Читать книгу Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet - Divers Auteurs - Страница 16
ОглавлениеNégociations des princes avec la cour: Rohan, Chavigny et Goulas à Saint-Germain (28-29 avril).—Prétentions des princes et de leurs députés.—Mauvais succès de ces négociations.—Mécontentement de Condé, du parlement et du cardinal de Retz.—Mission secrète de Gourville (mai 1652); propositions dont il est chargé.—Mazarin refuse de les accepter; lettre confidentielle du cardinal à l'abbé Fouquet (5 mai).—Madame de Châtillon continue de négocier au nom de Condé; caractère de cette dame; elle se fait donner par Condé la terre de Merlou.—Mazarin profite de toutes ces négociations et divise de plus en plus ses ennemis.—Le prévôt des marchands est maltraité par la populace.—La bourgeoisie prend les armes (5 mai).—Défaite de l'armée des princes à Étampes (5 mai).—Le parlement envoie le procureur général, Nicolas Fouquet, à Saint-Germain.—Harangue qu'il adresse au roi.—Nouvelle mission de Fouquet à Saint-Germain (10-14 mai).—Relation qu'il en fait au parlement (16 mai).—Les princes rompent les négociations avec la cour et reprennent les armes.
Les députés des princes, Rohan, Chavigny et Goulas, se rendirent à Saint-Germain le 28 avril. Nous connaissons Chavigny: c'était le vrai dépositaire des secrets du prince de Condé. Les deux autres n'eurent qu'un rôle secondaire. Le duc de Rohan, désigné pendant longtemps sous le nom de Chabot, avait fait sa fortune en épousant l'héritière de la maison de Rohan. Il venait d'essuyer à Angers un échec, qui avait terminé tristement une[T.I pag.77] expédition commencée sous d'heureux auspices. On disait de lui, à cette occasion, «qu'il avait débuté en Rohan et fini en Chabot.» Quant à Lamothe-Goulas, secrétaire des commandements de Monsieur, il semblait chargé plus spécialement de représenter les intérêts de Gaston. Mais la correspondance secrète de Mazarin avec l'abbé Fouquet prouve que Goulas était vendu à la cour et servait auprès du duc d'Orléans les intérêts du cardinal.
On avait défendu aux négociateurs de traiter directement avec Mazarin; mais à peine les conférences furent-elles commencées, que le cardinal intervint et y joua le principal rôle. Il excellait dans l'art de diviser ses ennemis, de nouer des intrigues et de semer des défiances. En cette circonstance, il fut servi merveilleusement par les prétentions exorbitantes des princes[127] et de leurs députés. Chavigny demanda, avant tout, l'établissement d'un conseil qui aurait dirigé les affaires publiques et annulé l'autorité de la régente. Il espérait avoir le premier rang en l'absence de Mazarin, dont les princes exigaient l'éloignement. L'établissement de ce conseil fut le point sur lequel Chavigny insista particulièrement[128]. Quant aux intérêts particuliers de Condé et de ses partisans, il parut disposé à les sacrifier. Le prince demandait, entre autres choses, à être chargé d'aller négocier la paix avec les Espagnols; mais, comme il était notoire qu'il avait des intelligences et[T.I pag.78] même un traité avec ces ennemis de la France, cette condition fut rejetée.
Les négociateurs revinrent à Paris dès le 29 avril, sans avoir rien conclu. Condé accusa Chavigny de n'avoir pas soutenu sa cause avec assez de zèle et lui retira sa confiance. De son côté, le parlement se plaignit de n'avoir pas été admis aux négociations[129], et ordonna au procureur général, Nicolas Fouquet, de se rendre à Saint-Germain pour demander au roi de recevoir une députation de la compagnie. Enfin le cardinal de Retz, qui était également irrité d'avoir été laissé de côté par les princes, fit répandre, par les pamphlétaires dont il disposait, des écrits satiriques où l'on dévoilait l'ambition de Condé et le peu de souci qu'il avait de l'intérêt public[130].
Condé n'en continua pas moins ses négociations secrètes avec la cour; mais, au lieu de choisir des députés d'un rang élevé, il employa Gourville, qui était attaché au duc de la Rochefoucauld et dont le rang subalterne semblait mieux convenir à une négociation mystérieuse[131]. Esprit fin, délié, insinuant, Gourville était parfaitement propre à lutter contre le génie rusé du cardinal et à démêler ses véritables sentiments. Il était[T.I pag.79] chargé de presser Mazarin de donner une réponse positive à une série de demandes que Condé posait comme ultimatum. Ce prince voulait être chargé d'aller négocier la paix avec les Espagnols, et obtenir pour tous ceux qui l'avaient servi dans sa lutte contre la royauté le rétablissement dans leurs charges et dignités. La Guienne, qui s'était déclarée pour la Fronde, devait être délivrée d'une partie des impôts. Il réclamait pour son frère, le prince de Conti, le gouvernement de Provence; pour le duc de Nemours, celui d'Auvergne; pour le président Viole, une charge de président à mortier; pour la Rochefoucauld, un brevet semblable à celui du duc de Bouillon et du prince de Guéménée; pour Marsin et du Dognon, le titre de maréchaux de France; pour M. de Montespan, des lettres de duc; pour le duc de Rohan, le gouvernement d'Angers; pour M. de la Force, le gouvernement de Bergerac; enfin, pour le chevalier de Sillery, un brevet de l'ordre du Saint-Esprit. Si le cardinal acceptait ces conditions et consentait à s'éloigner pour quelque temps, Condé promettait de se séparer de la Fronde, de ménager un prompt retour du ministre et de le soutenir contre ses ennemis.
Mazarin ne repoussa pas tout d'abord les ouvertures du prince; son génie et son intérêt le portaient également à négocier. Mais ses lettres confidentielles prouvent qu'il n'était nullement disposé à accepter de pareilles conditions. Quoique l'abbé Fouquet fût toujours prisonnier, le cardinal trouvait moyen de lui faire parvenir ses ordres et ses confidences. Il lui écrivait le 5 mai: «Ce que je vous puis dire sur les propositions[T.I pag.80] que l'on fait pour l'accommodement, c'est qu'il y a beaucoup de choses captieuses. Car entre nous on veut commencer par mon éloignement, et, dans la constitution présente des choses, j'ai sujet de croire que, si j'étais une fois éloigné, on formerait des obstacles à mon retour, qu'il serait plus difficile de vaincre. De plus, M. le Prince insistant à vouloir être employé pour la paix générale, s'il réussissait dans cette négociation, il lui serait fort aisé d'imprimer dans l'esprit des peuples que ç'a été l'effet de mon éloignement et de ses soins, et que, s'il n'avait pas traité avec les Espagnols et pris les armes pour forcer le roi à donner les mains à la paix, je l'aurais toujours éloignée, de sorte qu'au lieu que les Français ont de l'horreur de la liaison qu'il a faite avec les ennemis de cette couronne et de sa rébellion, ils croiraient qu'il a pris la meilleure voie pour terminer la guerre étrangère et le considéreraient comme l'auteur du repos et du bien public. C'est pourquoi le roi ne saurait jamais donner les mains à cette condition, d'autant plus qu'il n'y a guère d'apparence qu'il fasse son confident et son plénipotentiaire une personne qui a de si grands engagements avec ses ennemis, et qui a encore les armes à la main contre Sa Majesté.»
Cependant Mazarin continua toujours d'amuser le prince de Condé par des négociations. Après Gourville, ce fut madame de Châtillon qui fut chargée de les continuer au nom du prince. «Elle crut, dit la Rochefoucauld[132], qu'un si grand bien que celui de la paix devait[T.I pag.81] être l'ouvrage de sa beauté.» Comme il sera souvent question de cette dame dans nos mémoires, il est nécessaire de rappeler ici son origine. Élisabeth-Angélique de Montmorency-Bouteville était une des beautés les plus renommées de la cour d'Anne d'Autriche; elle avait débuté dans le monde par une aventure romanesque. Elle s'était laissé enlever par le duc de Coligny, en 1645[133], et elle l'avait épousé malgré l'opposition du duc de Châtillon, père du ravisseur. Coligny, qui, après la mort de son père, avait pris le titre de duc de Châtillon, fut tué en 1649 (8 février), dans la guerre de la première Fronde. «Sa femme, dit madame de Motteville[134], fit toutes les façons que les dames qui s'aiment trop pour aimer beaucoup les autres ont accoutumé de faire en de telles occasions.» Ce fut alors que les galanteries de madame de Châtillon firent un éclat dont les mémoires contemporains sont remplis. Nous n'avons pas à nous en occuper. Il suffira de dire, avec madame de Motteville, «que cette dame était belle, galante et ambitieuse, autant que hardie à entreprendre et à tout hasarder pour satisfaire ses passions; artificieuse pour cacher les mauvaises aventures qui lui arrivaient, autant qu'elle était habile à se parer de celles qui étaient à son avantage. Sans la douceur du ministre, elle aurait sans doute succombé dans quelques-unes; mais, par ces mêmes voies, elle trouvait toujours le moyen de se faire valoir auprès de lui, et d'en tirer des grâces qui ont fait[T.I pag.82] murmurer contre lui celles de notre sexe qui étaient plus modérées. Le don de la beauté et de l'agrément, qu'elle possédait au souverain degré, la rendait aimable, aux yeux de tous. Il était même difficile aux particuliers d'échapper aux charmes de ses flatteries; car elle savait obliger de bonne grâce et joindre au nom de Montmorency une civilité extrême qui l'aurait rendue digne d'une estime tout extraordinaire, si on avait pu ne pas voir en toutes ses paroles, ses sentiments et ses actions, un caractère de déguisement et des façons affectées qui déplaisent toujours aux personnes qui aiment la sincérité.»
Dans les négociations entamées avec Mazarin, madame de Châtillon était excitée par le désir de s'attacher un héros tel que le prince de Condé, et aussi par sa haine contre la duchesse de Longueville[135]. «L'émulation, dit la Rochefoucauld, que la beauté et la galanterie produisent souvent parmi les dames avaient causé une aigreur extrême entre madame de Longueville et madame de Châtillon. Elles avaient longtemps caché leurs sentiments; mais enfin ils parurent avec éclat de part et d'autre, et madame de Châtillon ne borna pas seulement sa victoire à obliger M. de Nemours de rompre la liaison qu'il avait avec madame de Longueville, elle voulut ôter aussi à madame de Longueville la connaissance des affaires et disposer seule de la conduite et des intérêts de M. le[T.I pag.83] Prince.» Le duc de la Rochefoucauld explique ensuite qu'il fut, dans cette affaire, un des principaux intermédiaires entre madame de Châtillon, le prince de Condé et le duc de Nemours; qu'il les unit dans un même intérêt et porta le prince de Condé à donner à la duchesse la terre de Merlou[136], qui valait plus de dix mille écus de rente. On voit que madame de Châtillon n'agissait pas par un amour désintéressé des princes et de la paix. En général, ce qui domine dans la conduite de cette noble dame, ce n'est pas la générosité; elle se montra toujours âpre au gain et subordonna toutes ses passions à l'avarice. Munie d'un pouvoir illimité des princes, elle se rendit à la cour. Mazarin la flatta et la combla d'espérances. Peut-être même parvint-il à en faire une des auxiliaires de sa politique; la conduite équivoque de madame de Châtillon a donné lieu de suspecter sa bonne foi.
Ce qui est certain, c'est que le cardinal tirait des avantages solides de toutes ces négociations: il gagnait du temps, augmentait les soupçons des cabales opposées, et il amusait le prince de Condé par l'espérance d'un traité, pendant qu'on lui enlevait la Guienne et qu'on prenait ses places. L'armée du roi, commandée par Turenne et d'Hocquincourt, tenait la campagne;[T.I pag.84] celle des princes, au contraire, était forcée de se retirer dans Étampes. A Paris, le parlement se séparait de plus en plus de Condé, et la bourgeoisie commençait à prendre les armes pour mettre un terme à l'anarchie qu'entretenaient les factieux. Il était temps que les bons citoyens montrassent quelque énergie pour repousser les dangers qui les menaçaient: le prévôt des marchands, qui s'était rendu auprès du duc d'Orléans, pour pourvoir de concert avec lui à l'approvisionnement de la ville, avait failli être égorgé. La populace l'accabla d'injures et le poursuivit jusque dans le palais du Luxembourg, qu'habitait le prince. Gaston d'Orléans, sous prétexte de protéger le prévôt et deux échevins qui l'accompagnaient, les reconduisit dans la cour du palais où étaient rassemblés cinq ou six mille factieux, et dit à haute voix: «Je ne veux pas qu'il leur soit fait aucune injure céans[137].» C'était les livrer à la fureur populaire dès qu'ils auraient franchi le seuil du palais. Aussi furent-ils poursuivis par les factieux, qui les auraient mis en pièces, s'ils n'eussent trouvé asile dans une maison de la rue de Tournon. «Cette insulte, faite au prévôt des marchands, étonna tous les honnêtes gens, même du parti des princes[138].» Ainsi parle un grave magistrat, organe des hommes modérés. Le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris, le conseil de ville, les quarteniers et colonels, vinrent demander justice au parlement contre l'attentat dont le chef de la bourgeoisie parisienne avait[T.I pag.85] failli être victime. Le parlement montra peu d'énergie pour rétablir l'ordre et contenir les factieux; aussi les bourgeois adoptèrent-ils la résolution de se protéger eux-mêmes. Ils se firent donner l'ordre par le roi de prendre les armes et occupèrent aussitôt les portes et tous les postes qui pouvaient assurer la tranquillité de Paris (5 mai).
Pendant que le crédit des princes déclinait à Paris, leur armée, surprise par Turenne près d'Étampes (5 mai), essuyait une sanglante défaite. Le maréchal la força de s'enfermer dans cette ville, l'y tint assiégée et conçut l'espérance de la détruire entièrement. Le parlement, qui avait été blessé de ce que les princes avaient négocié avec la cour sans sa participation, voulut alors prendre l'initiative de la paix, et avant tout éloigner les troupes qui dévastaient les environs de Paris. Le procureur général reçut ordre de se rendre à Saint-Germain et de retracer au roi les doléances de sa bonne ville. Nous avons la harangue que Nicolas Fouquet prononça dans cette circonstance[139]. Elle est d'un style plus net et plus clair que celui des discours ordinaires de la magistrature à cette époque. C'est un spécimen que je crois unique du talent oratoire de Nicolas Fouquet[140], et c'est ce qui me détermine à la publier textuellement:[T.I pag.86]
«Sire,
«Votre parlement de Paris m'a envoyé vers Votre Majesté pour la supplier très-humblement de vouloir accorder un jour à ses députés et à ceux des autres compagnies pour faire les remontrances qui ont été ordonnées sur la conjoncture des affaires présentes, et sur la cause des mouvements dont l'État est misérablement agité. Outre plus, Sire, j'ai été chargé de faire entendre à Votre Majesté l'extrémité de la misère à laquelle sont réduits la plupart de vos sujets. Les crimes et les excès des gens de guerre n'ont plus de bornes; les meurtres, les violements, les incendies et les sacrilèges ne passent plus que pour des actions ordinaires; on ne se cache plus pour les commettre, et les auteurs en font vanité. Les troupes de Votre Majesté, Sire, vivent aujourd'hui dans une telle licence et un tel désordre, qu'elles n'ont point de honte d'abandonner leurs quartiers, même pour aller piller ceux de vos sujets qui se trouvent sans résistance. Les soldats forcent les maisons des ecclésiastiques, des gentilshommes et de vos principaux officiers, en plein jour, à la vue de leurs chefs, sans crainte d'être connus et sans appréhension d'être punis. Les pauvres habitants de la campagne, misérablement pillés, outragés et massacrés, viennent tous les jours demander justice à votre parlement, et votre parlement, dans l'impuissance de la leur rendre, la demande à Votre Majesté pour eux.
«Je n'entreprends point, Sire, de représenter à Votre[T.I pag.87] Majesté le grand préjudice qu'apportera cette désolation publique à vos affaires et l'avantage qu'en doivent tirer les ennemis, voyant les lois les plus saintes publiquement violées, l'impunité des crimes solidement établie, la source de vos finances tarie, les affections des peuples altérées et votre autorité méprisée. Je viens seulement convier Votre Majesté, Sire, au nom de son parlement et de tous ses sujets, de se laisser toucher de pitié par les cris de son pauvre peuple, d'écouter les plaintes et les gémissements des veuves et des orphelins, et de vouloir conserver ce qui reste et qui a pu échapper à la furie de ces barbares qui ne respirent que le sang et le carnage des innocents, et qui n'ont aucun sentiment d'humanité. Sire, le mal est grand et pressant; mais il n'est pas sans remède, si Votre Majesté s'y daigne appliquer sérieusement. C'est un soin digne de sa générosité et de l'affection paternelle qu'elle doit à ses sujets.
«Faites, Sire, faites connaître la tendresse de votre bon naturel dans le commencement de votre règne, et que la compassion que vous aurez de tant de misérables attire les bénédictions célestes sur les premières années de votre majorité[141], qui seront sans doute suivies d'un grand nombre d'autres beaucoup plus heureuses, si les souhaits et les vœux de votre parlement et de tous vos bons sujets sont exaucés.
«Qu'il plaise à Votre Majesté, Sire, en attendant ce grand et seul remède à nos malheurs présents, que demanderont[T.I pag.88] au premier jour toutes les compagnies de votre bonne ville de Paris, faire vivre au moins les gens de guerre en quelque sorte de discipline, faire observer les ordonnances, contenir les soldats et leurs officiers dans les quartiers, punir les criminels et enfin obliger les chefs et commandants, sans distinction des personnes, à livrer les coupables à la justice pour être châtiés, ou demeurer responsables, en leurs propres et privés noms, de tous les désordres qui auront été commis. Ce sont les très-humbles supplications que votre parlement de Paris fait à Votre Majesté par ma bouche.»
Ces remontrances ayant produit peu d'effet, le parlement renvoya les gens du roi à Saint-Germain, où était Louis XIV, et les chargea de demander expressément que les troupes fussent éloignées à dix lieues au moins de Paris[142]. Au retour de cette mission, Nicolas Fouquet en rendit compte au parlement. La relation, écrite entièrement de sa main, est parvenue jusqu'à nous[143]:
«Nous partîmes vendredi au soir (10 mai), M. Bignon et moi, pour aller à Saint-Germain, en exécution de l'arrêt rendu le même soir, et arrivâmes fort tard. Nous ne pûmes voir M. le garde des sceaux[144], qu'il ne fût près d'onze heures, au retour du conseil. Dès ce soir-là nous fîmes entendre à mondit sieur le garde des sceaux le sujet de notre voyage et l'intention de la compagnie[T.I pag.89] pour l'éloignement des gens de guerre, et parce que nous avions appris, depuis notre arrivée, qu'il y avait eu des troupes commandées pour faire, cette nuit même, l'attaque du pont de Saint-Cloud[145], nous fîmes nos efforts pour faire changer cette résolution, dans l'appréhension que nous eûmes que les affaires ne se portassent dans l'aigreur à cette occasion. Nous ne pûmes obtenir, pour ce soir, ce que nous demandions, pour ce qu'il était trop tard, et que l'on nous dit la chose engagée et peut-être faite; mais on nous fit espérer de surseoir ce qui resterait.
«Le lendemain nous eûmes notre audience entre trois et quatre heures après midi, et nous fûmes conduits à la chambre du sieur Duplessis[146], secrétaire d'État, par le sieur Saintot, maître des cérémonies, et de là dans le cabinet du roi, dans lequel nous fûmes introduits par ledit sieur Duplessis. Dans le cabinet, le roi était assis et la reine à côté. M. le duc d'Anjou[147] y était, M. le garde des sceaux, M. le prince Thomas[148], MM. de Bouillon, de Villeroy, du Plessis-Praslin, Servien, M. le surintendant[149], les quatre secrétaire d'État[150]. Nous nous approchâmes du roi et lui fîmes entendre en peu de mots le sujet pour lequel nous étions envoyés, suppliâmes Sa Majesté de vouloir délivrer sa bonne ville de Paris de [T.I pag.90]l'oppression en laquelle elle se trouvait réduite par le séjour des troupes dans son voisinage, d'avoir la bonté de les éloigner de dix lieues à la ronde au moins, et par ce moyen faciliter le passage des vivres, la liberté du commerce et rétablir l'abondance nécessaire à un si grand peuple; que le parlement demandait seulement l'exécution des paroles portées, au nom de Sa Majesté, par M. le maréchal de l'Hôpital, puisque l'occasion pour laquelle lesdites troupes s'étaient approchées cessait au moyen de la déclaration faite le jour précédent par M. le Prince en l'assemblée des chambres du parlement, tant au nom de M. le duc d'Orléans qu'au sien, de retirer en même temps les troupes sur lesquelles ils ont pouvoir; que pour le surplus de ce qui nous était ordonné touchant la pacification des troubles de son royaume, la cause et les remèdes, nous ne pouvions rien ajouter aux remontrances faites depuis peu par les députés du parlement, dont nous étions chargés de demander la réponse, et supplier Sa Majesté de la vouloir rendre au plus tôt.
«Le roi nous dit que M. le garde des sceaux nous ferait entendre sa volonté; lequel incontinent nous dit que le roi était dans l'intention de donner à sa bonne ville de Paris, et à l'intercession du parlement, toute la satisfaction que l'on pouvait attendre pour l'éloignement des gens de guerre, lesquels ne s'en fussent point approchés si les autres troupes ne se fussent saisi des passages, n'eussent empêché le commerce ordinaire, pris des prisonniers, obligé d'avoir des passe-ports pour venir trouver le roi; qu'il ne tiendrait pas à Sa Majesté[T.I pag.91] que l'on ne fit cesser tous ces actes d'hostilité dans Paris et dans les dix lieues à la ronde, et que l'abondance, la paix et la tranquillité ne fussent rétablies. Néanmoins, avant que nous rendre la réponse précise, puisque Sa Majesté apprenait, par l'arrêt du parlement, que le maréchal de l'Hôpital et un député, de la part de M. le duc d'Orléans, devaient venir pour le même sujet, que Sa Majesté enverrait l'ordre audit sieur maréchal et un passe-port, le nom en blanc, pour celui que Monsieur voudrait nommer, et cependant que nous eussions à demeurer jusqu'à leur arrivée; que l'on avait eu regret que l'affaire de Saint-Cloud fût engagée avant notre arrivée; mais que, si nous étions venus par le chemin ordinaire, nous avions pu voir filer les troupes qui étaient commandées depuis longtemps, et que, pour ce qui restait à exécuter, le roi ferait surseoir l'exécution des ordres qui étaient donnés.
«Le roi fit souvenir ensuite M. le garde des sceaux de parler de madame de Bouillon[151], lequel nous dit que Sa Majesté trouvait étrange qu'elle fût retenue prisonnière et qu'on eût souffert qu'une personne de sa condition, sortant de la ville sous la foi des passe-ports, fût maltraitée comme elle avait été. Nous répondîmes au roi que cette affaire n'était point de notre connaissance, et que le parlement n'y avait point de part; mais que, puisqu'il plaisait au roi nous l'ordonner, nous en ferions rapport à la compagnie.
«Nous fûmes invités de grand nombre de personnes[T.I pag.92] de qualité et de la plupart de ceux que nous avons nommés, qui composent le conseil du roi, lesquels voulurent rendre leurs respects et leurs civilités au parlement en nos personnes. Nous passâmes ainsi le samedi et le dimanche matin, attendant M. le maréchal de l'Hôpital, lequel n'arriva qu'environ le midi avec le sieur comte de Béthune, envoyé par M. le duc d'Orléans, et vinrent ensemble sur les trois heures, par ordre du roi, chez M. le garde des sceaux, où nous avions dîné, pour conférer avec mondit sieur le garde des sceaux, M. de Bouillon, M. le maréchal de Villeroy, les sieurs le Tellier et Duplessis-Guénégaud, secrétaires des commandements du roi, lesquels avaient eu ordre pareillement de s'y trouver.
«Après que nous eûmes de nouveau fait entendre le contenu en l'arrêt de la cour et la supplication que nous étions chargés de faire au roi, d'éloigner toutes les troupes dix lieues à la ronde de Paris, et que M. le maréchal eut insisté à la même proposition, le comte de Béthune fit entendre qu'il avait charge de M. le duc d'Orléans et de M. le Prince d'assurer le roi qu'aussitôt que les troupes seraient retirées ils feraient aussi retirer celles qu'ils avaient dans Paris et aux environs, en leur donnant les passe-ports et escortes nécessaires pour aller en sûreté à Étampes. A quoi il fut répondu par M. le garde des sceaux que c'était une condition nouvelle dont M. le Prince n'avait point parlé dans le Parlement; qu'il était juste de donner à ces troupes passe-ports et escorte; mais de les conduire à Étampes, il n'était pas raisonnable, puisque c'était une place attaquée[T.I pag.93] ou qui le serait dans peu de jours, et que, s'il voulait dire le nombre d'hommes pour l'exprimer dans les passe-ports, on aviserait, suivant la quantité des troupes, du lieu où elles seraient conduites. A quoi le comte de Béthune ayant reparti qu'il n'avait aucune connaissance du nombre d'hommes, et qu'il ne le pouvait apprendre sans aller à Paris, ou y envoyer un exprès, et que d'ailleurs son ordre portait ce qu'il avait déjà dit pour Étampes et qu'il ne pouvait s'en relâcher en aucune manière, M. le garde des sceaux dit qu'il en ferait son rapport au roi pour connaître sa volonté.
«Le lendemain matin, mardi, nous fûmes avertis que le roi nous donnerait audience à l'issue de son dîner, et sur les trois heures nous fûmes conduits dans le cabinet du roi, en la même manière, et où étaient les mêmes personnes que la première fois. Le roi nous dit que nous verrions son intention dans un écrit qu'il nous mit entre les mains, et ensuite, après avoir pris congé de Sa Majesté, nous partîmes le même jour et vînmes coucher en cette ville.» La réponse remise aux députés contenait, en substance, que l'armée royale s'éloignerait à dix lieues de Paris, pourvu que le duc d'Orléans et le prince de Condé éloignassent de même leurs troupes. Quant aux questions qui concernaient la pacification générale du royaume, le parlement devait envoyer à Saint-Germain deux présidents et deux conseillers qui entendraient la volonté du roi[152].
Ces négociations, conduites sans bonne foi et sans[T.I pag.94] amour sincère de la paix, n'étaient destinées qu'à amuser et à gagner les magistrats. Elles couvraient des conférences plus sérieuses, où le procureur général traitait directement avec Mazarin. Nicolas Fouquet y obtint qu'on s'occupât de l'échange de son frère, qui était toujours prisonnier des princes. Le cardinal écrivit le 12 mai à l'abbé Fouquet: «Le roi trouvera bon de vous échanger avec une personne de qualité et de votre profession. Il faudrait que ce fût madame de Puisieux[153] qui le fit proposer à M. le Prince, et il semble qu'il n'y aurait aucune raison pour rompre cet échange.» En effet, l'abbé Fouquet ne tarda pas à être mis en liberté. Les lettres du cardinal attestent aussi que la cour était très-disposée à accueillir et à flatter les députés du parlement. Il devenait chaque jour plus facile de ramener les principaux membres de ce grand corps, fatigué de la tyrannie des princes et des violences de leur faction. Quant au duc d'Orléans et au prince de Coudé, ils parurent indignés des négociations de la cour avec le parlement, rompirent toutes les conférences et reprirent les armes[154].[T.I pag.95]