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IX
ОглавлениеQuand le départ de madame de Clérac avait été imminent M. de la Chesnaie s’était dit qu’il lui fallait prendre un parti. Demander la main d’Edmée, il ne l’aurait pas osé; il ne l’aurait pas voulu d’ailleurs. Sa raison était assez clairvoyante pour lui dire que le mariage avec un vieillard, c’était le couvent à peu près, avec la paix en moins, les tentations en plus. Et cependant, faut-il le dire? son cœur était profondément troublé. La proposition qu’il venait de faire au père d’Edmée lui avait paru concilier les clairvoyances de sa raison et les aspirations de son cœur. Et, maintenant, il tremblait qu’on ne l’acceptât pas… et encore plus qu’on ne l’acceptât.
Le lendemain matin,–c’était ce lendemain que madame de Clérac avait indiqué comme le jour de son départ,– le baron regardait à son tour les fenêtres qui faisaient face aux siennes; il guettait derrière ses rideaux. La vicomtesse partirait-elle sans sa nièce, ou bien prolongerait-elle son séjour à Paris? Dans le premier cas, ce se-sait le refus de ses offres; dans le second cas, sinon leur acceptation, au moins leur examen. Et son cœur battait comme il ne se souvenait pas de l’avoir senti battre encore.
A midi, aucune apparence de départ ne s’était encore manifestée.
Vers cinq heures, il reçut le billet suivant:
«Monsieur,
» Mon père vient d’avoir avec moi une longue et sérieuse conversation. C’est la première fois qu’il m’a parlé comme à une jeune fille, et non comme à une enfant.
» Il m’a fait, de votre part, une offre qui m’a profondément touchée, mais que je ne saurais accepter. Non, monsieur, je ne veux de la pitié de personne, pas même de la vôtre, qui me serait cependant la moins cruelle. En vous proposant d’être votre femme, si je vous demandais votre protection et le partage de votre situation sociale, je vous offrais, du moins, en échange, ma vie entière et mon cœur pour toujours. Mais je n’aurais jamais osé vous demander, tout simplement, de réparer les torts de la fortune à mon égard et de me faire un sacrifice que mon vrai père ne me fait pas.
» J’ai donc répondu à mon père que j’irais au couvent et que je me sentais la vocation. Ainsi donc, adieu, monsieur; j’aurai longtemps au couvent pour prier Dieu; mais je le prierai toujours pour vous, car jamais je n’oublierai votre généreuse proposition. Je connais encore bien peu la vie assez cependant pour savoir combien sont rares des caractères tels que le vôtre.
» Je m’accoutumerai, sans doute, puisque tant d’autres se sont accoutumées. Seulement, on aurait dû m’avertir quand j’étais toute petite; je me serais élevée avec cette idée. Enfin! c’est comme cela. Et puis, après tout, quand on est maître de sa vie, on l’est toujours de sa liberté.
» Adieu encore, et de tout mon cœur, je vous souhaite le plus de bonheur possible sur la terre!
» EDMÉE.»
La lecture de cette lettre bouleversa le baron de la Chesnaie. Cette petite créature! il y tenait déjà plus qu’il n’aurait pu le croire. Ce mélange de sentiments encore enfantins et de sauvage énergie l’étonnait et le captivait. «Quel trésor, se disait-il, que cette enfant aujourd’hui, que cette femme demain!–Quel trésor! Ah! moi aussi j’ai peu connu la vie, bien que je sois vieux: mais assez pour savoir combien sont rares des âmes comme celle qui transparaît à travers les lettres de cette petite! Et ce trésor, je l’aurai entrevu; il serait venu s’offrir à moi! et je le perdrais? et je retournerais au delà des mers sans l’emporter? Oh! que non!»
Et le baron de la Chesnaie, dans une agitation singulière, se mit à parcourir sa chambre et son salon, en revenant, de moment en moment, à son poste d’observation près de la fenêtre, car il tremblait à tout instant qu’une voiture n’emportât madame de Clérac, sa nièce et leurs bagages.
Sans cette crainte il serait sorti pour calmer, par le grand air et par la marche, l’effervescence de son cerveau; mais il n’osait quitter des yeux les fenêtres de la vicomtesse de Clérac.
Sans doute, il se disait bien que M. Le Dam d’Anjault ne saurait manquer de venir lui apporter le refus et les remerciements de la famille, ou, tout au moins, de lui écrire: mais lettre ou visite pouvaient ne venir qu’après le départ d’Edmée!
Il attendait donc dans une agitation inexprimable, souhaitant et redoutant à la fois la visite du père d’Edmée.
Mais il la redoutait plus encore qu’il ne la souhaitait, car il ne savait comment s’y prendre pour demander à ce père de trente-cinq ans la main de sa fille, quand la veille, à une question directe de ce dernier, il avait répondu par un refus de vieillard sans illusions.
Certes, en ce moment, tout en se décidant à faire la folie insigne d’épouser Edmée, il se promettait bien de n’être que son père. Mais eût-il osé le dire? Et alors pourquoi l’épouser? N’était-ce pas encore la vouer au célibat? Comment s’expliquer?… Comment avouer à autrui ce qu’il ne s’avouait point à lui-même?
Et cependant il fallait, à l’heure où on en était arrivé, aborder les choses de front et sans ambages.
Fièvreusement il s’approcha de son bureau et écrivit:
«Monsieur,
» J’ai l’honneur de vous demander la main de votre fille, mademoiselle Edmée. Si vous voulez bien me l’accorder, et si elle daigne m’accepter, je m’efforcerai de la rendre heureuse et de mériter la grâce qu’elle me fera.
» BARON LOUIS DE LA CHESNAIE.»
Mais quand il eut écrit cette lettre, il se demanda comment l’envoyer avant d’avoir, lui-même, reçu la notification du refus qu’il était censé ne pas connaître encore.
En ce moment, on frappa. Il alla ouvrir, le cœur tremblant. C’était M. d’Anjault, peut-être.
Ce n’était que le petit groom de madame de Clérac, mais cette fois en grande tenue, et avec l’air gourmé qu’il savait déjà prendre quand il était chargé par ses maîtres d’une mission d’importance. Il tenait une lettre.
–De la part de madame la vicomtesse, dit-il, pour monsieur le baron.
M. de la Chesnaie aimait mieux une lettre que la visite du père d’Edmée: il la prit, et comme le petit domestique allait se retirer:
–Est-ce que madame la vicomtesse part bientôt? demanda-t-il.
–Demain matin pour sûr, monsieur le baron.
M. de la Chesnaie ouvrit la lettre sans se presser; il savait ce qu’elle contenait et venait d’apprendre qu’il avait la soirée devant lui.
«Nous avons été profondement touchés, mon frère et moi, monsieur le baron, de l’honneur que vous êtes disposé à nous faire, en adoptant pour votre fille une enfant sortie de notre maison. C’était, en effet, donner la preuve de l’estime en laquelle vous la tenez. Croyez-bien que rien ne pouvait nous être plus sensible, et que nous aurions été heureux de voir passer, par l’adoption, une de nos filles dans la famille de la Chesnaie.
» Mais ma nièce est poussée par une vocation irrésistible dans les bras de la religion. Nous avons considéré comme un devoir, mon frère et moi, de lui faire connaître votre proposition. Elle en a senti tout le prix, et même des larmes lui en sont venues aux yeux. Cependant elle nous a répondu qu’elle avait décidé irrévocablement de prendre le voile.
» De la part d’une fille noble, sans soutien, cette résolution ne vous étonnera pas. D’autant plus qu’elle est la seule qui soit compatible avec sa situation et ses devoirs.
» Aussitôt après notre départ, très imminent, mon frère, qui reste à Paris, aura l’honneur de vous porter de vive voix ses remerciements et nos témoiggnages d’estime et d’amitié.
» J. LE DAM D’ANJAULT
(vicomtesse de Clérac.)»
Ce qu’ayant lu, le baron plia la lettre qu’il avait écrite un moment auparavant, la mit sous enveloppe et la monta lui-même chez madame de Clérac. La porte de l’antichambre était ouverte, et Edmée, les yeux rouges, donnait elle-même les ordres aux domestiques qui apprêtaient les bagages.
A la vue du baron, le sang lui reflua au cœur; elle devint d’une pâleur de morte.
–Mademoiselle, lui dit le baron de la Chesnaie, aussi tremblant qu’elle,–quand il eut remis sa lettre et deux cartes cornées aux mains d’un domestique,–cette lettre que j’apporte pour monsieur votre père exprime le plus cher de mes vœux. Je la place sous vos auspices, car assurément son succès dépend de vous.
Les yeux d’Edmée s’ouvrirent tout grands avec une divine expression de surprise, d’interrogation et de joie. Son visage s’éclaira d’un sourire.
Avant qu’elle n’eût essayé une réponse, le vieux gentilhomme s’enfuit de peur de se trahir. Il avait une envie folle de saisir l’enfant, de la serrer sur son cœur et de l’embrasser.
–Dieu! se disait-il en battant le pavé, d’un pied alerte, comme s’il n’avait eu que vingt ans. Dieu! serait-ce possible? Est-ce possible? Mais non, je ne puis, je ne dois être que son père.
Après avoir marché longtemps, laissant un libre cours à ses pensées, il s’arrêta, s’accouda au parapet du pont des Invalides. Le soleil ne laissait plus qu’une bande rouge à l’horizon: la nuit tombait; une brise fraîche passait sur la Seine, et, en passant, calmait le front de cet homme déjà vieux et si jeune encore. Il se rassembla, se recueillit et se fit un serment à lui-même:
«Quoi qu’il advienne, pour ce regard, pour ce sourire que je viens de cueillir et de respirer, comme une fleur délicieuse, je me souviendrai toujours qu’avant tout, et surtout, je dois être son père!»
M. d’Anjault n’était pas chez sa sœur au moment où le baron y avait porté sa lettre, mais il rentra peu de temps après.
–Tu entends, Jean, avait dit Edmée au petit domestique, tu remettras cette lettre à mon père devant moi, et si c’est possible hors de la présence de ma tante.
Mais il n’y eut pas moyen d’éviter la présence de madame de Clérac, car elle ne bougea pas du salon où elle commanda que l’on servît le dîner, la salle à manger étant encombrée.
Le père d’Edmée lut et devint grave:
–Ma sœur, dit-il, vous avez répondu à M. de la Chesnaie?
–Il y a longtemps.
Il lui tendit la lettre qu’il venait de recevoir.
–Hé! s’écria-t-elle avec un mouvement de mauvaise humeur, c’est un vieux fou!
Mais M. d’Anjault, depuis la veille, n’était pas sans avoir le cœur étreint et la conscience troublée; sans se débattre contre des remords secrets. Il reprit la lettre et la tendit, cette fois, à sa fille.
–Quelle folie! s’écria madame de Clérac, qui voulut retenir sa main. Mais:
–Tiens, Edmée, lis, dit le père.
Edmée, tremblante d’angoisse, baissait les yeux et s’efforçait de garder une contenance calme. Elle avait deviné le contenu de la lettre dans l’accent et dans les paroles du baron; et pourtant elle ne put retenir un cri de joie.
–Ah! père, quel bonheur!
M. Le Dam d’Anjault demeura stupéfait. Quant à la vicomtesse de Clérac, elle bondit de colère et d’indignation.
–Tu veux épouser M. de la Chesnaie? demanda M. d’Anjault à sa fille.
–Je l’aime! s’écria l’enfant avec exaltation.
–Ah! par exemple!…
–Mais vous êtes fou, mon frère! mais cette petite est une déhontée! Mais vous avez tous perdu la raison! s’écriait madame de Clérac, mise hors des gonds par ces inconvenances simultanées qui éclataient à l’improviste.
–Ma sœur, cette demande et cette acceptation doivent, à bon droit, nous surprendre. Cependant pourquoi le couvent plutôt que ce mariage, puisque ce mariage s’offre et que ma fille l’accepte.
–Pourquoi? Mais parce que ce mariage est aussi insensé d’une part que de l’autre! Parce qu’il révolte le sens commun! Parce qu’il est un danger au lieu d’être une garantie.
–Cependant.
–Vous le voulez?… Eh bien, après tout, qu’importe? reprit-elle. S’il s’agissait, pour cette fille d’actrice, de rester en France, je dirais: Plutôt le couvent cent fois! et avec de hautes murailles et de fortes grilles, car elle déshonorerait sa famille! Mais il s’agit d’un départ pour l’étranger. Qu’elle aille donc aux antipodes! elle ne déshonorera que son mari!
Le mariage se fit en quinze jours et presque clandestinement; madame de Clérac avait pris congé de sa société à Paris; elle en profita pour ne parler à personne du changement de vocation de sa nièce.
–J’enverrai, avait-elle dit à son frère, des lettres de faire-part après coup. Pour Paris, je les daterai de Clérac; pour la province, de Paris.
D’autre part, M. de la Chesnaie n’avait point de famille prochaine et ne tenait pas à s’attirer les sarcasmes de ses connaissances.
Aussitôt après la cérémonie, qui eut lieu devant les quatre témoins et les domestiques, le baron emmena sa jeune épousée.
Une toilette de voyage en laine grise et son modeste trousseau de petite fille, voilà tout ce qu’emportait Edmée, en quittant sa famille. Sa robe de communiante allongée lui avait servi de robe de noces.
Elle partait pour Montevideo où son mari venait d’être nommé consul.
Et jamais peut-être jeune ménage épris et entouré du cortège de toutes les convenances sociales, des bénédictions de la famille, des vœux de nombreux amis n’avait été heureux, en partant pour l’Italie, comme cet homme à cheveux blancs qui emportait cette enfant, et cette enfant qui se jetait éperdue dans les bras d’un sauveur… –fuyant, tous deux, vers l’autre hémisphère.