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VIII

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Ils arrivèrent aux portes du palais et traversant le Battifronte (le pont-levis) entrèrent dans la tourelle du sud Terre di Filarete entourée de tous côtés par des fossés pleins d'eau. Il y faisait sombre, étouffant; cela sentait la caserne, le pain, le fumier et la soupe d'avoine. L'écho sous les hautes voûtes répétait un langage cosmopolite, les rires et les jurons des mercenaires. Cesare avait le mot de passe. Mais Giovanni, inconnu, fut sérieusement examiné et dut inscrire son nom sur le livre du corps de garde.

Après un second pont, où on les examina à nouveau, ils atteignirent la place intérieure du palais, déserte, la Piazza d'Arme.

Devant eux, se dressait la noire silhouette de la tour crénelée dite de Boue de Savoie, bâtie au-dessus du Fossato Morto. A droite se trouvait l'entrée de la cour d'honneur, Corte Ducale; à gauche l'imprenable citadelle de la Rocchetta, véritable nid d'aigle. Au milieu de la cour s'élevait un échafaudage de bois, entouré de petits appentis et d'auvents cloués à la hâte, mais déjà assombris par le temps et de place en place couverts de lichen jaune. Au-dessus se dressait une statue équestre, le Colosse, haut de douze coudées, œuvre de Léonard de Vinci.

Le coursier gigantesque en argile vert foncé se détachait sur le ciel. Cabré, il foulait un guerrier sous ses sabots.

Le vainqueur étendait le sceptre ducal. C'était le grand condottiere Francesco Sforza, l'aventurier qui vendait son sang pour de l'argent, moitié soldat, moitié brigand. Fils d'un pauvre paysan de la Romagne, il était issu du peuple, fort comme un lion, rusé comme un renard, et grâce à ses crimes, à ses exploits, à sa sagesse, il était mort sur le trône des ducs de Milan.

Un pâle rayon de soleil tomba sur le Colosse.

Giovanni lut dans les doubles plis du menton, dans les yeux terribles, pleins de voracité vigilante, le calme indifférent du fauve repu. Au pied du mausolée il vit, gravées de la main même de Léonard, ces deux strophes:

Expectant animi molemque futuram

Suspiciunt; fluat aer; vox erit: Ecce deus!

Les deux derniers mots le frappèrent: Ecce deus! Voici le dieu!

—Le dieu, répéta Giovanni en regardant successivement et le Colosse, et la victime transpercée par la lance du triomphateur, de Sforza l'oppresseur.

Et il se souvint du silencieux réfectoire de Santa Maria delle Grazie, des cimes bleutées de Sion, du charme céleste de Jean et du calme de la dernière soirée de l'autre Dieu duquel il est dit: Ecce homo! Voici l'homme!

Léonard s'approcha de lui.

—J'ai terminé mon travail. Allons. Sans cela on m'appellerait encore au palais les tuyaux des cuisines sont abîmés et fument. Il faut partir inaperçus.

Giovanni, les yeux baissés, se taisait. Son visage était pâle.

—Pardonnez-moi, maître! Je songe et ne comprends pas comment vous avez pu créer ce Colosse et la Sainte-Cène en même temps?

Léonard le regarda avec une indulgente surprise.

—Qu'est-ce que tu ne comprends pas?

—O messer Leonardo, ne le voyez-vous pas vous-même? Ce n'est pas possible... ensemble...

—Au contraire, Giovanni. Je crois que l'un m'aide à exécuter l'autre. Mes meilleures idées pour la Sainte-Cène me viennent précisément au moment où je travaille à ce Colosse, et quand je suis au monastère, j'aime rêver à ce mausolée. Ce sont deux jumeaux. Je les ai commencés ensemble. Je les terminerai de même.

—Ensemble! Cet homme et le Christ! Non, maître, c'est impossible! s'écria Beltraffio, ne sachant comment exprimer sa pensée, et sentant son cœur s'indigner de cette insupportable contradiction: C'est impossible!... impossible!

—Pourquoi? demanda le maître en souriant.

Giovanni voulut dire quelque chose, mais rencontrant le regard calme et étonné de Léonard, il songea qu'il était inutile d'achever sa pensée parce que le maître ne comprendrait pas.

«Quand je regardais la Sainte-Cène, pensait Beltraffio, il me semblait que je l'avais deviné. Et voilà que de nouveau je l'ignore. Qui est-il? Auquel des deux a-t-il dit dans le fond de son cœur: «Voilà le dieu!» Cesare a peut-être raison et il n'y a pas de Dieu dans le cœur de Léonard?

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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