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Les premiers compliments échangés, le duc s'entretint avec l'artiste du grand canal Navilio Sforzesco, qui devait réunir la rivière Sesia au Ticcino, s'étendre comme un filet en nombreux petits canaux, arroser les prés, les champs et les pâturages de la Lomellina.

Léonard dirigeait les travaux de construction du Navilio bien qu'il n'eût pas le titre de constructeur ducal, ni même celui de peintre de la cour. Il conservait simplement le titre de musicien, reçu jadis pour la lyre de son invention, Senatore di lira, ce qui était un titre plus élevé que celui de poète de la cour, qu'avait Bellincioni.

Ayant expliqué les plans et les comptes, l'artiste demanda une avance d'argent pour la continuation des travaux.

—Combien? dit le duc.

—Pour chaque mille, cinq cent soixante-six ducats; au total quinze mille cent quatre-vingt-sept ducats, répondit Léonard.

Ludovic grimaça en songeant aux cinquante mille ducats fixés ce même jour pour les cadeaux destinés aux seigneurs français.

—C'est cher, messer Leonardo! Vraiment tu me ruines. Tu veux toujours l'impossible et l'extraordinaire. Quels projets colossaux tu as! Bramante, qui est également un constructeur expérimenté, ne m'a jamais demandé pareille somme.

Léonard haussa les épaules.

—Comme il plaira à Votre Seigneurie! Confiez la direction à Bramante.

—Allons, ne te fâche pas. Tu sais que je ne tolérerais pas qu'on te fasse de la peine.

Ils commencèrent à discuter.

—C'est bien! Nous déciderons cela demain, conclut le duc, cherchant selon son habitude à traîner l'affaire en longueur, tout en feuilletant les cahiers de Léonard, examinant les croquis, les dessins d'architecture et les projets divers.

L'artiste, que cet examen énervait, fut forcé de donner des explications. L'un des dessins représentait un gigantesque tombeau, une véritable montagne couronnée par un temple à multiples colonnes, avec une coupole à jour pareille à celle du Panthéon de Rome pour éclairer l'intérieur de ce sanctuaire, qui dépassait les splendeurs des Pyramides d'Égypte. Dans la marge étaient marqués des chiffres, la disposition des escaliers, des entrées, des salles combinées pour recevoir cinq cents urnes mortuaires.

—Qu'est-ce? demanda le duc. Quand et pour qui as-tu composé cela?

—Pour personne... Ce sont des rêves...

Le More le regarda surpris et secoua la tête.

—Drôles de rêves!... Un mausolée pour des dieux olympiens ou des Titans. Un conte de fées, parole!...

—Ceci, qu'est-ce? continua le duc, en désignant un autre croquis.

Léonard dut encore expliquer que c'était le projet d'une maison de tolérance. Les chambres étaient séparées, les portes, les couloirs disposés de façon à assurer aux visiteurs le plus complet secret, sans craintes de rencontres.

—A la bonne heure! dit le duc. Tu ne peux te figurer combien je suis ennuyé des continuelles plaintes de vol et de meurtre dans ces repaires. Avec ton projet, nous aurons de l'ordre et de la sûreté. Il faut absolument que je fasse construire une maison semblable. Je vois, ajouta-t-il souriant, que tu es maître en toutes choses, tu ne dédaignes rien; dans ton esprit le mausolée pour les dieux côtoie la maison de tolérance! A propos, continua-t-il, j'ai lu ces jours-ci dans le livre d'un auteur ancien, qu'on employait jadis un tuyau acoustique, nommé «oreille du tyran Denys», caché dans l'épaisseur des murs et combiné de telle façon que l'on pouvait entendre tout ce qui se disait d'une pièce dans une autre. Crois-tu que l'on puisse installer cet appareil dans mon palais?

Tout d'abord le duc se sentit embarrassé pour formuler cette demande. Mais il reconquit vite sa désinvolture, se disant que la honte n'était pas de mise devant un artiste. De fait, nullement décontenancé ni préoccupé de savoir si «l'oreille de Denys» était chose bonne ou blâmable, Léonard discutait la question comme s'il s'agissait d'un nouvel appareil, enchanté de l'idée pour expérimenter pendant cette installation les lois de transmission des ondes sonores.

Bellincioni passa la tête dans l'entre-bâillement de la porte.

Léonard prit congé. Le More l'invita au souper.

Dès que l'artiste fut sorti, le duc appela le poète et lui ordonna de lire ses vers.

La Salamandre, disait le sonnet, vit dans le feu, mais n'est-ce pas plus extraordinaire que dans mon cœur:

Une madone glaciale habite,

Et que cette glace virginale

Ne fonde pas au feu de mon amour?

Les quatre derniers vers plurent au duc:

Je chante comme le cygne, je chante et je meurs,

En priant l'Amour d'éteindre ma passion,

Mais le dieu malin souffle sur mon cœur

Et dit en riant: Avec des larmes, éteins donc ce tison.

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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