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II

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Elle avait pris l'habitude de s'habiller si lentement que, selon l'expression du duc, on pouvait, pendant ce temps, effectuer tout le chargement d'un navire marchand à destination des Indes.

Enfin, entendant dans le lointain le son du cor et les aboiements des chiens, elle se souvint d'avoir commandé une chasse et se hâta. Puis lorsqu'elle fut prête, elle entra dans les logements des nains, surnommés par dérision le logis des géants et installés à l'instar des chambres en miniature du palais d'Isabelle d'Este.

Les chaises, les lits, les escaliers à larges marches, une chapelle même, avec un autel microscopique, où la messe était dite par le savant nain Janakki, vêtu d'habits archiépiscopaux exécutés exprès pour lui, et coiffé de la mitre;—tout était calculé pour la taille de ces pygmées.

Dans ce logis des géants régnaient toujours le bruit, les rires, les pleurs, des cris divers proférés par des voix terribles, telles qu'on en entend dans une ménagerie ou une maison d'aliénés. Car ici grouillaient, naissaient, vivaient et mouraient dans une étouffante promiscuité—des singes, des perroquets, des bossus, des négrillons, des idiots, des bouffons et autres êtres de divertissement, parmi lesquels la duchesse passait souvent des journées entières, s'amusant comme une enfant.

Mais cette fois, pressée, elle n'entra qu'une minute prendre des nouvelles du petit négrillon Nannino, nouvellement expédié de Venise. Le teint de Nannino était si noir que, selon l'expression de son premier propriétaire, «on ne pouvait désirer mieux». La duchesse jouait avec lui comme avec une poupée vivante. Le négrillon tomba malade et l'on s'aperçut que sa noirceur tant vantée était due surtout à une sorte de laque qui, peu à peu, commença à peler, au grand désespoir de Béatrice.

La nuit précédente, Nannino s'était senti très mal, on craignait qu'il ne mourût et, à cette nouvelle, la duchesse en fut toute marrie, vu qu'elle l'aimait, même blanc, en souvenir de sa belle couleur noire. Elle ordonna de baptiser au plus vite le pseudo-négrillon, afin qu'au moins il rendît l'âme en état de grâce.

En descendant l'escalier, elle rencontra sa folle favorite, Morgantina, encore jeune, jolie et si amusante, au dire de Béatrice, qu'elle eût fait rire un mort.

Morgantina aimait à voler. Son larcin commis, elle cachait l'objet sous une feuille détachée du parquet et se promenait radieuse. Et lorsqu'on lui demandait aimablement: «Sois gentille, dis où tu l'as caché?» elle prenait les gens par la main et les conduisait à sa cachette. Et si l'on criait: «Passez la rivière au gué!» vite, sans aucune honte, elle levait sa jupe jusque sous ses bras.

Elle avait des périodes de spleen. Alors, des jours entiers elle pleurait un enfant imaginaire et ennuyait à tel point tout le monde qu'on l'enfermait dans le grenier. Et maintenant, blottie dans un coin de l'escalier, les genoux emprisonnés dans ses bras, se balançant en mesure, Morgantina pleurait et sanglotait.

Béatrice s'approcha d'elle, et caressa sa tête.

—Tais-toi, sois sage...

La folle, levant sur elle ses yeux bleus, hurla:

—Oh! oh! oh! On m'a enlevé mon trésor! Et pourquoi, Seigneur? Il ne faisait de mal à personne. Il me consolait...

La duchesse sortit dans la cour où l'attendaient les chasseurs.

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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