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VII

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Cependant la rue était noire: plus une boutique ouverte; les passants se faisaient rares… De temps en temps, un pas pressé qui rendait le pavé sonore; puis un coup de sonnette et une porte cochère qui se refermait; ce qui voulait dire que, des habitants de la rue de l’Université, ceux qui étaient chez eux se couchaient; et ceux qui étaient sortis rentraient pour se coucher.

«Un… deux… trois… quatre… cinq… six… sept… «Douze!» Les douze coups sonnèrent, d’abord à Saint-Sulpice, puis à Saint-Germain-des-Prés. Edmée les compta bien.

Minuit! Certes, à minuit, il n’y avait plus d’espérance de voir la moindre lumière derrière les rideaux du baron de la Chesnaie… Cependant, si elle n’eût craint d’éveiller sa tante, elle serait bien allée, sur la pointe des pieds, jusqu’à la fenêtre de la chambre pour regarder une dernière fois.

Elle se dressa sur son séant, sortit ses jambes du lit, se leva… Allons! sa tante dormait; elle pouvait passer sans bruit le long de son lit, et…

Dans la chambre, il y avait un tapis; elle l’effleurait à peine de ses pieds nus, tandis que son cœur battait… Cependant elle atteignit la fenêtre… souleva le rideau…

Ne se trompait-elle pas? Était-ce vraiment la fenêtre du baron de la Chesnaie qui était éclairée? Vite elle avait laissé retomber le rideau, de peur d’être vue. Pourtant, elle voulait compter les fenêtres de l’hôtel, voir si c’était bien celle-là… si la lumière restait immobile ou bien n’avait été que rapide et accidentelle. Mais…

«Une… deux… troix… quatre…»

C’était la pendule de sa tante, cette terrible pendule qui sonnait comme une cloche, et qui parlait à son tour, pour annoncer minuit, cinq minutes après les autres.

Et alors madame de Clérac:

–Edmée… mon enfant… entends-tu? C’est l’heure sacrée… où, dans l’étable de Bethléem…

Plus morte que vive, Edmée s’était baissée instinctivement pour ne pas laisser sa silhouette se détacher dans la pénombre, et à la faveur des mouvements de sa tante, qui se retournait dans le lit, elle rampait sur le tapis, pour retourner vers son alcôve.

–A cette heure comme à toute heure.

Jésus et Marie soient dans nos cœurs…

Qu’ils y vivent, qu’ils y règnent…

Mais tu dors?

–…Qu’ils y fassent leur demeure.

balbutia la pauvre petite, enfin parvenue dans sa ruelle.

Ah! comme–lorsqu’elle fut rentrée dans son lit et qu’elle eut achevé à mi-voix les patenôtres dont sa tante faisait les répons,–comme elle sentit bondir en son cœur un mouvement de révolte et de colère

Quel esclavage!

Mais avait-elle vraiment vu cette lumière? l’avait-elle vue?… Mon Dieu! son rêve se réaliserait-il? La princesse captive aurait-elle, comme dans les contes de fées, trouvé le prince Charmant qui la délivre?

Elle ne se dit pas un seul instant que ce prince Charmant, s’il était là, derrière les fenêtres de l’hôtel vis-à-vis, était un homme de cinquante ans… qui aurait pu être son grand’père; un vieux garçon qui avait vécu depuis sa jeunesse loin du monde. Non! pour elle, c’était un génie bienfaisant, un dieu protecteur dont elle recevrait la délivrance et la liberté; elle sentit un élan dans son cœur et pensa que c’était de l’amour.

Si pourtant elle s’était trompée! s’il n’avait pas reçu sa lettre et que sa fenêtre se fût trouvée éclairée par hasard?

Elle ne dormit pas, malgré ses quinze ans, et passa la nuit à rouler des projets dans son imagination.

«Que devait-elle faire maintenant? Fallait-il livrer son nom au baron de la Chesnaie? lui tout dire avec sincérité? ou bien lui demander un autre signe, plus net, de son consentement? car cette lumière ne semblait pas avoir été mise là intentionnellement et comme un signal.»

Et de fait, le baron, après un combat dont il avait honte, s’était couché à dix heures, rapidement, comme un homme qui craint d’être surpris par la tentation.

Mais une fois couché, son esprit battant la campagne, il n’avait pu dormir! Et il avait voulu relire la lettre singulière qu’il avait reçue le matin.

C’était bien là une écriture de pensionnaire! Les lettres majuscules sentaient, d’une lieue, l’exemple d’écriture; on devinait l’application de l’écolière! Et puis c’était solennel. Il y avait une marge! Les sentiments indiqués là, d’autre part, ne pouvaient être ressentis par une grisette capable de guetter d’une mansarde l’effet de sa mystification?

–Bah! se dit-il, si c’était vrai, pourquoi contrister la fierté d’une jeune fille? je pourrai toujours, si cela va plus loin, lui représenter que je suis un vieillard, qu’elle rêve une insigne folie. Et si c’est une mystification, eh bien, que m’importe, après tout? Mieux vaut être dupe que d’affliger une jeune fille peut-être déjà malheureuse.

Le baron de la Chesnaie était bon.

Il prit cependant un terme moyen pour ne pas encourager les illusions, pour ne pas faire un succès complet à la mystification, si c’était d’une mystification qu’il s’agissait.

Il prit un journal et le lut près de son feu mourant. La cheminée était proche de la fenêtre.

Le lendemain matin, il reçut un nouveau billet:

«Monsieur,

» En voyant vers minuit–c’était bien tard!–un peu de lumière à votre fenêtre, j’ai compris que si vous ne vouliez pas donner d’encouragement à la bizarre proposition que vous aviez reçue, vous n’y opposiez pas cependant un refus absolu. C’est tout ce que je voulais. Je viens donc à vous avec franchise, comptant absolument sur votre loyauté de gentilhomme, et sachant bien que, quelle que soit votre décision, vous ne me livrerez pas à ma famille.

» Je me nomme Edmée Le Dam d’Anjault, et je n’ai que quinze ans. Vous allez rire de moi comme d’une petite fille folle. Hélas! j’ai pris de l’âge, sans prendre des années. Il y a un mois, je n’avais pas l’idée de tout ce que je sais aujourd’hui; j’étais vraiment une enfant; je ne connaissais pas mon bonheur! Aujourd’hui j’ai appris que, par des raisons de famille, à ce qu’il paraît irréfutables, je suis un pauvre être, venu mal à propos sur la terre, et qui doit sortir de la famille où il est entré par effraction. Il y avait deux issues pour me mettre dehors: le mariage et le couvent. On a trouvé que le mariage était trop difficile pour moi; on s’est décidé pour le couvent, où je dois être mise, sans rémission, avant quinze jours.

» Mon père a un pied à terre dans l’hôtel où vous logez; ma tante, la vicomtesse de Clérac, chez laquelle je suis, demeure en face. Vous pourrez facilement vous renseigner sur la vérité de tout ce que je vous dis.

» C’est dans ces circonstances que j’ai entendu parler de vous dans les termes que je vous ai rapportés. Peut-être, ai-je pensé, serait-il content d’avoir à lui et d’emmener là-bas, où il va, une petite femme qui lui devrait tout et qui l’aimerait bien!

» Voilà tout, monsieur; j’aurais préféré ne pas être obligée de vous le dire comme cela; mais je sens que la plus complète franchise peut seule excuser ma démarche.

» Je vous ai vu; je trouve que vous avez une figure noble et qui inspire la sympathie. Pour moi, bien qu’on m’ait dit que j’étais gentille, peut-être que je ne vous plairai pas, parce que je suis maigre et mal mise. Peut-être aussi me trouverez-vous trop jeune.

» En ce cas-là, il faudra me laisser à mon sort; j’irai au couvent; car si je souhaite d’être prise à ma famille par un homme bon qui serait heureux de m’emporter, il y a une chose que je ne voudrais jamais: ce serait d’être épousée par pitié!

» EDMÉE LE DAM D’ANJAULT.»

Le baron de la Chesnaie eut une larme dans les yeux, une chaleur au cœur.

–Pauvre petite! se dit-il. Et, l’idée d’être la providence de cette créature, rejetée des siens, le toucha.

Puis il eut comme un tressaillement de joie à penser que son long isolement pouvait cesser, et qu’il se trouvait sur la terre, tout prêt à se jeter dans ses bras, un être charmant dont l’affection, la tendresse, la grâce, la jeunesse, lui apporteraient soudain tous les bonheurs dont il était privé.

–Mais je suis fou, se dit-il ensuite.

Révoltée!

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