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CHAPITRE II

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Table des matières

1651-1652

Mazarin sort de France (mars 1651); son découragement.—Services que lui rendirent en cette circonstance Nicolas et Basile Fouquet.—Caractère de ce dernier. Il brave les dangers pour se rendre près du cardinal (avril-mai 1651).—Le procureur général, Nicolas Fouquet, s'oppose à la saisie des meubles de Mazarin.—Efforts des Fouquet pour rompre la coalition des deux Frondes.—Ils y réussissent (juin 1651).—Tentatives pour gagner à la cause de Mazarin quelques membres du parlement.—Négociations de l'abbé Fouquet avec le duc de Bouillon et Turenne son frère, qui se rallient à la cause royale (décembre 1651).—Mazarin rentre en France et rejoint la cour (janvier 1652).—Turenne prend le commandement de son armée (février 1652).—Dispositions de la bourgeoisie différentes de celles du parlement.—Influence des rentiers dans Paris.—Rôle du coadjuteur Paul de Gondi; il est nommé cardinal (février 1652).—Efforts inutiles de l'abbé Fouquet pour gagner Gaston d'Orléans.—Négociations avec Chavigny.—Importance du rôle de ce dernier pendant la Fronde.

Au commencement de l'année 1651, Mazarin semblait perdu. Le parti de l'ancienne Fronde s'était uni avec la faction des princes et avait contraint le cardinal à s'exiler. Mazarin fut loin de montrer, dans ces circonstances, la décision et l'habileté dont quelques écrivains modernes lui font honneur. Ils supposent que le cardinal, contraint de quitter le pouvoir et de s'éloigner de la cour, alla délivrer le prince de Condé, alors[T.I pag.19] enfermé au Havre, pour le lancer au milieu des factions comme un brandon de discorde, et qu'après cet acte audacieux il sortit tranquillement de France et laissa les deux Frondes se détruire mutuellement, bien sûr de profiter de leurs fautes et d'asseoir solidement son autorité sur les ruines des factions. Les lettres de Mazarin sont loin de nous le montrer aussi ferme dans sa politique et aussi confiant dans l'avenir. Il semble, au contraire, avoir perdu courage; il se plaint de ses amis et de ses serviteurs les plus dévoués: de Le Tellier, de Servien, de de Lyonne. Il doute même de la reine, et se croit obligé d'adresser à Brienne une longue apologie de son ministère[44].

Au moment où Mazarin semblait s'abandonner lui-même, le procureur général et son frère l'abbé Fouquet ne cessaient de soutenir son parti, le premier avec une prudente habileté, le second avec une ardeur et une décision qui contribuèrent puissamment à relever le courage du cardinal.

Basile Fouquet, que nous voyons paraître ici comme un des principaux agents de Mazarin, avait été destiné à l'état ecclésiastique; mais il ne fut jamais prêtre, et le titre d'abbé, qui est resté attachée à son nom, indique simplement qu'il avait obtenu des bénéfices d'Église, dont il touchait le revenu, sans remplir aucune fonction sacerdotale. Activité, souplesse d'esprit, fécondité de ressources, intrépidité dans la lutte, zèle et ardeur[T.I pag.20] poussés jusqu'à la témérité, telles furent les qualités que déploya d'abord l'abbé Fouquet. Après la victoire, ses vices apparurent et le rendirent odieux; ambitieux, avide, insolent, s'abandonnant aux plaisirs avec une scandaleuse effronterie, il provoqua la haine publique et contribua à la chute de son frère. Mais nous ne sommes encore qu'à l'époque où il servit Mazarin avec un zèle ardent et s'en fit un protecteur qui, jusqu'à sa mort, couvrit les vices de l'abbé de sa toute-puissante amitié.

Mazarin avait quitté la France, en mars 1651. Dès le mois d'avril, l'abbé Fouquet se rendait près de lui, chargé des promesses et des conseils de ses amis; il traversait, pour parvenir jusqu'au cardinal, les postes des frondeurs et bravait tous les périls. «J'ai su, lui écrivait Mazarin[45], le danger que vous aviez couru. Je serai toujours ravi de vous voir; mais, au nom de Dieu, ne vous exposez plus à de semblables hasards. Vous eûtes grand tort du vous séparer de la troupe; il n'importait pas d'arriver deux jours plus tôt ou plus tard, pourvu que vous le fissiez en sûreté.» Dans cette même lettre, le cardinal exprimait sa reconnaissance pour Nicolas Fouquet, qui, en sa qualité de procureur général, avait fait lever l'arrêt de saisie de ses meubles: «Je remercie de tout mon cœur le procureur général, touchant la main-levée de la saisie. Je n'en serai jamais ingrat. Je le prie de continuer; car je n'ai qui que ce soit qui me donne aucun secours, et, faute de cela, l'innocence[T.I pag.21] court grand risque d'être opprimée. Si le procureur général croyait qu'il fallût faire quelque présent à quelqu'un qui soit capable de faire quelque chose à mon avantage, j'en suis d'accord, et vous en pourrez parler à de Lyonne[46], qui donnera là-dessus des ordres.»

L'abbé Fouquet avait trouvé le cardinal découragé; Mazarin critiquait avec amertume tout ce que l'on avait fait depuis son départ et surtout l'échange des gouvernements qui assurait à Condé de si grands avantages. En effet, ce prince venait d'obtenir pour lui le gouvernement de Guienne, qui le mettait en relation avec l'Espagne, et pour son frère, le prince de Conti, la Provence, qui était en communication par terre et par mer avec la Savoie, la Sardaigne, Naples et le duché de Milan[47]. On avait laissé à Condé, en Bourgogne et en Champagne, des places fortes d'une grande importance. Ses partisans étaient pourvus de gouvernements dans le centre du royaume: Damville[48] avait le Limousin; Montausier, l'Angoumois et la Saintonge; le duc de Rohan, l'Anjou; Henri de Gramont, comte de Toulongeon, le Béarn[49], etc. Ainsi, le prince de Condé devenait, par lui ou par ses amis, maître d'une grande partie du royaume. Chavigny, un des plus dangereux adversaires de Mazarin, rentrait au ministère. En un[T.I pag.22] mot, le cardinal voyait ses ennemis s'élever au plus haut point de la puissance, pendant qu'on le laissait dans l'oubli.

L'abbé Fouquet, qui avait plus de zèle que de prudence, ne manqua pas de rapporter à de Lyonne les plaintes du cardinal; il paraît même qu'il les exagéra, si l'on en croit une lettre de Mazarin en date du 18 mai[50]: «Vous avez tiré de l'abbé Fouquet, écrivait le cardinal à de Lyonne, beaucoup de choses que je n'ai pas dites, et, le croyant homme d'honneur, je m'assure qu'il tombera d'accord de la vérité. Il a pourtant eu tort de vous rapporter même ce que je lui dis en particulier et justement ému comme j'étais, reconnaissant que son voyage n'avait pour but que de retirer de moi ce qui était nécessaire pour achever votre affaire, et que l'on était fort en repos du mauvais état des miennes. M. Fouquet a eu d'autant plus de tort que je le priai de ne le faire pas, et qu'il me le promit; mais n'importe. Je suis bien aise que vous ayez su tout ce que j'avais sur le cœur.» Ces derniers mots prouvent que, si l'abbé Fouquet avait été indiscret en dévoilant les pensées secrètes et intimes de Mazarin, il n'avait guère altéré la vérité. Du reste, cette impétuosité de caractère, qui lui fit commettre tant de fautes par la suite, était la source de ses qualités. Il continua de servir le cardinal avec la même ardeur, mais en la tempérant par plus de circonspection.

[T.I pag.23]

De concert avec le procureur général, son frère, l'abbé Fouquet ne négligea rien pour gagner des partisans à Mazarin et surtout pour rompre le faisceau redoutable que formaient le parti des princes et la vieille Fronde réunis. A la tête de celle-ci était le coadjuteur de l'archevêque de Paris, Paul de Gondi, si connu par son ambition et par ses intrigues. Il était blessé de la hauteur du prince de Condé et des petits maîtres[51], qui composaient la nouvelle Fronde. L'abbé Fouquet sut habilement envenimer les haines. Il fit agir près du coadjuteur une des héroïnes de la vieille Fronde, la duchesse de Chevreuse, qui ne pouvait pardonner au prince de Condé d'avoir rompu le mariage projeté de sa fille, Charlotte de Lorraine, avec le prince de Conti. Les ressentiments de la duchesse de Chevreuse furent adroitement aigris par l'abbé Fouquet, et cette femme hautaine et ambitieuse, implacable dans ses haines, parvint à briser le lien qui unissait les ennemis de Mazarin et qui faisait leur force. C'était là un service capital, et le cardinal, du fond de son exil, chargea l'abbé Fouquet d'en témoigner sa reconnaissance à la duchesse[52]: «Je vous prie de remercier de la bonne manière la dame qui a déclaré ce que vous me mandez à M. le coadjuteur, et de lui dire qu'en quelque lieu et fortune que je puisse être, je serai son très-humble serviteur.» Mazarin tint parole à la duchesse de Chevreuse,[T.I pag.24] qui, de son côté, se montra aussi fidèle dans ses attachements qu'ardente dans ses haines.

Le procureur général et son frère réussirent à gagner à Mazarin quelques partisans dans le parlement de Paris. L'avocat général, Omer Talon, qui y avait une grande autorité comme magistrat et comme orateur, se rallia au parti du cardinal. «Je vous prie, écrivait Mazarin à l'abbé Fouquet[53], de remercier Talon de ma part, n'y ayant rien de si agréable que la manière dont il se conduit à mon égard.» Le concours de ce magistrat servit puissamment la politique de Nicolas Fouquet, qui, en présence d'une compagnie hostile au cardinal, était obligé à des ménagements et à des précautions infinies.

Son frère, au contraire, marchait hardiment dans sa voie et bravait les ennemis que lui suscitait l'ardeur de son zèle pour le cardinal. Mazarin se crut obligé de lui recommander la prudence. «Au nom de Dieu, lui écrivait-il[54], ménagez-vous davantage; car je serais au désespoir, si, à cause de moi, il vous arrivait la moindre chose qui vous fut préjudiciable.» Mais la modération n'était pas dans la nature de l'abbé Fouquet. Il ne cessait de souffler la discorde entre les deux Frondes et de susciter des adversaires au prince de Condé. Plus accoutumé aux luttes des champs de bataille qu'aux attaques parlementaires, le prince finit par se lasser de cette guerre de la Grand Chambre, où l'audace du coadjuteur, soutenue de l'astuce des Fouquet et de bon nombre d'épées, balançait sa fortune. Il sortit de Paris (septembre 1651)[T.I pag.25] et alla chercher dans les provinces un champ de bataille qui convenait mieux à son génie.

Ainsi la rupture des deux Frondes était consommée. Il s'agissait maintenant de gagner dans la bourgeoisie et l'armée les hommes les plus influents, afin de préparer le retour et la domination de Mazarin dans Paris. Ce fut encore en grande partie l'œuvre de Nicolas et de Basile Fouquet. Ils s'assurèrent, par l'influence de madame de Brégy[55], du maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris[56], et s'efforcèrent d'attirer au parti du cardinal le premier président Mathieu Molé et son fils, le président de Champlâtreux[57], qui avaient longtemps soutenu la cause du prince de Condé. Ils y réussirent complétement, et, dans la suite, ces magistrats firent partie du parlement de Pontoise, que la cour opposa au parlement de Paris. De toutes les conquêtes, ménagées par les habiles négociations des deux frères, la plus importante de beaucoup fut celle qui donna à Mazarin et au roi le duc de Bouillon et son frère le maréchal de Turenne. Elle coûta cher à la France. Les Bouillon ne s'étaient engagés dans la Fronde que pour obtenir une compensation de la principauté de Sedan, dont Richelieu les avait dépouillés. Le cardinal, qui connaissait l'esprit rusé et avide des princes de la maison de Bouillon, s'en défia jusqu'au dernier moment et chargea l'abbé Fouquet, comme son agent le plus habile, de sonder[T.I pag.26] leurs projets. «Je vous prie de reconnaître bien et dans le dernier secret, lui écrivait-il le 22 décembre 1651, si je puis faire un état assuré de M. de Bouillon et de son frère.»

Mazarin revient avec beaucoup plus d'insistance sur le même sujet, dans une lettre du 26 décembre; elle prouve qu'il tenait surtout à gagner le maréchal de Turenne, dont l'épée valait une armée entière. «Pour M. de Turenne, écrivait-il à l'abbé Fouquet, il sait l'estime et la tendresse que j'ai eues pour lui, et il a appris de beaucoup d'endroits et de gens qui, encore qu'ils soient de mes amis, ne le voudraient pas tromper, que je suis toujours le même, nonobstant tout ce qui s'est passé, l'affection que j'avais pour lui ayant jeté de trop profondes racines pour pouvoir être arrachée par de semblables accidents. J'ai écrit déjà fortement à la cour, afin qu'on trouve moyen de ne pas laisser inutile un homme de sa considération, et j'espère qu'il sera satisfait sur ce point-là. Il est injuste de se plaindre de ce que j'ai préféré d'autres à lui pour la levée et le commandement des troupes qui m'accompagnent. Il peut bien croire que j'aurais tenu à beaucoup d'honneur et d'avantage qu'il eût voulu venir, ainsi que je l'en aurais conjuré, si j'eusse cru qu'il en eût eu la moindre pensée; mais j'ai pensé que ce serait trop de hardiesse et même impudence de m'adresser pour une affaire de cette nature à une personne avec qui je n'avais aucune liaison. Du reste, il voit l'état où je suis. Si ma fortune devient meilleure, j'ose répondre qu'il s'en ressentira, étant résolu de chercher toutes les occasions de faire quelque[T.I pag.27] chose de solide pour lui et de l'obliger par ce moyen à être de mes amis sans aucune réserve.» Peu de temps après, le cardinal rentra en France (décembre 1651) à la tête d'une petite armée; Turenne devait en prendre le commandement, mais il était encore retenu dans Paris, d'où il ne parvint à s'échapper qu'à la fin de janvier 1652.

A la nouvelle de l'entrée de Mazarin en France, la fureur de ses ennemis éclata avec une violence qui ne connut plus de bornes. Le parlement mit sa tête à prix et ordonna de prélever sur la vente de sa bibliothèque la somme qui serait payée au meurtrier. Deux conseillers furent envoyés à Pont-sur-Yonne, pour l'arrêter; mais l'un prit la fuite, et l'autre, nommé Bitaut, fut fait prisonnier. Il faillit payer les folies des Frondeurs. «J'avais résolu d'abord, écrivait Mazarin à l'abbé Fouquet[58], de renvoyer Bitaut généreusement; mais personne ne s'est trouvé de cet avis, et tout le monde a conclu qu'on devait le retenir et lui insinuer que, si les diligences continuelles que font quantité de conseillers du parlement et autres, en suite du dernier arrêt, pour me faire assassiner, produisent seulement la moindre tentative contre ma vie, la sienne ne sera guère en sûreté et que je n'aurai pas assez de pouvoir pour retenir le zèle et la main de tant de personnes à qui ma conservation est chère. Je serai bien aise, néanmoins, de savoir vos sentiments là-dessus.» Et plus loin: «Il faudrait aussi faire connaître adroitement à M. le président Le Coigneux et aux autres parents que Bitaut a dans le[T.I pag.28] parlement, qui sont en grand nombre, qu'ils ont grand intérêt de faire en sorte qu'on remédie à l'arrêt qui a été donné pour m'assassiner, à cause du risque que leur parent en peut courir. Il ne sera pas mal, à mon avis, de répandre le bruit que mes amis ne se pourront pas empêcher de consigner de l'argent pour le donner à ceux qui entreprendront contre quantité de conseillers du parlement ce qu'il a ordonné que l'on entreprendrait contre ma vie. Car, à vous dire le vrai, je vois les choses réduites en tels termes contre moi par les factieux du parlement, que le seul moyen de les accommoder et de les pousser à l'extrémité est de leur faire voir que je suis encore plus en état de leur faire du mal qu'eux de m'en causer.»

Tout en employant les menaces pour intimider le parlement, Mazarin faisait agir sous main le procureur général, Nicolas Fouquet, qui détachait de la Fronde quelques-uns des principaux membres de la magistrature. Ainsi le président de Novion, qui appartenait à la puissante famille des Potier, se déclara pour la cause royale[59]. Le président Perrot suivit son exemple. Le conseiller Ménardeau, qui s'était signalé dans la première Fronde par sa violence contre Mazarin, se montra un de ses partisans dévoués. Cependant la majorité des membres du parlement et surtout les jeunes conseillers des enquêtes étaient toujours hostiles au cardinal. Il n'en était pas de même de la bourgeoisie.[T.I pag.29]

L'abbé Fouquet, de concert avec le prévôt des marchands, qui était le véritable chef de la bourgeoisie parisienne, parvint à gagner à la cause royale les principaux conseillers de l'Hôtel de Ville. Ce serait, du reste, une erreur de croire que cette assemblée ait partagé pendant la Fronde les passions du parlement. Tandis que les magistrats, dirigés surtout par l'intérêt personnel, proscrivaient le cardinal, les rentiers, qui formaient une classe nombreuse et influente dans Paris, se voyaient menacés dans leur fortune et tentaient de résister à l'entraînement des factions. Les Registres de l'Hôtel de Ville de Paris pendant la Fronde[60] attestent que les bourgeois qui composaient le conseil de la cité n'étaient pas disposés à courir les risques d'une guerre civile pour satisfaire l'ambition de quelques intrigants. Il avait fallu, pour les entraîner dans la première lutte (1648-1649), avoir recours à la terreur. Lorsqu'en 1649 le président de Novion se rendit à l'Hôtel de Ville pour y faire exécuter les ordres du Parlement, «il déclara à la compagnie qu'il fallait aller droit en besogne dans les affaires présentes et que le premier qui broncherait serait jeté par les fenêtres[61].» La bonne bourgeoisie, forcée de courber la tête sous le joug, n'avait pas renoncé à ces sentiments de modération et n'attendait qu'une occasion pour les manifester. L'abbé Fouquet, qui connaissait bien ses dispositions, insistait vivement auprès de[T.I pag.30] Mazarin pour que l'on ménageât cette classe honnête et pacifique et que l'on en fît un auxiliaire du pouvoir.

Le payement régulier des rentes (chose fort rare à cette époque) devait contribuer plus qu'aucune autre mesure à gagner les Parisiens. Aussi l'abbé Fouquet s'occupa-t-il tout spécialement de cette affaire: «Pour les rentes, lui écrivait Mazarin[62], Sa Majesté donne plus de créance à ce que vous mandez de la part de madame de Chevreuse et de M. le coadjuteur qu'à toutes les autres lettres qui sont venues de Paris, lesquelles, quoique de plus fraîche date, ne représentent pas l'émotion des esprits aussi grande ni les affaires en si mauvais état que vous faites. Le roi a donc résolu de rétablir les choses comme elles étaient, et l'on envoie l'arrêt sur la minute que M. d'Aligre en a dressée. J'ai emporté la chose et je crois que vous ne manquerez pas de la bien faire valoir, afin que j'en acquière quelque mérite envers ceux qui y sont intéressés.» Et ailleurs: «Par les nouvelles que nous avons de Paris, il parait que l'on a satisfaction de ce qui s'est fait touchant les rentes, et effectivement je n'omets aucuns soins pour empêcher que le payement n'en soit discontinué, dont il ne sera pas mauvais que l'on informe le public, comme vous avez déjà fait.»

Le peuple était plus difficile à gagner que la bourgeoisie. L'homme qui en disposait réellement était Paul de Gondi. Il avait su, pendant la première Fronde, tour à tour soulever et contenir la populace, sur laquelle les[T.I pag.31] curés, qui lui étaient dévoués, exerçaient la plus grande influence. Depuis qu'il s'était rallié à la cour, il l'avait calmée, et en même temps avait arrêté la plume des pamphlétaires qu'il avait si longtemps employés à verser l'odieux et le ridicule sur Mazarin. Le coadjuteur attendait la récompense des services qu'il venait de rendre à la cour et se tenait dans une prudente réserve. Le retour de Mazarin l'avait irrité; mais il n'osait éclater, tant qu'il n'aurait pas le chapeau de cardinal, qu'on lui avait promis. Mazarin cherchait à le retenir dans son parti, comme l'attestent ses lettres; mais, en même temps, il lui demandait de donner des preuves de son dévouement pour la cause royale: «Il faut, disait-il dans une lettre à l'abbé Fouquet, que M. le coadjuteur prenne des résolutions pour agir, et il me semble qu'ayant le roi de son côté, étant assuré que j'entreprendrai tout hardiment pour l'appuyer, avec quantité d'amis que lui et M. le surintendant (duc de la Vieuville) ont dans Paris, et agissant de concert avec le prévôt des marchands et M. le maréchal de l'Hôpital, qui est fort zélé pour le service du roi, il se peut mettre en état de rompre aisément toutes les mesures des ennemis.»

En même temps, le cardinal lui envoyait de l'argent par l'abbé Fouquet; mais il voulait qu'il le distribuât dans les couvents et en œuvres charitables, afin de gagner le peuple. «Je vous ai déjà prié, écrivait-il à l'abbé Fouquet, d'avancer six mille livres pour les lits et autres dépenses de cette nature qu'il faudrait faire à Paris et dont vous tâcherez d'obliger M. le coadjuteur à prendre la direction. Je vous adresserai au premier jour une[T.I pag.32] lettre de change payable à vue, qui fera fonds pour employer encore tant à distribuer dans les religions (couvents) que pour les autres dépenses que M. le coadjuteur jugera à propos de faire selon les conjectures, si on se remet à lui de faire parler par les voies qu'il jugera les meilleures au curé de Saint-Paul et aux autres personnes qu'il croira capables de servir le roi.»

L'abbé Fouquet pressa, en effet, le cardinal de Retz de se déclarer, et il le fit avec une vivacité dont le cardinal se plaint dans ses mémoires. Il n'y peint pas l'abbé sous des couleurs favorables[63]: «Il était dans ce temps-là fort jeune; mais il avait un certain air d'emporté et de fou qui ne me revenait pas. Je le vis deux ou trois fois sur la brune, chez Lefèvre de la Barre, qui était fils du prévôt des marchands et son ami, sous prétexte de conférer avec lui pour rompre les cabales que M. le Prince faisait pour se rendre maître du peuple. Notre commerce ne dura pas longtemps, et parce que, de mon côté, j'en tirai d'abord les éclaircissements qui m'étaient nécessaires, et parce que lui, du sien, se lassa bientôt de conversations qui n'allaient à rien. Il voulait, dès le premier moment, que je fusse Mazarin sans réserve comme lui; il ne concevait pas qu'il fût à propos de garder des mesures.»

Les lenteurs calculées du cardinal de Retz inspiraient de l'inquiétude à Mazarin. Il recevait des avis contre Paul de Gondi, et, au milieu même de ses protestations d'amitié, on sent percer une certaine défiance. «Pour[T.I pag.33] M. le coadjuteur, écrivait-il encore à l'abbé Fouquet, je suis incapable de croire qu'il manque jamais à la moindre chose de ce qu'il a promis; et, de plus, quand ce serait une personne qui se conduirait par le motif de ses intérêts particuliers, je connais fort bien qu'ils ne lui conseilleraient pas le contraire, puisqu'il lui est sans doute bien plus avantageux d'être dans ceux de Leurs Majestés et dans une parfaite amitié avec moi que de consentir à un nouvel accommodement avec M. le Prince, lequel personne ne croit qu'il durât plus que les autres. C'est pourquoi, quelque chose que l'on me puisse mander au contraire, elle ne fera point d'impression, et je jugerai toujours favorablement de ses sentiments.»

Malgré ses déclarations, Mazarin était d'autant plus porté à la défiance envers le coadjuteur que lui-même montrait peu de sincérité dans sa conduite à son égard. Il avait espéré paralyser ses dispositions hostiles par la promesse du chapeau de cardinal, et, en même temps, il agissait à Rome pour empêcher le pape de le nommer[64]; mais les combinaisons de ce politique furent trompées. Le pape Innocent X, qui n'aimait pas Mazarin, saisit la première occasion de nommer Paul de Gondi cardinal. Ce fut le 19 février 1652 qu'eut lieu la proclamation, et dix jours après, le coadjuteur en recevait la nouvelle. Il se prétendit affranchi de toute reconnaissance envers le ministre qui, disait-il, avait chargé l'ambassadeur de France à Rome de s'opposer au dernier moment à sa nomination, et, au lieu de seconder franchement la cause[T.I pag.34] royale, il tenta de constituer un tiers parti, qui repoussait également Mazarin et le prince de Condé. Le duc d'Orléans, Gaston, devait en être le chef nominal[65].

Ce prince, mobile dans ses affections, inconstant dans ses projets, et dont la faiblesse salit toute la vie, hésitait entre ses divers conseillers. La cour ne cessait de lui faire des avances[66], et l'abbé Fouquet travaillait, par ordre de Mazarin, à gagner son entourage. Il finit par mettre dans les intérêts du cardinal La Mothe-Goulas, secrétaire des commandements du prince, Choisy, son chancelier, la duchesse de Chevreuse, qui avait une grande influence sur Gaston d'Orléans, et même la femme de ce prince, Marguerite de Lorraine[67]. Grâce aux efforts des familiers de Gaston, l'influence du coadjuteur sur le prince fut paralysée. La jalousie avait surtout prise sur le duc d'Orléans, et on ne manqua pas de l'aigrir contre le prince de Condé, en lui rappelant ses victoires et sa hauteur. Aussi, Mademoiselle, fille de Gaston, s'efforça-t-elle vainement de l'entraîner à Orléans et à la tête des armées; elle put à peine obtenir la permission d'aller elle-même défendre l'apanage de son père[68]. Tout ce qu'il fallut de souplesse et d'habileté pour former, autour d'un prince ombrageux[T.I pag.35] comme Gaston, un cercle d'intrigues mystérieusement tissues et de plus en plus serrées, ne peut s'apprécier que par la lecture des lettres de Mazarin. Outre le coadjuteur, il fallait combattre un des politiques les plus habiles de cette époque, le comte de Chavigny. Ce personnage travaillait alors à unir le duc d'Orléans et le prince de Condé, pour chasser de France le cardinal Mazarin. Comme Chavigny fut un des adversaires les plus ardents et les plus habiles de ce ministre, il est nécessaire d'insister sur le rôle qu'il joua pendant la Fronde. Il faut, pour le retracer, revenir sur le passé et exposer des intrigues qui se rattachent à l'histoire des premiers troubles.[T.I pag.36]

Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet

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