Читать книгу Révoltée! - Claude Vignon - Страница 12
ОглавлениеI
Dirai-je le voyage? Montrerai-je Edmée choyée par le baron de la Chesnaie comme une enfant délicate et frêle, et honorée par le contre-amiral qui commandait le navire, comme l’épouse du représentant de la France dans une des plus importantes capitales de l’Amérique?
Qui ne se représente dans quelle via différente entrait d’emblée l’enfant mutine qui venait de secouer le joug de madame de Clérac et qui, six mois auparavant, chaussée de brodequins de cuir, vêtue d’une blouse de percaline noire et les cheveux en broussailles, n’imaginait rien au delà d’une course folle et libre dans la campagne!
Depuis ces six mois, on lui avait montré le couvent à l’horizon de son avenir; et, d’abord, quand cet horizon lui paraissait encore vague et lointain, elle éprouvait, en y pensant, plus de tristesse que de révolte. C’était une énorme maison carrée, derrière laquelle il y avait un grand jardin; puis on était habillé de gris, ou de blanc, ou de noir, pour toute sa vie; pas de cheveux sur la tête, mais une cornette d’entoilage, qui encadrait la figure et l’ombrageait comme un abat-jour de porcelaine ombrage une lampe, tout en concentrant sa lumière. On allait, le matin, à la chapelle, pu le soir; entre temps, dans sa cellule… et, quand on regardait à la fenêtre, on voyait un mur.
Et voilà que maintenant cet horizon de sa vie borné devenait sans limites! Il lui semblait pareil celui qu’elle voyait devant elle, de la dunette du navire quand, penchée sur la barre d’appui, elle cherchait des yeux la ligne perdue qui séparait le ciel et la mer. De temps en temps, cette ligne était obstruée par d vapeurs grises qui ressemblaient aux montagnes d’un terre lointaine; d’autres fois, c’était comme des flocons de neige qui dessinaient des figures fantastiques des lambeaux de gazes d’argent qui se déchiraient sur l’azur du ciel; d’autres fois encore, des amoncellements de nuages dorés par le soleil, qu’on aurait pris pour de villes embrasées.
Qu’y avait-il pour elle, au delà de ces perspectives mouvantes et passagères? Verrait-elle, tour à tour ces diverses apparences? Était-ce un avenir radieux comme le ciel pur et la mer bleue qu’elle allait trouver au bout de ce voyage? ou bien une existence grise et monotone?…
Pourquoi considérait-on comme sacrifiées les jeunes filles mariées à de vieux maris?
Était-ce une vie flamboyante, semée de fêtes éclairée par mille lustres, et qu’elle traverserait avec des robes lamées d’or et des diamants au front?
Femme du représentant de la France dans une ville comme Montevideo, n’allait-elle pas être une grande dame?
En tout cas, c’était l’inconnu, l’imprévu, l’immense!.. et parce qu’elle n’avait point de conception nette et concrète de ce qui l’attendait, son imagination endiablée courait des bordées vers les rivages les plus divers.
Et, tandis qu’elle rêvait, le bruit de la machine, le sifflement de la vapeur, les bouillonnements des flots soulevés par les roues du navire, les ordres criés à l’équipage, les bribes de conversation entre passagers de toutes races qui montaient du pont jusqu’à la dunette, lui parlaient davantage encore de cet inconnu vers lequel l’emportait son mariage.
Près d’elle était là toujours le baron de la Chesnaie, attentif, ému, attendri. Si la brise fraîchissait, vite il l’enveloppait d’une pelisse chaude; si le soleil dardait, il l’ombrageait d’un large parasol. Il avait obtenu du contre-amiral la permission d’accrocher pour la baronne de la Chesnaie un hamac dans un angle de la dunette; quand le temps était doux et calme, il y berçait Edmée, avec la sollicitude tendre d’une mère.
Jamais la petite créature n’avait connu ces douces gâteries. Son enfance même ne lui présentait point de pareils souvenirs.
Quand le vaisseau faisait escale dans quelque ville, le baron l’emmenait à terre; la conduisait voir les monuments, les boutiques; lui offrait tout ce qu’elle pouvait désirer; de partout il fallait qu’elle emportât un souvenir.
Et comme il rayonnait de joie, quand elle était contente!
Ce bonheur qu’elle donnait, ces caresses d’une affection ardente et pure, les attentions respectueuses des officiers du bord, étaient pour elle comme une suite d’enchantements.
Quant à M. de la Chesnaie, son cœur débordait d’une joie délicieuse. Par quel miracle du ciel se trouvait-il possesseur de cette adorable enfant? Est-ce que jamais en rêve seulement il aurait osé concevoir un pareil bonheur?
Et quand ce bonheur était venu à lui, d’abord il avait songé à le repousser! O insensé!… L’homme n’est-il pas souvent le propre artisan de ses douleurs? Mais pourquoi ces jours si doux seraient-ils suivis de jours amers? Pourquoi? Mais, dussent-ils l’être, quelle folie plus grande de les avoir refusés que de les payer après en avoir savouré l’ivresse?
Quoi qu’il advînt de l’avenir, rien ne pouvait plus les lui reprendre.
La seule pensée qu’Edmée était à lui, qu’il l’emmenait, qu’elle avait voulu partager sa vie, la seule vue de la chère créature, l’emplissaient d’un tel bonheur qu’il n’aurait pu concevoir rien au delà.
Parfois il l’entourait de ses bras sans oser même la serrer sur son cœur, et lui mettait un baiser sur le front ou dans les cheveux. C’était tout.