Читать книгу La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières - David D. Reitsam - Страница 11
1. Questions sociétales : un pouvoir centralisé et fort 1.1 Promotion des institutions monarchiques ou la société d’ordres
ОглавлениеPaysans, chevaliers et clercs – la tripartition de la société qui marque le monde occidental depuis le Moyen Âge perdure au XVIIe et au XVIIIe siècle. L’aristocratie constitue toujours l’idéal sociétal de l’époque et les riches membres du Tiers état, par exemple les commerçants les plus prospères, rêvent d’obtenir des titres de noblesse1. De même, la vieille aristocratie d’épée doit faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation et d’intégration tout en perdant son influence politique et en assistant à la montée de la noblesse de robe qui regroupe les éléments les plus doués du Tiers état2. Un développement qui reflète le besoin toujours grandissant d’experts maîtrisant les nouvelles découvertes et innovations techniques3. Cependant, face à ce bouleversement, la vieille noblesse de sang n’abdique pas. Au contraire, selon Frédérique Leferme-Falguières, elle se défend et entretient la « fiction de son utilité et de son savoir-faire militaires4 », par exemple en mettant en valeur la « promotion de nouveaux chevaliers […], l’une des cérémonies les plus importantes de la cour5 ». Cette mise en avant d’un monde d’hier reste un argument central de la noblesse qui devra défendre ses privilèges pendant tout le XVIIIe siècle. Par exemple, dans les remontrances de 1776, dans lesquelles les représentants du deuxième ordre au Parlement de Paris rejettent les réformes fiscales d’Anne Robert Jacques Turgot, Anne Robert JacquesTurgot, ce motif se retrouve également :
Ainsi les descendants de ces anciens chevaliers qui ont placé ou soutenu la couronne sur la tête des aïeux de Votre Majesté, les lignées pauvres et vertueuses qui, depuis tant de siècles, ont prodigué leur sang pour l’accroissement et la défense de la monarchie, ont négligé le soin de leur propre fortune et l’ont souvent consommée, pour se livrer tout entier au soin dont le bien public est l’objet6.
Certes, il s’agit d’un plaidoyer ardent en faveur des privilèges du deuxième ordre, mais, l’argument central n’est guère novateur : la noblesse donne tout pour servir son roi et les allusions aux « anciens chevaliers » ainsi qu’à la « défense de la monarchie » soulignent autant le courage des nobles d’épée que la nature militaire de ce service qui, à en croire les auteurs de ce manifeste, demande de nombreux sacrifices7.
Par conséquent, les révoltes contre les monarchies européennes de la deuxième moitié du XVIIe siècle, comme la conspiration de Lauréamont menée par le chevalier Louis de Rohan-Guémené, Louis deRohan-Guémené et démasquée en 16748 ou la Glorieuse Révolution en Angleterre en 1688 et 1689, sont habilement omises et les autorités veulent les chasser de la mémoire collective. Ces agissements ne constituent simplement pas des exemples recommandables. Ainsi, il n’est guère surprenant de voir la réaction de Charles Perrault, CharlesPerrault face à la dispute opposant AchilleAchille à AgamemnonAgamemnon, le roi le plus important de Grèce au temps de l’Iliade et donc le commandant en chef des forces grecques pendant la guerre de Troie. Dans le Parallèle des Anciens et des Modernes, Perrault, CharlesPerrault fait dire à l’Abbé qui est son porte-parole :
Je suis offensé d’entendre AchilleAchille qui traite AgamemnonAgamemnon d’yvrogne & d’impudent, qui l’appelle sac-à-vin, & et visage de chien. Il n’est pas possible que des Roys & de grands Capitaines ayent jamais esté assez brutaux pour en user ainsi ; ou si cela est arrivé quelquefois, ce sont des mœurs trop indécentes, pour estre representées dans un Poëme, […] AchilleAchille […] me paroist mal entendu […] se moquant des loix, & croyant avoir droit de s’emparer de tout par la force des armes9.
Pour Larry F. Norman, c’est évident : tout en écrivant « AgamemnonAgamemnon », Perrault, CharlesPerrault pense à Louis XIVLouis XIV et le comportement indigne d’AchilleAchille est à même de réveiller des souvenirs douloureux d’un passé récent ; pour un lecteur de l’époque, le recours à la « force des armes » peut pointer vers les révoltes évoquées ci-dessus. Et Norman insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une surinterprétation de la part de Perrault, CharlesPerrault qui semble connaître les textes de Thomas Hobbes, ThomasHobbes10. Dans le Léviathan, celui-ci reproche également aux auteurs grecs et romains de constituer une menace pour la monarchie ; c’est la raison pour laquelle Hobbes, ThomasHobbes demande aux autorités de restreindre massivement la circulation de ces livres dangereux11. Un point de vue que partagent d’ailleurs quelques contributeurs au Nouveau Mercure galant, comme Jean-Antoine Du Cerceau, Jean-AntoineDu Cerceau ou l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons12.
Pour le moment, en revanche, il paraît primordial de se concentrer sur le comportement d’AchilleAchille et d’autres héros. Si on suit le raisonnement de Norman et de Perrault, CharlesPerrault, l’Iliade d’Homère choque car elle détruit la fiction chevaleresque chère à la noblesse et car elle peut inciter les nobles à la révolte : de ce fait, la question de savoir comment le Nouveau Mercure galant d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay traite ce passage de l’Iliade s’impose.