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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE XXXIII

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Madrid, 19 février 1681.

Me voici à mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est que le carnaval, comme je vous l'ai déjà mandé, ne veut point, en ce pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comédie au palais ni à la ville, tout le reste va son même train; personne ne fait le carême. Le palais est toujours la même chose. On y parle d'aller à Aranjuez, incontinent après Pâques, que la reine fera quelques remèdes, et qu'elle en reviendra sûrement grosse. Je vais souvent voir la marquise de Grana, qui est malade, et qui ne sort point depuis trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisième ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la résolution de s'en retourner, sans qu'elle ne peut se déterminer à laisser son mari qu'elle aime fort.

La connétable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena au chœur, où elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol, qui étoit dans l'église, m'a conté tout ce qu'il vit. L'habit est joli et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de l'esprit et de la pénétration de messieurs les Italiens et Espagnols, de s'être persuadés que cette femme ait pu accepter de bonne foi la proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur assurer tout son bien. La première fois que j'entendis parler au confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du connétable, d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'étoit une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mêler. Le bon père écrivit, et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du tout à cette subite vocation. Je ne me suis pas pressée de lui aller rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.

A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualité, femme du comte Ernand-Nuguès, depuis un mois ou six semaines étoit accouchée; et, comme elle avoit été assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle bien françois, me manda que je ferois honneur à sa femme de l'aller voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprès de son lit; car je ne l'eus pas plutôt envisagée, que je me levai. Je tirai son mari à part, et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant d'incommoder madame sa femme. Il me répondit que point du tout; et moi, je l'assurai qu'elle étoit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la duchesse de Patrana étoit une. Je sortis, et, à trois heures après minuit, la dame étoit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voilà la quatrième, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte Ernand-Nuguès a été menin de notre reine, et a été assez long-temps en France. On est très-mal traité en ce pays-ci de toutes sortes de maladies.

Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse incognito, à une promenade publique, au milieu de la campagne, où il y a un prédicateur qui prêche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets à tour de bras; on entend, dès qu'il a commencé à se les donner, un bruit terrible de tout le peuple qui fait la même chose. Comme il n'y a pas d'obligation de se châtier de la sorte, nous allons assister à ce spectacle qui se voit, en carême, trois fois la semaine. Le détail des dévotions de ce pays seroit une chose divertissante à vous faire savoir.

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