Читать книгу Révoltée! - Claude Vignon - Страница 8
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M. de la Chesnaie fut étrangement surpris, ce même jour, quand, en rentrant, il trouva sur son bureau une lettre ainsi conçue:
«Monsieur,
» J’ai appris que vous étiez sans famille; que vous habitiez depuis longtemps les pays les plus lointains; que vous alliez prochainement repartir pour prendre possession d’un consulat dans l’Amérique du Sud.
» J’ai appris aussi que vous étiez issu de notre vieille noblesse, et j’ai entendu rendre hommage à l’honorabilité de votre caractère.
» Si votre solitude vous pesait, si vous n’aviez pas de parti pris contre le mariage, si vous pensiez au contraire qu’une femme française, aimante et dévouée, pourrait vous rendre heureux, il y a une jeune fille qui accepterait avec joie votre main et vous suivrait volontiers dans l’Amérique du Sud ou ailleurs.
» Elle n’est, dit-on, pas laide; elle est d’une famille en état de s’allier à la vôtre, mais n’a aucune fortune.
» Ne prenez pas mauvaise opinion d’elle sur la démarche étonnante qu’elle tente aujourd’hui auprès de vous. Sa situation, que vous connaîtrez quand vous voudrez, lui impose l’obligation d’agir ainsi. Et permettez-moi d’ajouter que son honneur est intact comme sa réputation.
» Si vous n’avez pas d’objection absolue au mariage dans ces conditions, veuillez J’en avertir par un signe. Mettez ce soir une bougie allumée devant votre fenêtre. Vous l’excuserez, n’est-ce pas, de ne pas vous livrer son nom avant d’avoir compris, par cette indication, qu’elle ne se heurte pas à une résolution inébranlable.»
Le premier mouvement du baron de la Chesnaie fut de chercher l’enveloppe de la lettre pour en relire la suscription. Il y avait bien: «Monsieur le baron de la Chesnaie.»
Il resta un moment comme abasourdi par cette singulière aventure, puis décacheta d’autres lettres qui étaient arrivées pendant son absence et essaya de lire un journal.
Toutefois son esprit ne pouvait se fixer. L’imagination de ce quasi-vieillard courait la pretentaine. Il relut la lettre mystérieuse et singulière.
–Ce ne peut pas être une mystification, se dit-il; car je n’ai donné à personne le motif ni le prétexte d’une pareille entreprise… Et pourtant il est absolument invraisemblable que j’aie été l’objet de l’attention et de la préférence d’une jeune fille, à mon âge. Où d’ailleurs, ai-je vu une jeune fille, depuis mon arrivée à Paris, qui réponde au signalement que donne d’elle-même l’auteur de cette lettre?
Il chercha: toutes les familles dans lesquelles il avait été reçu lui repassèrent devant la mémoire: toutes les filles à marier qu’il pouvait connaître, jeunes ou vieilles, laides ou jolies, lui réapparurent; et plus il chercha, moins il trouva.
Pour mettre fin au vagabondage de sa pensée, il sortit; quelques visites, une promenade dans ce Paris si plein d’enchantements pour tous et plus encore pour ceux qui le voient à de longs intervalles, couperaient court, sans doute, à une effervescence passagère.
M. de la Chesnaie avait passé sa première jeunesse en province avec sa mère et dans un milieu que ne traversaient point les courants orageux du siècle. Dans une petite ville, un jeune homme appartenant à une bonne famille et reçu dans la haute société est naturellement garanti contre les entraînements de la jeunesse; il ne peut guère se permettre d’aimer une femme ou une fille de son rang que de loin et platoniquement.–Toutes les femmes dignes de ce nom, d’ailleurs, sont entourées de défenses et de protections par la force des choses. Les créatures sont si bas placées qu’elles ne sauraient rien inspirer à un jeune homme à l’âme délicate. Et puis, quand madame la Chesnaie mourut, le jeune baron n’avait pas plus de vingt-deux ans. Et il quitta le France aussitôt, pour suivre, comme élève-consul, un ami de sa famille.
C’était donc l’âme toute neuve que le jeune homme était parti. A l’étranger, dans les lointaines contrées où sa carrière l’avait conduit, l’amour se trouva encore moins sur son chemin. Comment des femmes grossières, demi-sauvages, eussent-elles attiré son cœur? Iln’avait pas eu le temps d’aimer en France; mais il avait eu le temps de voir et de connaître des femmes dignes d’affection, des femmes faites pour vivre de sa même vie intellectuelle et parmi lesquelles il aurait pu choisir une compagne. Les pauvres êtres féminins qu’il rencontra sur les rivages du Pacifique ne parlèrent ni à son esprit ni à son cœur: à peine à ses yeux et à ses sens. L’âge du mariage passa sans qu’il eût rencontré à sa portée une vraie femme, pour ainsi dire.
Et ainsi, une à une, tombèrent sur sa tête les années de l’âge mûr: et ainsi il atteignit ses cinquante ans sans avoir payé son tribut à la passion; fini et neuf encore; vieux sans avoir été jeune; doublant le cap de la cinquantaine sans avoir eu vingt ans.
Que l’on juge de l’effet de la lettre bizarre qui venait de tomber comme un aérolithe sur son existence morne et résignée? Tandis que son esprit, loin de se calmer, chevauchait à travers les espaces, son cœur bondissait dans sa poitrine. Illui fallut plusieurs heures pour réinstaller en lui le sens droit et rassis de l’homme mûr et du diplomate.
Vrai! le soir lorsqu’il fut rentré chez lui, et seul, il eut envie de mettre sa bougie près de la fenêtre. Et pour se garantir contre la tentation, il dut se représenter à lui-même, avec insistance, quelque mauvais plaisant ou quelque femme équivoque guettant de quelque maison voisine l’effet de sa mystification.
Mais qui pourrait dire, d’autre part, les angoisses qui hantèrent le cœur et l’esprit d’Edmée pendant cette soirée?
Dès que le jour baissa, elle erra, comme une âme en peine, dans le petit appartement de la tante, lançant sur les fenêtres d’en face des regards perçants et rapides comme des flèches.
«C’est qu’il n’est pas encore nuit,» se dit-elle d’abord.
Puis:
«C’est qu’il n’est pas rentré.–A quelle heure rentre-t-il?»
Sept heures! huit heures! neuf heures! dix heures! Et rien que la nuit.
Pourtant, il lui avait semblé voir passer des rayons de lumière à travers les rideaux.
«Le baron était-il chez lui? Et s’il y était, n’avait-il pas reçu la lettre? Où bien l’avait-il donc méprisée?
» Il pense peut-être que c’est une folle qui lui écrit? ou une dévergondée?… Au bout du compte, quel cas doit-on faire d’une lettre anonyme?
» A sa place est-ce que j’obtempérerais à l’invitation? Non! Un diplomate serait un pauvre sire de s’aventurer comme cela!–Et pourtant!… Il me semble que je me demanderais qui peut ainsi m’avoir choisi.»
A onze heures passées, sa tante étant bien endormie, elle se leva et, à pas de loup, s’en alla regarder une dernière fois les fenêtres du baron de la Chesnaie.– Noires encore!… Oh! pour le coup, ce fut avec un véritable désespoir qu’elle regagna son lit.
«Sans doute, pensa-t-elle, il se moque de la pauvre fille déshéritée qui s’offre ainsi! Il la dédaigne!… Et qui ne dédaignerait pas une fille assez malheureuse pour être à la merci de qui veut l’épouser! Dans le fait, pourquoi ai-je écrit à ce monsieur? Tout simplement parce que j’avais entendu ma tante dire à mon père: «Il n’y aurait qu’un moyen de ne pas la mettre au couvent, ce serait de lui trouver quelque vieux mari, comme on a fait pour moi. Mais je n’ai ni le temps ni les moyens de chercher un mari pour Edmée!» Alors, ne sachant à quoi me prendre, j’ai essayé la chose la plus folle, la plus effrontée qui se puisse!
» M. de la Chesnaie, à l’âge où il est parvenu, doit s’être fait des goûts et des plaisirs qui lui permettent d’achever la vie en vieux garçon; il ne se soucie sans doute nullement de prendre la charge d’une jeune femme. Encore, pourtant, avais-je eu bien soin de ne pas lui dire mon âge, de peur qu’il ne se moquât tout à fait de moi!»
Et elle pleurait, elle pleurait à chaudes larmes dans son oreiller, la pauvre petite!