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IV

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A Paris, dans l’appartement exigu de la rue de l’Université, Edmée s’était trouvée comme en pénitence. Ne voir que la rue–encore lui défendait-on de se mettre à la fenêtre!–n’avoir pour tout espace que les quatre pièces de l’appartement de sa tante; pour tout retrait qu’une manière d’alcôve, qui lui servait de chambre à coucher; n’aller qu’à l’église, tout cela n’était point son fait. Cependant elle se résignait; d’abord elle avait la joie de voir son père; ensuite elle pensait retourner à Clérac, avant Pâques, et y demeurer jusqu’à Noël; ou pour mieux dire, elle laissait aller les choses et le temps sans impatience, attendant l’avenir de la Providence.

Certainement, elle aurait aimé aller avec son père, voir le beau Paris de la rive droite, et se promener quelquefois sur les boulevards et aux Champs-Élysées. Et si elle avait pu être menée au théâtre.–elle se souvenait toujours d’avoir assisté à une représentation dans la loge du préfet, un soir, à X…–si elle avait pu, ah! dame!… Mais sa tante ne permettait pas seulement de telles pensées. Il fallait donc renoncer à ces plaisirs mondains. Et Edmée y renonçait sans des regrets trop amers.

Que l’on s’imagine donc maintenant ce qui se passa dans cet esprit et dans ce cœur quand y tomba la conversation échangée, le10mars au soir, entre le comte Armand Le Dam d’Anjault et sa sœur madame la vicomtesse de Clérac.

Subitement s’ouvrirent des abîmes; subitement se soulevèrent des révoltes. Un effroi vertigineux saisit Edmée, qui se sentit entraînée à la dérive du malheur, par un courant irrésistible, et qui se raidit avec une énergie suprême.

–Voilà la vie, mon frère, avait dit madame de Clérac. Et Edmée avait vu son père accepter sans protester cette horrible déclaration, dont la conséquence était qu’il fallait la supprimer, parce qu’elle avait eu tort de naître mal à propos et parce que son existence gênait les combinaisons de la noble famille d’Anjault.

Oh! cette famille! Edmée la prit en haine soudain, et ce fut le premier sentiment violent qui entra dans son cœur. Jusqu’alors l’isolement de son enfance ne l’avait pas fait refléchir; à peine avait-elle, d’ailleurs, connu l’existence d’une famille extérieure. Son père et sa mère, c’était tout; au delà d’eux, il n’y avait plus rien. Depuis un an elle connaissait sa tante, et la seule réflexion que cette connaissance nouvelle lui avait suggérée était que, les tantes sont faites pour remplacer les mères, mais ne les valent pas. Maintenant elle découvrait que derrière son père se groupait toute une tribu de parents hostiles.

L’idée de disparaître de ce monde par la chaussetrappe du couvent, pour laisser le champ libre aux espérances de cette tribu, ne lui vint pas un seul instant. Mais elle se demanda, avec une âpreté de désir qui ne devait plus la quitter, comment elle ferait pour vivre, malgré la conspiration de tous les intérêts contre sa vie; comment elle déjouerait les plans de sa terrible tante.

Edmée n’avait aucun moyen d’action. Elle était in manu autant que créature humaine peut l’être.

Oh! comme elle le sentit, dès qu’il s’agit de chercher à se soustraire à la fatalité de sa situation! Tout, au-devant d’elle, était borne ou obstacle. Aux impossibilités de fait qui l’enfermaient au logis et lui interdisaient de s’épancher dans un cœur, de demander une protection, venaient se joindre lesconvenances, comme autant de liens qui la garrottaient. Son père était le seul être qu’elle pût espérer apitoyer sur son sort; et son père était le principal intéressé au sacrifice dont elle devait être la victime; d’ailleurs, elle ne voulait pas sciemment être un obstacle au salut de son père.

Que faire? les jours étaient comptés, et elle se trouvait enfermée dans ce petit appartement de sa tante, autant qu’elle devait l’être au couvent quelques semaines après. Les idées les plus étranges, les plus romanesques, les plus impossibles à réaliser hantaient ce jeune cerveau en fermentation. C’en était fait: l’enfant insouciante avait disparu pour faire place à une jeune fille exaltée, dévorée de rêves dangereux, prête à faire n’importe quelle folie, n’importe quelle faute peut-être, si cette folie ou cette faute devait la soustraire au sort que la force des choses lui préparait.

Ah! si quelque beau damoiseau amoureux… ou quelque aventurier entreprenant lui eussent proposé de l’enlever, comme elle aurait fui, peut-être!–sans regarder en arrière!

Mais il ne venait chez sa tante que de respectables douairières, des hommes graves, des prêtres, et tous ces gens-là s’occupaient moins d’elle que du petit chien de madame de Clérac.

Que si, par hasard, quelqu’un la remarquait, madame de Clérac coupait court à toutes les réflexions par un mot:

–C’est une jeune fille de ma famille qui va, dans quinze jours, entrer en religion.

On répondait:–Ah?… Dieu bénisse sa vocation!

Et la pauvre Edmée croyait sentir la lourde porte du couvent se refermer sur elle.

Révoltée!

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