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IX

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En entrant dans sa chambre, le More vit que Béatrice avait déjà soufflé la lumière et s'était mise au lit; c'était une énorme couche, semblable à un mausolée, placée sur des marches au milieu de la pièce et surmontée d'un baldaquin de soie bleue caché par des courtines en drap d'argent.

Il se déshabilla, souleva le coin de la couverture brodée d'or et de perles fines, ainsi qu'une chasuble, et se coucha près de sa femme.

—Bice? murmura-t-il tendrement. Bice, tu dors?

Il voulut l'enlacer, mais elle le repoussa.

—Pourquoi?

—Laissez-moi!... Je veux dormir...

—Pourquoi, dis-moi seulement pourquoi? Bice, ma chérie, si tu savais combien je t'aime!...

—Oui, je sais que vous nous aimez toutes ensemble, et moi et Cecilia et même peut-être bien cette esclave de Moscovie, cette grande bête rousse que vous embrassiez ces jours-ci dans un coin de ma garde-robe...

—Pure plaisanterie...

—Merci pour ces plaisanteries!

—Vraiment, Bice, ces derniers temps tu es si froide avec moi, si sévère!... Je suis fautif, certes; mais c'était une fantaisie de si peu d'importance...

—Vous avez beaucoup de fantaisies, messer!

Elle se tourna vers lui, colère:

—Comment n'as-tu pas honte! Pourquoi mens-tu? Est-ce que je ne te connais pas à fond? Ne crois pas que je sois jalouse. Mais je ne veux pas, tu entends? je ne veux pas être une de tes maîtresses!

—Ce n'est pas vrai, Bice; je le jure sur le salut de mon âme, jamais sur terre je n'ai aimé personne comme toi!

Elle se tut, écoutant avec surprise, non les paroles, mais le son de la voix.

En effet, il ne mentait pas, ou, plutôt, il ne mentait pas tout à fait, car plus il la trompait et plus il l'aimait. Sa tendresse s'enflammait sous l'afflux de honte, de peur, de pitié et de remords.

—Pardonne-moi, Bice, ne fût-ce que parce que je t'aime tant!

Et ils se réconcilièrent.

La possédant et ne la voyant pas dans l'obscurité, il créa dans sa pensée des yeux timides et naïfs, une odeur de violette musquée; il s'imaginait tenir dans ses bras une autre et trouvait une exquise volupté dans ce sacrilège d'amour.

—Vraiment, aujourd'hui, tu es comme un amoureux, murmura Béatrice, non sans une certaine fierté.

—Oui; je suis amoureux de toi comme aux premiers jours!

—Quelle sottise! dit-elle en souriant. Comment n'as-tu pas honte? Il vaudrait mieux songer aux choses sérieuses. Sais-tu qu'il est en voie de guérison...

—Luigi Marliani m'a affirmé qu'il n'en avait plus pour longtemps, dit le duc: ce mieux ne durera pas, il mourra sûrement.

—Qui sait? répliqua Béatrice. On le soigne si bien. Écoute, je m'étonne de ton insouciance. Tu supportes les offenses comme un mouton. Tu dis: «Le pouvoir est en nos mains», mais ne vaut-il pas mieux renoncer au pouvoir que de trembler à cause de lui, jour et nuit, comme un voleur, que de s'abaisser devant cet hybride Charles VIII, de dépendre de la magnanimité de l'insolent Alphonse, de chercher des compromissions avec cette méchante sorcière d'Aragon! On dit qu'elle est de nouveau enceinte, un nouveau serpenteau dans le nid maudit. Et il en sera ainsi toute la vie, Ludovic, songe un peu, toute la vie! Et tu appelles cela «le pouvoir en nos mains»!

—Mais les médecins sont d'accord pour déclarer la maladie incurable. Tôt ou tard...

Ils se turent.

Soudain elle l'enserra dans ses bras, se frôla à lui de tout son corps et lui murmura quelques mots à l'oreille. Il frissonna.

—Bice!... Que le Christ et la Sainte-Vierge te protègent! Jamais, entends-tu? jamais ne me parle de cela...

—Si tu as peur, veux-tu que je le fasse moi-même?

Il ne répondit pas, puis au bout d'un instant, demanda:

—A quoi penses-tu?

—Aux pêches.

—Oui. J'ai donné ordre au jardinier de lui porter en cadeau les plus mûres...

—Non, ce n'est pas à celles-là, mais à celles de messer Leonardo da Vinci. Tu ne sais donc pas?

—Quoi?

—Elles sont empoisonnées.

—Comment cela?

—Il les empoisonne pour je ne sais quels essais. Peut-être quelque sorcellerie. C'est monna Sidonia qui me l'a conté. Quoique empoisonnées, ces pêches sont merveilleusement belles...

Et de nouveau régna le silence. Et longtemps, ils restèrent ainsi enlacés dans l'obscurité, pensant tous deux à la même chose, chacun écoutant le cœur de l'autre battre précipitamment. Enfin le More embrassa paternellement le front de Béatrice et la bénit:

—Dors, chérie, dors!

Cette nuit-là, la duchesse rêva de splendides pêches sur un plat d'or. Elle se laissait tenter par leur beauté, mordait dans un fruit succulent et parfumé. Et subitement une voix lui soufflait: Poison! poison! poison!...

Elle s'effraya, mais ne pouvait s'arrêter et continuait à manger les pêches, l'une après l'autre; il lui semblait qu'elle mourait, mais son cœur s'allégeait et se réjouissait toujours de plus en plus.

Le duc eut aussi un rêve étrange: il se promenait sur la pelouse du Paradis, près de la fontaine, et il voyait dans le lointain trois femmes assises, pareillement vêtues de blanc et toutes trois enlacées comme des sœurs tendres. En s'approchant, il reconnut Béatrice, Lucrezia et Cecilia. Et avec un profond apaisement il songeait: «Dieu soit béni! enfin! elles se sont réconciliées. Elles auraient dû le faire depuis longtemps.»

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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