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II

Table des matières

La traversée fut une fêté pour Edmée et l’arrivée à Montevideo une surprise.

La ville est belle et régulièrement bâtie, comme toutes les villes américaines; point d’imprévu, d’ailleurs, et, en descendant sur la plage, elle aurait pu se croire à Bordeaux.

Dans cette belle ville, la maison attribuée au consulat de France était l’une des plus confortables.

Là, tout était prêt pour recevoir le nouveau consul et sa femme; et, dès leur arrivée, elle se sentit la souveraine du personnel du consulat et du groupe de Français résidants. L’aisance de la vie et la dignité du service, aussi, la frappèrent.

Quelle distance de cette situation sociale à celle de son père, chétif employé d’une préfecture de province et de cette large vie à la sordide existence de sa tante! Sans doute il ne fallait plus songer à la folle liberté de son enfance, et son rang lui commandait le maintien d’une femme. Mais naturellement elle accédait à la gravité de sa nouvelle position. L’enfant était étonnée et la jeune fille, d’ailleurs, commençait à poindre avec l’aurore des seize ans de madame la baronne de la Chesnaie. Et puis, tout cet ensemble était si nouveau! Edmée avait tant de choses à apprendre!

En outre de sa maison de ville, madame de la Chesnaie eut bientôt une villa délicieuse accrochée aux pentes qui dominent la mer, de beaux ombrages, des fleurs, des terrasses à balustres garnies d’orangers. Ces villas ou quintas sont, comme on le sait, l’orgueil et le plaisir des habitants de Montevideo.

Elle était de toutes les fêtes et les premières places lui revenaient de droit. Le baron de la Chesnaie voulait qu’elle fût aussi la plus élégante. En partant de Paris, on avait laissé à l’une des couturières en renom la robe de communiante allongée qui avait servi de robe de noces, en lui commandant de faire et d’envoyer, par les premiers navires, des robes de ville et de soirée adaptées aux diverses circonstances, des chapeaux et guirlandes assorties.

Edmée, quand elle se vit ainsi parée, ne se trouva plus la même et crut entrer dans un autre monde et dans une autre vie. Les choses lui apparurent sous un aspect nouveau. En prenant la robe basse, le diadème au front, les diamants au cou, elle sortit peu à peu de sa gaîne de petite fille et se sentit devenir, en effet, «madame la baronne de la Chesnaie».

Enfant encore, sans doute, jeune fille toujours, mais presque femme par l’abord et la tenue.

D’ailleurs, elle était vraiment jolie, quoique pas assez grande encore et un peu maigre. Et, dans ses cheveux cendrés, relevés de fils d’or, des diamants, montés sur tige tremblante et mêlés parmi les fleurs, allaient bien. Elle avait avec cela une longue robe de satin blanc, avec un velours noir au cou, et des gants très longs qui cachaient ses bras trop jeunes.

Le baron de la Chesnaie prenait à la faire belle un plaisir extrême. Depuis qu’il avait hérité de son vieux parent, ses revenus s’étaient accumulés, et il pouvait, pour embellir son idole, laisser glisser sans compter l’or entre ses doigts.

Quelle joie pour lui de la contempler quand elle était sertie comme un bijou de prix, et toute rayonnante du plaisir d’être belle, admirée, adorée!

Cela suffisait encore à le rendre parfaitement heureux.

Souvent, d’ailleurs, la chère créature se jetait à son cou, dans ses bras, et lui disait:

–Oh! que vous êtes bon! et comme je vous aime!

Il la traitait comme sa fille toujours, mais voulait qu’on la considérât comme sa femme.

Dans le monde, on voyait bien l’exaltation et la chasteté de son amour; et peut-être que si Edmée avait eu seulement vingt ans, au lieu de n’en avoir que seize, ou dix-sept, ce ménage singulier eût éveillé la curiosité; mais elle était si près de l’enfance encore, qu’on ne sentait que du respect pour l’ardente et pure tendresse de ce vieux mari et la reconnaissante affection de cette jeune femme.

M. de la Chesnaie lui faisait donner des leçons de musique et de chant; de dessin, d’espagnol et d’anglais. La femme d’un de nos principaux agents consulaires ne devait-elle pas connaître les langues les plus usitées dans le pays où elle était appelée à tenir son rang? Ne fallait-il pas aussi qu’elle comprît et aimât les arts?

Edmée, du reste, était admirablement douée; elle avait une voix charmante; mais son éducation avait été un peu négligée. A la mort de sa mère, elle ne savait pas grand’chose; et, depuis, sa tante ne s’était guère occupée de l’instruire. N’aurait–elle pas du temps de reste pour cela au couvent? Et, d’ailleurs, à quoi bon?

M. de la Chesnaie prit lui-même le soin délicat de faire d’Edmée une femme du monde, instruite, aimable, spirituelle autant que jolie et élégante. Et, dans cette tâche d’initiateur, que de plaisirs encore il rencontra! que de fleurs de l’âme il cueillit et respira! idées primesautières écloses dans ce jeune cerveau, sentiments intimes pudiquement cachés dans ce cœur d’enfant, naïvetés délicieuses, finesses exquises, illuminations imprévues.

L’ignorance d’Edmée lui fut une jouissance de plus. Tout était à révéler à cet esprit inculte, à cette pensée si nouvellement éveillée. Cependant, parfois, en voyant cette intelligence si vive, cette imagination si prompte à prendre son essor, et je ne sais quel flot désordonné de sentiments et de pensées qui se confondaient, d’impressions irraisonnées, de soudains éclats, il prenait peur de son ouvrage comme s’il avait développé en face de lui une force qu’il n’était pas sûr d’avoir les moyens de diriger ou la puissance de contenir.

Mais ce n’était qu’un éclair dans le ciel sans nuage de son bonheur.

Révoltée!

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