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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE XXII

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Madrid, 12 septembre 1680.

J'ai enfin reçu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de temps à y répondre, parce que le courrier part ce soir. J'étois affligée de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'étois point de l'appréhension que vous m'eussiez oubliée. Vous me parlez de la peste, et de la peine où vous en êtes pour moi. Elle ne m'a point approchée, Dieu merci, et il faut espérer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue. Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la misère où l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne veux point que vous y fassiez de réflexion. Vous êtes vive, et vous m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille écus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents écus, et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous ai déjà mandé que M. de Villars, ne pouvant plus subsister, prenoit la résolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis de Grana, qui est riche par lui-même, par ce que son maître lui donne, et par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les affaires de France, et sur tout ce que projette et exécute le roi, notre maître.

Mais votre portrait, que vous me faites espérer, il faut le confier à mes enfans qui seront à Paris avant la fin de ce mois. En vérité, je ne puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus être aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes enfans vous auront vue à Lyon. Qu'ils auront été aises, s'ils tiennent de leur mère!

On se trouve toujours bien du changement de la camarera mayor. L'air du palais en est tout différent. Nous regardons présentement la reine et moi, tant que nous voulons, par une fenêtre qui n'a de vue que sur un grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle l'Incarnation, et qui est attaché au palais. Vous aurez peine à imaginer qu'une jeune princesse, née en France, et élevée au Palais-royal, puisse compter cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir plus que je ne le compte moi-même. Il y a neuf jours qu'on soupçonnoit encore qu'elle étoit grosse. Pour moi, je ne le soupçonne pas. Le roi l'aime passionnément à sa mode, et elle aime le roi à la sienne. Elle est belle comme le jour, grasse, fraîche; elle dort, elle mange, elle rit; il faut finir là; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous défie de deviner tout ce que j'aurois à vous dire ensuite de tout cela.

Adieu, ma chère madame; je voudrois bien écrire encore, si j'en avois le temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.

Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne vous coûtera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous l'envoie.

Je rends mille grâces à M. de Coulanges, de sa prose et de ses vers. La marquise d'Uxelles m'avoit envoyé ceux qu'il avoit faits pour elle, en passant à Châlons-sur-Saône.

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