Читать книгу La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières - David D. Reitsam - Страница 9
Structure et repères
ОглавлениеCet outil méthodologique, qui tente de concilier l’histoire des idées et l’analyse du discours, résulte de notre volonté d’entamer une « lecture horizontale » et d’étudier les dimensions politique, esthétique et épistémologique de la Querelle d’Homère1. À première vue, cette approche paraît pourtant anachronique. Ni l’adjectif « esthétique », ni le mot « épistémologique » ne figurent dans le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, AntoineFuretière, seul le terme « politique2 » s’y trouve. Toutefois, ces trois angles d’attaque nous permettent de perfectionner la problématique générale et d’approfondir nos analyses.
Tout d’abord, nous nous intéresserons à la dimension politique de la querelle. Selon Furetière, AntoineFuretière, l’adjectif politique « concerne le gouvernement, la conduite de la vie3 ». Cette définition résume l’approche de notre première partie dans laquelle nous nous intéresserons à la vie politique dans le sens du gouvernement, sans entrer toutefois dans la discussion de mesures concrètes qui, à l’exception des campagnes militaires, ne figurent pas dans le Nouveau Mercure galant. Inspiré par les recherches d’Andreas Gestrich qui souligne l’importance d’une communication active de la part d’un prince absolu afin de légitimer son pouvoir face à ses sujets4, nous chercherons à découvrir de quelle manière les contributeurs du Nouveau Mercure galant et son responsable se prononcent sur les enjeux socio-politiques de la Querelle d’Homère. Nous voudrons, par conséquent, savoir ce qui distingue un bon d’un mauvais noble, dans quelle mesure la revue, et plus particulièrement sa réception de la querelle, contribuent à l’unification du royaume et ce qui caractérise la bonne glorification du roi, un sujet indissociable de la Querelle des Anciens et des Modernes depuis la lecture du « Siècle de Louis le Grand » à l’Académie française en 16875. Afin de mettre en relief nos résultats, nous nous pencherons également sur le changement de régime après la mort de Louis XIVLouis XIV. Le but en sera de découvrir de quelle façon l’avènement de la Régence se manifeste dans le périodique. Enfin, nous nous intéressons encore à la place des galantes femmes dans le champ littéraire ce qui nous permet d’aborder – au moins, partiellement – les attentes sociales à leur égard.
Ensuite, nous nous tournerons vers la dimension esthétique de la Querelle d’Homère. Au début du XVIIIe siècle, ce mot n’existe pas encore et il serait plus approprié de parler de la critique du goût. Cependant, au moins deux raisons justifient l’emploi anachronique de l’adjectif « esthétique ». D’un côté, selon la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française, il désigne la « science du beau6 » et, par conséquent, renvoie également à la question de savoir ce qu’est la belle littérature, ici dans le sens d’une littérature moralement irréprochable et divertissante. De l’autre, l’adjectif « esthétique » rappelle que la Querelle des Anciens et des Modernes préfigure les travaux de Jean-Baptiste Du Bos, Jean-BaptisteDu Bos ou d’Alexander Baumgarten, AlexanderBaumgarten7 et qu’elle s’inscrit dans un processus historique plus long. C’est là une perspective que nous ne voudrions pas perdre de vue, même si le cadre de nos recherches sera plus restreint : nous commencerons par la critique de l’Iliade et des traductions d’Anne Dacier et d’Houdar de La Motte avant d’étudier des réflexions plus théoriques sur ce qu’est un bon écrivain. Pour conclure cette deuxième partie, nous analyserons des exemples concrets de la littérature galante, comme les nouvelles ou les petites pièces en vers, pour voir dans quelle mesure la revue contribue à propager un idéal des belles-lettres.
Enfin, nous aborderons la dimension épistémologique de la Querelle d’Homère. De nouveau, il s’agit d’un adjectif qui ne figure ni dans le Dictionnaire universel de Furetière, AntoineFuretière, ni dans les éditions du Dictionnaire de l’Académie française de 1694 ou de 1718. Il faut en attendre même la 9e version pour qu’y entrent le substantif « épistémologie » et l’adjective qui en est dérivée. Selon les Immortels, l’« épistémologie » forme l’« [e]xamen critique des principes et méthodes qui gouvernent les sciences8 ». Ainsi, il décrit bien notre approche dans la troisième partie de ce livre : nous voudrons y découvrir l’étendue du triomphe de la méthode cartésienne du fait que même les Anciens reconnaissent les progrès effectués dans certains domaines, comme, par exemple, la médecine. Concrètement, cela signifie que nous nous interrogerons d’abord sur la place accordée aux savoirs hérités de l’Antiquité avant de questionner la notion de « progrès » pour finir sur les limites de la méthode géométrique. D’une certaine manière, ce dernier grand chapitre formera le point culminant de notre étude. En adoptant une nouvelle perspective, nous serons à même de reprendre certaines pistes que nous aurons esquissées dans les parties précédentes et de les approfondir, comme par exemple les rapports entre la culture dans un sens large et la raison d’inspiration cartésienne.
Les textes qui nous permettront de répondre à toutes ces questions sont de deux natures : la littérature de recherche et les textes primaires, tels que le Nouveau Mercure galant qui constitue notre corpus principal.
Premièrement, il faut ajouter quelques précisions techniques à propos de la revue de Le Fèvre de Fontenay qui complètent notre description déjà évoquée de la nature du Nouveau Mercure galant. De nos jours, le périodique est entièrement numérisé. Les 29 livraisons de la revue sont principalement accessibles sur « Gallica », la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France9, ou sur le « Gazetier universel », une « bibliothèque virtuelle de la presse de l’Ancien Régime10 » dont s’occupe Denis Reynaud de l’Université Lumière – Lyon 2. Par conséquent, nous avons souvent accès à plusieurs versions d’une même livraison du Mercure, ce qui nous permet d’éviter les numérisations de mauvaise qualité. Ensuite, il ne faut pas oublier que les Mercures sont constitués d’un grand nombre de contributions différentes qui traitent de la Querelle d’Homère à des degrés divers, ce qui signifie que nous devons justifier le choix de nos textes. Si une contribution fait de la querelle son sujet principal, comme un compte-rendu des Causes de la corruption du goût, Gisela Bock et Margarete Zimmermann le décrivent comme un texte de querelle de premier ordre. En revanche, un texte qui n’évoque qu’indirectement les enjeux de la querelle est considéré comme un texte de querelle de deuxième ordre11 ; un bon exemple en est une nouvelle galante qui met en avant les vertus d’un bon noble. Afin d’esquisser une carte plus complète des discours dans lesquels le Nouveau Mercure galant s’inscrit, nous n’excluons aucun texte de nos études tout en partant – si possible – des textes de querelle de premier ordre. Néanmoins, nous devons admettre que certaines sortes de textes de la revue ne joueront guère un rôle dans nos travaux : nous pensons notamment aux partitions, aux chansons12 ainsi qu’aux annonces, hormis celles des nouveaux livres13.
Deuxièmement, nous tenons à indiquer également quelques chercheurs dont les travaux jouent un rôle important pour nos propres recherches, sans pouvoir évoquer ici tous les auteurs consultés. Notre compréhension générale de la Querelle des Anciens et des Modernes ainsi que de la Querelle d’Homère est principalement fondée sur les recherches de Noémi Hepp14, Marc Fumaroli15 et Larry F. Norman16. Ils nous fournissent les informations qui nous permettent de situer la Querelle d’Homère et d’en comprendre les enjeux. Le grand ouvrage de référence est l’Homère en France au XVIIe siècle d’Hepp et, même s’il date de 1968, il constitue toujours un pilier incontournable qui résume la réception d’Homère au siècle classique. Fumaroli a donc parfaitement raison d’écrire à propos de ce livre qu’« une belle et vaste culture est ici à l’œuvre, une profonde connaissance du XVIIe siècle dans sa riche diversité17 » et qu’il forme un « instrument de travail […] admirable18 ». Tandis qu’Hepp met l’accent sur Homère, Fumaroli lui-même s’intéresse, dans son essai « Les Abeilles et les Araignées », à « la mythique ‘Querelle’ […] [dont il] retrace la genèse et […] éclaire les implications les plus profondes19 ». Cette étude, parue en 2001, forme avec les textes de querelle réunis par Anne-Marie Lecoq et un essai de Jean-Robert Armogathe un livre intitulé La Querelle des Anciens et des Modernes. Celui-ci peut être considéré, selon Jean-Pierre Landry, comme une réponse à Noémi Hepp qui déclare que les Modernes ont remporté la victoire dans la Querelle d’Homère20. Fumaroli, Lecoq et Armogathe parviennent notamment à nuancer le bilan d’Hepp en soulignant que la véritable culture n’est ni ancienne, ni moderne, mais un « va-et-vient permanent entre le passé et le présent21 ». La revalorisation des Anciens se poursuit avec l’ouvrage de Norman pour qui « les vrais modernes, ce sont les Anciens, précurseurs des Lumières et du sensualisme22 ». Dans The Shock of the Ancient, Norman décrit d’abord la distance qui sépare la France galante de l’Antiquité homérique. Ensuite, il explique dans quelle mesure la littérature antique choque les Modernes sur un plan politique, religieux et moral et, enfin, il précise « le passage de la poétique, domaine des règles de fabrication, à celui de l’esthétique naissante23 ». Cette étude nous aide énormément parce que Norman y décrit moins des événements que des idées et des discours.
Tout comme la Querelle d’Homère, le Nouveau Mercure galant constitue un sujet de recherche complexe puisque, tout en faisant partie de l’histoire de la presse, la revue d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay échappe – comme les autres titres de l’Ancien Régime – aux règles du journalisme des XIXe ou XXe siècle. À cela s’ajoute encore une autre difficulté : le Nouveau Mercure galant n’a été guère étudié jusqu’ici. En revanche, nous disposons de quelques études sur le Mercure galant de Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé24 et sur la presse du XVIIIe siècle qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement et la nature du périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay. C’est d’ailleurs l’apport principal du Mercure galant de Monique Vincent que Amy Wygant compare à un « guide25 » qui nous permet de découvrir un corpus peu accessible autrement. Si Vincent présente toute la richesse textuelle du Mercure, Christophe Schuwey26 accentue davantage son étude sur le fonctionnement éditorial du périodique de Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé qu’il décrit plutôt comme un recueil. Étant donné que Schuwey analyse aussi les attentes du public et décrit le Mercure galant comme un « salon de papier27 » ainsi qu’un « espace social virtuel », ses résultats rejoignent ceux de Suzanne Dumouchel qui propose dans Le Journal littéraire une « étude des pratiques culturelles à l’œuvre dans le journal littéraire28 » au XVIIIe siècle. Ainsi favorise-t-elle en avant les lecteurs, leurs pratiques et leurs rapports avec le périodique. Contrairement à Schuwey qui revendique une « démarche endogène29 », Dumouchel est influencée par les sciences de la communication, ce qui est un changement de perspective fructueux puisqu’elle nous permet de bien situer le Nouveau Mercure galant dans la longue histoire des médias30.
Par conséquent, nous verrons dans cette étude dans quelle mesure le Nouveau Mercure galant s’inscrit dans les discours anciens et modernes de la Querelle d’Homère, tout en découvrant mieux le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay souvent ignoré par les chercheurs d’aujourd’hui.