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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE XXIV

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Madrid, 10 octobre 1680.

Permettez-moi, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite bagatelle qui arriva hier à sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent tremblement de terre qui dura la longueur d'un miserere. M. de Villars dans son lit et moi dans le mien, le sentîmes remuer. Il se leva, s'imaginant qu'à cause des horribles pluies, les fondemens de la maison s'écrouloient. Pour moi, je m'écriai, assez effrayée, que c'étoit la terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donnèrent un mouvement à toute la maison, comme pourroit être celui d'un arbre agité du vent. Les prêtres dans les églises où ils disoient la messe, eurent de la peine à empêcher que le calice ne fût renversé. La plupart des hommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les rues, sans savoir où se cacher, pour éviter l'accablement dont ils se croyoient menacés par la ruine des maisons. Je n'avois pas imaginé qu'à tous les désagrémens d'Espagne, il se fût joint celui de s'y voir englouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou écrasé sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces tremblemens. Hier, à tout moment, je croyois que cela alloit recommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire qu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette singularité par-dessus vous, et que vous n'éprouviez de votre vie ce qu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le tremblement de terre aura été jusqu'à l'Escurial, où cette cour est depuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la reine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les plus grandes beautés sont les magnifiques places qu'on a fabriquées pour mettre les corps des rois et des reines après leur mort. Elle n'a pas laissé de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance pour les volontés du roi. Elle m'écrivit, le lendemain, qu'elle n'avoit pas trouvé tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai que je lui en avois parlé à lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous dis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a écrit sur la peur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette heureuse facilité qu'elle a à se persuader tout ce qui lui peut ôter du chagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que, sans m'en parler, elle avoit écrit d'une sorte à Monsieur sur mon sujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'eût assez de crédit pour obtenir qu'on m'accordât de ne point m'en aller, et qu'elle avoit représenté les raisons et les véritables besoins qu'elle croit avoir que je ne parte pas d'ici. Je l'ai suppliée de se préparer au peu d'effet qu'aura sa lettre; et j'ai ajouté que, si elle m'avoit fait l'honneur de m'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le bonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre chose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant d'obligation que si le succès en étoit heureux; mais je ne m'y attends pas.

Je ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle manière cette cour se prépare pour les voyages, qui ne sont jamais qu'à l'Escurial ou Aranjuez. Il en coûte au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que sept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il y a, pour le moins, ce jour-là, cent cinquante femmes du palais, soit segnoras de honor, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en France, ou camaristes ou leurs criadas, ou servantes. Pour les segnoras, ce sont de vieilles veuves, toujours habillées et coiffées de la même sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des chapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs épaules ce qu'elles appellent mantilles: ce n'est ni manteau, ni écharpe; cela est de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes, les autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout qui passe sous le bras, et l'autre sur l'épaule, en sorte qu'elles ont un bras dégagé. Voilà ce qu'elles ont de meilleure grâce. Tous les galans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant après elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent incognito, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le visage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus à leurs dames. La reine avoit, le jour qu'elle fut à l'Escurial, un chapeau avec des plumes jaunes et noires; mais, pour, ces mantilles, il est écrit qu'il faut que les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je ne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie, crue et engraissée; un teint admirable; elle s'aime aussi passionnément. L'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y séjourne jusqu'à la Toussaint. Le lendemain, leurs majestés font prier Dieu solemnellement pour tous les rois et reines, qui sont là devant leurs yeux; et, le jour d'après, ils reviennent à Madrid avec le même équipage qu'ils en sont partis. Mais, si j'étois à leur place, je n'y reviendrois pas, et j'établirois ma cour en un autre lieu, où la terre ne trembleroit point.

Si le courrier n'alloit partir, je crois que je vous écrirois jusqu'à demain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout à écrire.

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