air à la fois sérieux et affable. M. Le Dam d’Anjault parut surpris, mais s’empressa d’obéir à l’invitation du vieux gentilhomme.

A les voir tous deux, on eût bien peu soupçonné leur situation respective. M. de la Chesnaie portait franchement son âge et ses cheveux blancs, quoiqu’il fût droit et vigoureux comme à trente ans. M. Le Dam d’Anjault semblait s’efforcer de n’avoir que vingt-cinq ans. Sa sœur, qui voulait refaire de lui un jeune homme à marier, le maintenait avec une moustache à la royale et s’efforçait de lui faire porter une toilette de dandy. Rien de ridicule cependant; mais trop «jeune homme» et nullement «père», tel enfin qu’on l’aurait pu prendre pour le fils du baron de la Chesnaie.

Cette anomalie servit d’entrée en matière au baron:

–Est-ce le hasard, est-ce la Providence qui nous a jetés là, en face l’un de l’autre, pour quelques jours? Nous ne nous connaissions pas hier, nous serons séparés demain. Quand nous reverrons-nous? Jamais peut-être! A quoi donc aura servi notre rencontre, si ce n’est à souligner une fois de plus les ironies du sort? Vous êtes père de famille à l’âge où d’ordinaire on se marie; je suis seul à celui où l’on ne se marie plus.

–Oh! pourquoi?… répondit le père d’Edmée, pour répondre quelque chose, et sans autre pensée, assurément, que de dire un mot de courtoisie à son hôte.

–J’ai cinquante ans.

–Vous êtes encore très bien conservé; et si vous corrigiez l’erreur de la nature, qui vous a trop tôt donné des cheveux blancs, on ne vous en donnerait pas quarante.

Le baron de la Chesnaie sourit d’un sourire à la fois mélancolique et un peu dédaigneux; d’un sourire qui voulait dire: «A quoi bon? Pour quoi faire? Ces artifices, d’ailleurs, sont au-dessous de moi!»

Puis:

–Pour vous, on vous donnerait à peine la trentaine; et, assurément vous recommencerez la vie: vous vous remarierez.

–Peut-être!

–Oh! si vous n’y pensez pas, votre sœur y a pensé pour sûr; et voilà pourquoi elle veut faire de votre fille une religieuse.

–Ma fille a la vocation! s’écria vivement M. Le Dam d’Anjault, dont le visage se refroidit soudain.

Il trouvait que le baron de la Chesnaie se permettait d’entrer, bien brusquement, dans ses affaires de famille.

–Vous croyez? demanda le baron, sans se préoccuper d’un froncement de sourcils du jeune père.

–J’en suis sûr.

–Prenez garde de vous tromper, mon cher d’Anjault, reprit le baron d’un ton à la fois cordial et autorisé qui frappa le père d’Edmée et le rendit attentif.

–Mais… pourquoi?…

–J’ai vu de terribles exemples… Et si vous vous trompiez, quelle douleur, un jour, de savoir que votre fille se tord, désespérée, entre les quatre murs d’un cloître!

–Nos grandes tantes, répondit M. d’Anjault, qui se souvint des discours de sa sœur, allaient au couvent quand des raisons de famille les y envoyaient et ne s’y tordaient point.

–Qu’en savez-vous?

–Mais on les y voyait vivre et mourir en paix.

–On ne voyait que le dessus des choses; et puis, en ce temps-là, il y avait peut-être dans l’humanité des résignations qui n’y sont plus; en tout cas il y avait à l’entour des couvents des clôtures plus inaccessibles que celles d’aujourd’hui, et, au dehors, un bras séculier qui réintégrait, au nom de la loi, les nonnes échappées.

–Je ne comprends pas bien votre intention, mon cher baron.

–Je m’imagine, mon cher d’Anjault, que la petite créature aux yeux profonds dont votre sœur a décidé de faire une religieuse ne va pas de bon cœur au couvent, et j’ai pris pour elle une pitié tendre, quasi paternelle. Peut-être est-ce parce que, moi, j’ai l’âge d’être père, et parce que la paternité me manque… Enfin, comme je vous sais un brave gentilhomme, je viens éveiller là-dessus votre attention et vous dire… comme à un ami: Avant de la laisser partir, ayez avec elle une conversation seul à seule…

–Savez-vous si je ne l’ai point fait?

Les yeux du baron de la Chesnaie s’arrêtèrent sur ceux du jeune père, qui ne put s’empêcher de rougir.

–Eh bien, recommencez. L’existence entière d’une enfant de quinze ans, qui est votre fille, vaut cela. Et tenez! tentez une épreuve: Proposez-lui, par exemple, d’épouser un vieillard, qui l’emmènerait pour toujours bien loin, au delà des mers, dans un pays dont elle ne connaîtrait ni les mœurs, ni le climat, ni les usages, dont elle ne saurait point la langue; et si elle vous répond par un refus, si elle préfère le couvent, alors…

–Me demandez-vous Edmée en mariage? interrompit M. Le Dam d’Anjault.

–Je ne suis pas assez fou pour cela, répondit le baron de la Chesnaie, qui sentit en même temps comme une contraction douloureuse au cœur. Non… je suis un vieillard… elle n’est qu’une enfant. Mais… cette enfant vous gêne, et moi je serais si heureux d’en être le père… Je pourrais… l’adopter…

Le père d’Edmée demeura un moment silencieux. La proposition était bizarre et inattendue. Il ne pouvait l’accepter ainsi. A peine connaissait-il le baron de la Chesnaie! Il ne pouvait non plus la refuser sans examen. Sa conscience, au fond, lui disait trop qu’Edmée n’était point faite pour aller au couvent.

–Vous avez le cœur noble et généreux, mon cher baron, et je ne puis que vous remercier. Mais, pour vous répondre, il me faudrait, en effet, savoir ce qui se passe dans ce petit cœur de quinze ans, consulter ma sœur, réfléchir moi-même…

–Ne consultez que votre enfant, votre conscience et votre cœur.

–Votre proposition est si soudaine, si imprévue…

–Le départ de votre sœur devait être si prochain!… Pourquoi nous sommes-nous connus si tard?… Il faut, reprit le baron après une pause, que je vous dise quelle est ma situation exactement.. D’ailleurs vous en comprendrez mieux mes sentiments. Moi aussi, à vingt ans, je me suis trouvé seul dans la vie, c’est-à-dire en dehors de la famille qui me restait. Rien que des parents éloignés pour lesquels j’étais un embarras, car je n’avais pas un sol d’héritage. Un vieux cousin vint me trouver et me dire: «Tu devrais te faire prêtre; nous t’aiderions tous; nous avons de belles alliances; tu pourrais arriver à une situation dans le clergé.» Mais la vocation ne m’appelait pas. Pourquoi? je me le demande aujourd’hui, car ma vie n’eût guère été plus austère si j’avais été prêtre et missionnaire. Enfin! c’était comme cela. On m’offrit, d’autre part, de me faire accepter comme chancelier par un consul qui partait pour la Bolivie. Je préférai la Bolivie, et je suis resté douze ans chancelier dans ce pays demi-sauvage; de là je fus envoyé en Colombie; puis je devins consul, enfin, et demeurai sept ans au Nicaragua; d’heureuses négociations me firent monter en grade; et je reçus en même temps la nouvelle que j’étais nommé consul au Paraguay et celle que le vieux cousin, qui m’avait autrefois conseillé de prendre les ordres, me léguait deux cent mille francs. J’avais quarante-cinq ans. Je pouvais quitter le carrière et m’en retourner en France vivre en vieux garçon dans quelque petite ville de province. Mais, depuis vingt-cinq ans, j’avais pris les habitudes de ma profession; je m’étais acclimaté à l’Amérique du Sud. Je me sentais trop jeune pour l’inaction; trop vieux pour recommencer la vie. Je demeurai consul, et partis pour le Paraguay, où je suis resté jusqu’à ce jour. J’espère une meilleure résidence. Quoi qu’il en soit, j’attendrai à mon nouveau poste l’âge de la retraite. Avec l’héritage de mon cousin, je pourrais donc doter ma fille adoptive. Elle me ferait une famille. Je serais le grand’père de ses enfants.

La voix du baron de la Chesnaie était tremblante, comme si ses paupières eussent retenu une larme. Le père d’Edmée lui serra la main et sortit, de peur de l’émotion qui le gagnait aussi.

Révoltée!

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