Читать книгу La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières - David D. Reitsam - Страница 10
Partie I – Dimension politique
Оглавление« Les bruits des parlements ne sont plus de saison1. » Ces mots de Jean-Baptiste Colbert, Jean-BaptisteColbert résument bien les premières années du règne personnel de Louis XIVLouis XIV. À partir de 1661, le jeune monarque commence à centraliser le pouvoir : il réduit massivement le droit de remontrance des parlements et change leurs statuts ; ils perdent notamment le droit de s’appeler « cours souveraines » et deviennent des « cours suprêmes ». Ce changement de titre n’est qu’une mesure symbolique, mais éloquente des nouveaux rapports de force qui s’installent et dont bénéficie principalement le roi2. Dans le même temps, la noblesse d’épée perd de l’influence au profit des ministres dotés d’un savoir-faire technique, comme par exemple, Colbert, Jean-BaptisteColbert ou LouvoisLouvois. Par conséquent, mais sans entrer dans la discussion qui entoure la notion d’« absolutisme3 », il faut constater qu’il existe un affaiblissement remarquable d’une partie des institutions traditionnelles dont bénéficient le roi et sa cour. Selon Andreas Gestrich, ce changement structurel entraîne cependant un certain vide de pouvoir et un manque de légitimation que la royauté doit combler. Gestrich évoque à ce titre « un processus permanent de communication entre le roi et ses sujets4 » ; il paraît évident que le Nouveau Mercure galant, comme successeur du Mercure galant de Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé, continue à y jouer un rôle en tant que revue semi-officielle. Monique Vincent, par exemple, estime que « [l]a dédicace au Roi est à elle seule tout un programme. Elle marque une orientation qui sera réitérée à chaque livraison5 » et Suzanne Dumouchel décrie les différents Mercures du XVIIIe siècle comme des « instrument[s] du pouvoir royal6 ».
Tout comme le Nouveau Mercure galant qui forme donc une revue hautement politique – trait de caractère qui est renforcé par sa périodicité7 –, la Querelle des Anciens et des Modernes a également une dimension politique. Ceci est souligné par les recherches de Marc Fumaroli ou Larry F. Norman qui évoquent, notamment, le problème de la bonne glorification du roi8 ou le comportement digne d’un bon noble exemplaire. Ainsi, au vu de la grande présence de la Querelle d’Homère dans le périodique et de sa mission politique, la question de savoir dans quelle mesure les propos politiques du périodique reflètent la dualité des Anciens et des Modernes qui marque la société française au début du XVIIIe siècle s’impose.
Afin de répondre à cette problématique, plusieurs aspects attirent notre attention. Tout d’abord, nous nous pencherons sur la société d’ordres et notamment sur les héros de l’Iliade. Nous étudierons s’ils constituent toujours des modèles pour les nobles français et quels sont les idéaux du deuxième ordre du royaume. Dans ce sous-chapitre, nous verrons aussi si les contributeurs du périodique s’intéressent à l’état réel, donc précaire, de la noblesse d’épée du royaume ou, au contraire, s’ils développent un discours plutôt abstrait et théorique. Par la suite, nous aborderons encore la question complexe de l’unification du royaume – qui est étroitement liée à celle de la concentration du pouvoir9 – c’est-à-dire que nous étudierons le prestige accordé au français et, en nous fondant sur l’exemple de la Querelle d’Homère, nous analyserons dans quelle mesure un espace public, c’est-à-dire une communauté qui participe d’une manière active à un échange d’opinions et d’idées, existait déjà à l’aube des Lumières10.
Puis, la question hautement politique de la bonne glorification du roi sera discutée. Les différentes manières de chanter les éloges de Louis XIVLouis XIV et de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans seront mises en avant et principalement le recours ou l’absence des références à l’histoire, notamment au monde gréco-romain. Mais, comme la mort du roi-soleil n’a guère attristé ses sujets11, nous nous interrogerons également sur une possible démarcation du défunt roi : les contributeurs et auteurs du périodique osent-ils dénoncer les dérives de la politique royale malgré l’orientation du Nouveau Mercure galant ? Et, étant donné que le Régent a d’autres convictions et prédilections que Louis XIVLouis XIV, il sera également nécessaire de s’intéresser à sa politique culturelle qui est, par exemple, marquée par le retour de la Comédie-Italienne.
Enfin, la femme et sa position dans le champ littéraire attireront notre attention : la Querelle d’Homère est-elle également une Querelle des Femmes ? Ou encore, quel accueil le Nouveau Mercure galant – en théorie une revue qui s’adresse spécialement aux femmes – accorde-t-il à Anne Dacier, une figure-clé de l’époque du roi-soleil ? Néanmoins, il faut également préciser les limites de ce chapitre : premièrement, il n’y sera question que des femmes nobles ou appartenant aux premières familles de la bourgeoisie naissante, puisque le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay s’adresse particulièrement à elles depuis sa création12. Et, deuxièmement, selon Gisela Bock et Margarete Zimmermann, un aspect fondamental de la Querelle des Femmes reste la critique du mariage13. Dans le Nouveau Mercure galant, cette problématique est principalement abordée dans les nouvelles galantes qui sont publiées chaque mois dans la revue et qui s’inspirent de l’exemple de la Princesse de Clèves, le grand roman à succès de la deuxième moitié du XVIIe siècle et, par ailleurs, le moment central d’une autre phase de la Querelle des Femmes14. Or, dans la revue, ces textes contribuent également à la propagation du genre romanesque. La critique du mariage ne constitue pas leur unique thème et cela nous amène à évoquer les nouvelles galantes dans le chapitre consacré à la critique du goût. Le but en est de pouvoir présenter une étude complète et non-morcelée de ce genre. Malgré ces restrictions, il s’agit d’un chapitre polyvalent qui pourrait trouver sa place également dans d’autres parties. Si nous avons décidé de l’insérer ici, la raison en est simple : tout en abordant des sujets comme la perfectibilité de la femme, il y est surtout question des attentes sociales à l’égard des femmes que le Nouveau Mercure galant contribue à propager.
Le fil rouge qui traversera toute cette partie restera cependant la dualité entre les Anciens et les Modernes et la question de savoir dans quelle mesure celle-ci se retrouve dans le Nouveau Mercure galant. Cette ligne directrice sera reprise d’une manière plus conséquente dans la conclusion dans laquelle nous établirons un bilan et préciserons également, grâce aux études suivantes d’une façon plus approfondie, la nature du périodique.