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Le cas de Philippe d’Orléans

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ÉtantLouis XIV donné le jeune âge du futur Louis XVLouis XV à la mort de son arrière-grand-père, le royaume de France connaît de 1715 à 1723 une Régence qui est assurée par Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans. Ainsi, à partir d’octobre 1715, la propagande royale dans le Nouveau Mercure galant évolue et les lecteurs y trouvent régulièrement des odes à la gloire de Louis XIVLouis XIV – on vient de le voir –, mais également des pièces célébrant le Régent. Le signe le plus ostentatoire en est certainement la dédicace du périodique : désormais, à la page trois de chaque livraison, il y a un hommage « [à] son Altesse Royale Monseigneur le Duc de Chartres1 », c’est-à-dire à Louis d’OrléansLouis d’Orléans, le fils aîné du Régent. Notre intérêt principal se porte cependant sur la présence de références au monde ancien – ou sur leur absence – dans la glorification du Régent.

Un premier coup d’œil révèle bien des parallèles entre les textes dédiés à Louis XIVLouis XIV et ceux consacrés au Régent. Les lecteurs retrouvent donc de nombreux éléments qu’ils connaissent déjà : en avril 1716, par exemple, un certain « M. Gabriel Capitaine de Dragons » estime que Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans est supérieur à « [c]e César, Jules [Cesar]Cesar, ce grand Alexandre le GrandAlexandre2 » puisqu’il respecte les bienfaits de la paix et parce que faire la guerre ne constitue guère une fin en soi pour lui – une qualité qui fut également mise en avant dans des odes à la gloire du roi-soleil, voir notamment les contributions de Mademoiselle Deshoulières, Antoinette-Thérèse, MademoiselleDeshoulières et de Pierre-Charles Roy, Pierre-CharlesRoy.

Les comparaisons des personnages mythiques forment une autre similitude. Dans la livraison de juillet 1716, Hardouin Le Fèvre de Fontenay présente à son public un « Extrait des Réjoüissances qui ont esté faites pour le rétablissement de la santé de Monsieur le Duc. Relation qui vaut la meilleure Histoire que puisse vous donner l’Auteur de ce Journal3 ». Le responsable du Nouveau Mercure galant y résume la maladie et la guérison de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans avant de décrire les festivités qui sont organisées pour célébrer son « rétablissement ». Il y reproduit également certains vers qui, selon lui, furent présentés au guéri par un mystérieux « Magister [mise en italique dans l’original] 4 ». Celui-ci rappelle les hauts faits des ancêtres du Régent et constate ensuite :

A la chasse il sonne du Cor,

Il est Prince à la Ville,

Dans les Conseils c’est un Nestor Nestor,

A Fribourg un AchilleAchille [mise en italique dans l’original]5.

IlLouis XIV n’est pas clair de quelle bataille de Fribourg il est question dans ce poème, mais ce qui nous intéresse – et ce qui a certainement choqué Houdar de La Motte s’il a lu la revue –, c’est la comparaison de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans à NestorNestor et à AchilleAchille, deux héros de l’Iliade. Curieusement, cette parallèle ne forme pas non plus une innovation ; rappelons-nous l’ode de Pierre-Charles Roy, Pierre-CharlesRoy qui fut publiée dans le Nouveau Mercure galant d’octobre 1715.

La présence d’HerculeHercule dans la glorification du Régent est encore plus classique, mais en même temps assez audacieuse. Certes, des contributeurs au Nouveau Mercure galant n’hésitent pas non plus à décrire Louis XIVLouis XIV comme un « autre AlcideHerculeAlcide6 » et un « jeune AlcideHerculeAlcide7 », mais dans la livraison d’août 1716, la comparaison avec le fils de ZeusZeus et d’AlcmèneAlcmène permet de présenter le Régent comme un nouveau Louis XIIILouis XIII. Étant donné qu’il s’agit d’une brève contribution, la voilà dans son intégralité :

Je [Hardouin Le Fèvre de Fontenay] ne peux mieux fermer ce Volume que par cette Devise à la louange de nostre Regent. En voicy l’Histoire. Un Aumônier de Madame Duchesse de Berry, a presenté à cette Princesse un Portrait de M. le Duc d’Orleans, au bas duquel Portait est un HerculeHercule avec sa massuë, & autour cette devise.

Nec mole gravatur,

Et au-dessous ces deux Vers.

Mars Mars fuit Hispanis, invictam stradit Ilerdam.

Jupiter Jupiter est Gallis, PhœbusApollon Phœbus et alma Ceres

[Toutes les mises en italique d’après l’original]8.

Une description qui rappelle un tableau de Claude Vignon, ClaudeVignon : l’« HerculeHercule Admirandus » qui a été peint pour le Cardinal RichelieuRichelieu en 1634 et qui a été repris par Abraham Bosse, AbrahamBosse dans une gravure vastement diffusée pour glorifier Louis XIIILouis XIII9. Il paraît donc plausible que l’artiste qui a fait le portrait dont il est question dans le Nouveau Mercure galant ait vu auparavant la peinture représentant Louis XIIILouis XIII. De plus, à plusieurs décennies d’écart, les deux œuvres célèbrent des victoires militaires en Espagne : en reprenant des éléments de la propagande royale de Louis XIIILouis XIII et Louis XIVLouis XIV, Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans est donc inscrit dans la tradition des Bourbons et il apparaît ainsi comme un souverain légitime.

Le Louis XIVregard vers le passé ne constitue cependant pas une obligation et les glorificateurs du Régent sont également à même de se passer des modèles historiques pour célébrer Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans – un autre parallèle entre lui et Louis XIVLouis XIV. Un bon exemple se trouve dans le Nouveau Mercure galant d’octobre 1716, la dernière livraison dont Hardouin Le Fèvre de Fontenay est le responsable. Il y publie l’« Epitre à son Altesse Royale Monseigneur Petit Fils de France, Regent du Royaume, Duc d’Orleans10 » de « M. le Baron de S. Martin11 » qui lui dédie son « Traité des Fortifications12 ». Selon Marc Fumaroli, c’est un domaine dans lequel la suprématie des Modernes sur l’Antiquité se manifeste le plus13 et par conséquent, il n’est pas étonnant que le Baron de S. Martin n’évoque aucun général macédonien ou romain pour célébrer le génie militaire de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans. Au lieu de le décrire comme un nouveau César, Jules [Cesar]César, il se contente simplement de présenter les faits extraordinaires du Régent : « Tant de Villes enlevées en si peu de jours & réduites par vos soins sous l’obéïssance de leur Souverain légitime, ont veu dans leurs attaques avec quelle habileté vous sҫaviez vous-même ordonner, conduire & perfectionner les ouvrages14. » Par conséquent, force est de constater que la mise en scène du Régent ne se distingue guère de la glorification dont profite Louis XIVLouis XIV dans le Nouveau Mercure galant. Il existe cependant une exception qui confirme la règle. Il s’agit de TitusTitus.

Le fils de VespasienVespasien et son successeur sur le trône impérial – fait son entrée dans la propagande royale développée par Hardouin Le Fèvre de Fontenay et ses divers contributeurs. Dans la livraison d’octobre 1715, l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons essaie de consoler le peuple triste qui pleure la mort de Louis XIVLouis XIV. Après avoir vanté les qualités de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans qu’il présente comme une incarnation de MinerveMinerve et d’HerculeHercule15, il s’adresse à une « Muse indiscrete16 » :

Aux Auteurs qu’ApollonApollon inspire ;

Dis, si tu peux, ce que je sens.

Vous qu’une noble ardeur anime

A chanter son nom, ses vertus ;

Meritez, s’il se peut, l’estime

D’un Prince plus grand que TitusTitus.

[…]

Prince que la France revere,

Moins par le sang & le pouvoir,

Que par le sacré caractère

Que le Ciel en vous nous fait voir17.

AvantLouis XIV d’analyser ce passage, il faut encore étudier un « Portrait […] [du] Regent du Royaume » qui fut intégré dans le numéro de janvier 1716. Il s’agit d’une brève ode d’un certain « Le Fort de La Moriniere ». Celui-ci inscrit Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans dans la longue liste de « nos Rois […] [et] des plus fameux Guerriers, que nous vante l’Histoire18 », mais il s’abstient de donner des noms. Uniquement dans la deuxième partie de ses vers, il évoque un seul personnage historique par son nom et érige Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans en « nouveau TitusTitus19 ».

Face à ce nouveau visage parmi les héros antiques présents dans le périodique, il faut s’interroger sur les origines de ce recours à TitusTitus qui distingue la glorification du Régent de celle du défunt roi-soleil. Premièrement, il faut constater qu’à l’époque moderne, tout en étant moins présent qu’Alexandre le GrandAlexandre le Grand, TitusTitus ne fut, par exemple, pas un absent de la propagande royale française. Chantal Grell et Christian Michel soulignent qu’il incarne au XVIIe siècle l’« archétype du bon prince20 ». Et Marc Fumaroli le situe au même niveau qu’Alexandre le GrandAlexandre, César, Jules [Cesar]César ou AugusteAuguste21. Ainsi et sans surprise, l’empereur romain se trouve bien au château de Versailles. Dans sa Nouvelle description des chasteaux et parcs de Versailles et Marly, Jean-Aymar Piganiol de la Force, Jean-AymarPiganiol de la Force explique en décrivant la décoration du « Cabinet du Billard » : « Le triomphe de VespasienVespasien & de TitusTitus ; par Jules-Romain. Ce Tableau est sur bois, & a trois pieds huit pouces & demis de haut, sur cinq pieds trois pouces de large22. » De plus, depuis 1694, il y a à Versailles une galerie regroupant 84 bustes d’empereurs romains dont un de TitusTitus également23.

DeuxièmementLouis XIV, il ne faut pas oublier une pièce de théâtre qui a connu un grand succès au siècle de Louis XIVLouis XIV. Le TitusTitus le plus connu à l’époque du roi-soleil fut certainement celui de Jean Racine, JeanRacine24. L’écrivain a fait de TitusTitus un des personnages principaux de sa tragédie Bérénice qui fut présentée sur scène pour la première fois en 1670 : déchiré entre son amour pour Bérénice, une reine étrangère, et son devoir en tant qu’empereur qui lui interdit d’épouser ladite dame, le TitusTitus de Racine, JeanRacine choisit la raison d’État et abandonne son amour pour garantir le bonheur de son peuple25 devenant de cette manière l’incarnation du « bon prince26 » par excellence. De ce fait, les vers de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons qui font l’éloge du « sacré caractère27 » du « nouveau TitusTitus28 » paraissent moins surprenants et il semble que le versificateur essaie de mettre la bonne réputation de TitusTitus au service de la Régence.

De même, le choix des contributeurs au Nouveau Mercure galant semble paradoxal. Comparer Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans et non pas Louis XIVLouis XIV à TitusTitus demande une explication : selon Stanis Perez, lorsque Bérénice est représentée en 1670, les contemporains de Louis XIVLouis XIV n’ont pas hésité à rapprocher leur souverain du personnage de Jean Racine, JeanRacine. D’après Perez, l’amour impossible entre Bérénice et TitusTitus leur a rappelé la liaison entre le jeune Louis XIVLouis XIV et Marie Mancini, MarieMancini, une nièce de Mazarin. Tout comme le héros de la tragédie, le jeune monarque a renoncé à son véritable amour pour épouser l’infante Marie-ThérèseMarie-Thérèse et ne pas mettre en danger la paix des Pyrénées29. Or, au début du XVIIIe siècle, ce sacrifice de Louis XIVLouis XIV semble oublié et la notion de « raison d’État » est associé davantage au Régent qu’au défunt roi30.

Finalement, Louis XIVforce est de constater que, à quelques nuances près, comme par exemple la comparaison de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans avec TitusTitus, il n’y a guère de différences entre les glorifications du roi-soleil et du Régent. Comme Louis XIVLouis XIV, Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans est comparé à HerculeHercule et décrit comme supérieur à Jules César, Jules [Cesar]César ou AugusteAuguste.

En définitive, nous pouvons observer que si quelques contributions, celle de Mademoiselle Deshoulières, Antoinette-Thérèse, MademoiselleDeshoulières par exemple, peuvent se passer de personnages historiques ou mythologiques, ceux-ci sont pourtant bien présents dans le Nouveau Mercure galant. Les lecteurs y rencontrent HerculeHercule, Alexandre le GrandAlexandre le Grand, Jules César, Jules [Cesar]César ou Louis IXSaint Louis – pour n’en citer que quelques exemples.

Cette persévérance de différentes stratégies élogieuses illustre le triomphe partiel des idées des Modernes qui, à l’instar de Charles Perrault, CharlesPerrault, rêvent de bannir de la glorification royale toute allusion au passé. Ils redoutent que ces héros antiques soient utilisés pour critiquer le pouvoir royal en place et présenter un modèle politique alternatif. Étant donné que l’établissement d’un premier inventaire des références historiques ne nous a pas encore fourni d’exemples d’une telle mobilisation de l’ancien monde, il faut désormais se pencher plus sérieusement sur la question de savoir s’il existe des contributions dont les auteurs formulent une critique du pouvoir, aussi cachée qu’elle puisse être. Dans ce contexte, il sera également primordial de relire au deuxième degré les louanges étudiées auparavant.

La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières

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