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CHAPITRE XII
Оглавление—OCTOBRE-DÉCEMBRE 1652—
L'abbé Fouquet est chargé par Mazarin de préparer son retour à Paris, et de soutenir ses intérêts auprès de la reine Anne d'Autriche (21 octobre).—Nécessité de punir les chefs de la révolte et surtout de faire sortir de Paris le cardinal de Retz.—L'abbé Fouquet doit insister sur ce point auprès du procureur général son frère.—Mazarin conseille d'envoyer Retz en ambassade à Rome.—Il engage l'abbé Fouquet à se tenir en garde contre les violences de Retz, qui a juré de se venger de lui.—Nouvelles instances de Mazarin auprès des deux Fouquet pour qu'ils disposent les esprits en sa faveur, et que les arrêts du parlement contre lui soient annulés par une déclaration royale.—Zèle de l'abbé Fouquet et du procureur général pour ruiner les ennemis de Mazarin, et particulièrement le cardinal de Retz.—Négociations avec ce prélat; elles sont rompues.—Lutte de l'abbé Fouquet contre Retz; il lui tient tête partout et propose de lui enlever l'autorité épiscopale dans Paris.—Arrestation du cardinal de Retz (10 décembre).—L'abbé Fouquet en avertit le premier Mazarin; ruine du parti de la Fronde.—Services rendus par les deux Fouquet.—Leur avidité et leur ambition.—Promesses de Mazarin.
Le jour même où le roi rentrait à Paris (21 octobre), Mazarin écrivait à l'abbé Fouquet: «Prenez bien garde que l'on formera des difficultés pour empêcher ou au moins pour retarder mon retour, particulièrement après que les Parisiens seront satisfaits par celui du roi en leur ville. Le cardinal de Retz ne sera pas un de ceux qui y travailleront le moins. Je vous prie de n'oublier[T.I pag.205] rien pour inspirer de plus en plus aux habitants des sentiments favorables pour moi. En quoi je m'assure que vous serez bien secondé par ceux qui ont agi pour le service du roi à Paris dans ces dernières rencontres, et notamment par M. de Pradelle[338]. En cas que quelque chose n'aille pas bien à mon égard, dites-le hardiment à la reine, et proposez les expédients que vous jugerez à propos pour y remédier.» Ainsi c'est l'abbé Fouquet qui devient l'intermédiaire entre la reine et Mazarin exilé.
Le 24 octobre, le cardinal, qui venait de recevoir la nouvelle de l'entrée de Louis XIV à Paris, insiste sur les mesures nécessaires pour assurer le triomphe de la cause royale. «Je suis ravi, écrivait-il à l'abbé Fouquet, de la manière en laquelle le roi est entré à Paris, et de la résolution qu'on a prise d'en faire sortir les factieux; mais j'ai bien peur que quelques-uns d'entre eux, ou par l'entremise de leurs amis à la cour, ou autrement, ne trouvent moyen d'en éluder l'exécution. C'est pourquoi, je vous prie de nouveau, de dire à la reine confidemment de ma part qu'il faut faire avec hauteur et fermeté ce qui a été arrêté là-dessus, parce que si on souffrait que quelques-uns de ces chefs d'émeute, comme Broussel ou autres, restassent à Paris, ce serait y laisser une semence de révolte, et cette tolérance serait réputée une manifeste faiblesse, parce que l'on verrait qu'en même temps que l'on punit quelques sé[T.I pag.206]ditieux, ou en épargne les chefs principaux. Il n'y a personne qui puisse être avec raison d'autre avis que celui où je vois que vous êtes, et j'en ai beaucoup de satisfaction, m'assurant que c'est aussi le sentiment de M. votre frère.»
Parmi les chefs de la sédition que Mazarin craignait que l'on n'épargnât, le cardinal de Retz était toujours au premier rang. Il insiste sur ce point avec l'abbé Fouquet, comme avec le procureur général. «Je crois, écrivait-il à l'abbé Fouquet, qu'il est impossible que le repos et l'obéissance envers le roi puissent s'ajuster avec le séjour du cardinal de Retz à Paris. Il donnera des méfiances et embarrassera, autant qu'il pourra, l'esprit de S.A.R. pour l'empêcher de s'accommoder et de sortir de Paris[339], et, en cas qu'elle y soit contrainte, il n'oubliera rien, afin qu'elle ne s'en éloigne pas, et fera de continuelles cabales pour le faire revenir et pour troubler les affaires plus qu'elles n'ont jamais été. Je vous prie donc de dire à M. le procureur général qu'il faut s'appliquer sérieusement à ceci, comme à la chose, qui, à mon avis, est la plus importante. Il n'y a personne qui le connaisse mieux que vous, et vous savez si j'ai rien négligé pour l'obliger à être de mes amis, et que toutes mes diligences et ses paroles n'ont abouti à rien, parce que le fonds de la probité n'y est pas. Si on le pouvait envoyer à Rome, comme il l'a fait offrir lui-même, par la princesse Palatine[340], d'y aller quand le roi[T.I pag.207] voudrait, ce serait un grand coup; mais je ne crois pas qu'il s'y résolve jamais de son gré. Je vous prie d'en conférer avec M. votre frère, et de dire après à la reine de ma part tout ce que vous aurez jugé à propos sur ce sujet.
«Comme vous êtes des témoins irréprochables de tout ce qui s'est passé entre lui et moi, et que vous savez son peu de foi et ses mauvaises intentions, je sais qu'il vous appréhende fort, et que sur ce que vous marquiez quelque chose à son désavantage dans votre lettre qui a été interceptée[341], il a dit qu'il se vengerait de vous. A quoi je vous conjure de prendre bien garde; car c'est un homme dont l'humeur et la conduite vous doivent faire croire que, s'il en avait la facilité, il le ferait encore plutôt qu'il ne le dit.»
La présence du cardinal de Retz à Paris était la principale cause qui s'opposait à l'entrée de Mazarin dans cette ville. De là sa haine violente contre un adversaire qui l'empêchait de réaliser le plus ardent de ses désirs. Toutes ses lettres recommandent d'user de sévérité envers les ennemis, et, en même temps, on y voit percer l'impatience de revenir à Paris. Après avoir remercié l'abbé Fouquet d'avoir réchauffé en sa faveur le zèle du prévôt des marchands nouvellement rétabli: «C'est une occasion, lui disait-il, en laquelle tous les bons serviteurs du roi doivent faire les derniers efforts pour relever son autorité, étant certain que l'on fera plus de[T.I pag.208] chemin maintenant en un jour que l'on ne saurait faire dans un autre temps en six mois, et j'ai été bien aise de voir par votre lettre que vous n'approuviez pas certaines tendresses que l'on avait pour des gens attachés au parti des princes, parce qu'il est certain qu'elles ne sont pas de saison, et il sera très à propos, après que vous en aurez concerté avec M. votre frère, que vous preniez occasion d'en parler souvent à la reine, lui disant que je vous en ai chargé et prenant garde que personne n'en ait connaissance.»
Mazarin écrivait dans le même sens au procureur général. «J'attends, lui disait-il, les ordres de la cour pour être informé de la volonté de Leurs Majestés, et l'on m'a déjà mandé que l'on était sur le point de me les envoyer. J'avais estimé que, dans la bonne disposition où était la ville de Paris, l'on aurait bien pu me donner des ordres afin que je m'avançasse cri diligence pour avoir l'honneur d'y accompagner le roi, puisque cela se pouvait sans inconvénient, et même qu'il aurait été avantageux pour la réputation de Sa Majesté. Mais je veux croire que ce que l'on a fait a été pour le mieux, et que l'on aura eu en cela des raisons que je ne puis peut-être savoir ici.
«J'attends avec impatience la déclaration[342], que vous avez pris la peine de dresser avec M. Servien et M. le Coigneux, dont je vous suis fort obligé; ce n'est pas que j'aie besoin de la voir pour être persuadé que ce sera une pièce achevée. Je suis ravi de voir la vigueur[T.I pag.209] et la fermeté avec laquelle on agit: c'est le moyen le plus sûr et le plus prompt pour rétablir l'autorité du roi et rendre ses succès heureux. Sans avoir su vos sentiments sur les autres choses dont vous m'écrivez, les miens s'y étaient rencontrés tout conformes. Sur quoi je me remets à vous entretenir plus particulièrement à mon retour. Pour ce qui est de M. de Lyonne[343], je suis toujours dans les mêmes dispositions pour lui que je vous ai témoignées et que je lui ai fait savoir à lui-même devant que partir de Pontoise.
«Vous verrez ce que j'écris à M. votre frère, qui parlera fortement à la reine de ma part sur toutes les choses dans lesquelles il pourrait y avoir difficulté, et que vous jugerez absolument nécessaires pour le service du roi.
«Enfin, je suis assuré que vous ne vous endormirez pas à présent que l'on peut agir dans Paris avec espérance de bon succès. Je me tourmente continuellement pour fortifier notre armée. J'ai déjà assemblé plus de six cents chevaux, et j'espère que, dans dix jours, il y en aura plus de mille[344]. Vous jugerez bien que ce n'est pas un petit renfort dans le temps où nous sommes, et qu'il pourra être employé utilement pour empêcher que tous nos ennemis unis ensemble ne viennent à bout du dessein qu'ils ont de prendre des quartiers d'hiver en[T.I pag.210] France. Le comte de Fuensaldagne devait pour cet effet être hier à Montcornet[345] pour faire aujourd'hui la jonction avec M. le Prince[346] et M. de Lorraine; mais j'espère avec beaucoup de fondement qu'ils n'auront pas en cela le bon marché qu'ils se sont proposé.
«Il faut seulement que les bons serviteurs que le roi a dans le parlement songent de bonne heure à des moyens de faire avoir quelque somme au roi, sans qu'ils soient à la charge du peuple; car avec cela j'ose vous répondre que les affaires se rétabliront, et bientôt.
«Je vous prie d'assurer M. le président le Coigneux de mon estime et de mon amitié, et de lui dire que je n'oublierai rien pour l'obliger à me conserver la sienne. Je m'assure que vous et lui ferez tout ce qu'il faut, afin que les officiers qui étaient à Pontoise tiennent le haut du pavé dans la compagnie, à présent que la réunion est faite; en quoi ils peuvent être assurés qu'ils seront bien appuyés du côté de la cour. C'est tout ce que je vous dirai par cette lettre, attendant avec grande impatience de vous pouvoir entretenir plus au long sur toutes choses.»
Les deux frères agirent en cette circonstance avec la vigueur que leur recommandait Mazarin. L'abbé surtout montra la décision et l'impétuosité de son caractère dans la lutte qu'il engagea contre le cardinal de Retz. Il trouvait en lui un adversaire redoutable, habile à s'entourer d'hommes résolus, comme les Fon[T.I pag.211]trailles, les Montrésor et tant d'autres nourris dans les intrigues de la Fronde et habitués à manier l'épée. Retz avait d'ailleurs conservé un grand ascendant sur le clergé de Paris, malgré le scandale de ses mœurs. Une partie du peuple lui était dévouée. Il se tenait enfermé dans l'archevêché, à l'ombre des tours de Notre-Dame, dans un asile dont il profanait le caractère sacré[347]. Sa renommée semblait encore doubler ses forces, et il fallait, pour s'attaquer à un pareil homme, le caractère énergique et téméraire de l'abbé Fouquet. Cet abbé était depuis longtemps le rival en amour du cardinal de Retz: il lui avait disputé madame de Guéménée et enlevé mademoiselle de Chevreuse. Il était alors excité par cette jeune fille, qui, si l'on en croit les Mémoires de Retz, haïssait ce dernier autant qu'elle l'avait aimé.
Cependant, avant d'en venir aux dernières extrémités, on tenta de traiter avec le cardinal. La reine avait fait sonder ses dispositions par madame de Chevreuse et par la princesse palatine, Anne de Gonzague. Retz répondit, si on l'en croit, aux avances de la première avec une froide politesse. Quant à la Palatine, il avait plus de confiance en elle, et il ne refusa pas d'entrer en négociation. Il prétend même que la cour était si pressée de traiter, qu'on lui envoya un des secrétaires d'État, Abel Servien, celui-là même qui avait négocié la paix de Westphalie. On lui aurait offert, outre l'ambassade[T.I pag.212] de Rome et l'intendance des affaires du roi en Italie, le payement de la plus grande partie de ses dettes. En un mot, comme il le dit lui-même[348], on voulait lui faire un pont d'or pour qu'il sortit de Paris et laissât la place libre au cardinal Mazarin. Ces offres magnifiques tentèrent un instant la vanité de Retz; mais il aurait, dit-il, regardé comme une lâcheté de sacrifier à son avantage personnel les intérêts de ses amis, de Brissac, d'Argenteuil, de Montrésor, de Fontrailles et de tant d'autres frondeurs, qui avaient couru sa fortune et devaient partager son sort.
Il ne faut croire qu'avec circonspection ces Mémoires de Retz, si spirituels, si piquants, mais composés longtemps après les événements pour amuser madame de Caumartin et faire ressortir l'héroïsme de l'auteur. Toutefois les lettres de Mazarin attestent à quel point il était préoccupé de la présence de Retz à Paris, de ses cabales, de son audace à tenter un coup de main. On a vu qu'il exhortait l'abbé Fouquet à se tenir sur ses gardes, et qu'il croyait Retz capable de se porter aux dernières extrémités[349]. Aussi l'abbé Fouquet prenait-il ses précautions; il avait à ses ordres des hommes de sac et de corde[350], de véritables coupe-jarrets, et le cardinal de Retz prétend qu'il tenta plusieurs fois de le faire assassiner[351]. Ce qui est certain, c'est qu'après la rupture[T.I pag.213] des négociations, l'abbé Fouquet redevint le principal antagoniste de Retz. Il lui tint tête partout où il le rencontra: «Vous connaissant comme je fais, lui écrivait Mazarin à la date du 21 novembre, je m'imagine de quel ton vous aurez parlé à M. le cardinal de Retz chez la personne où vous l'avez vu, et je ne doute point qu'étant aussi bien informé que vous l'êtes, de quelle sorte les choses se sont passées, vous ne lui en ayez dit librement vos sentiments; je compterai cela parmi tant d'autres choses de cette nature que vous faites pour l'amour de moi, et dont je ne perdrai jamais le souvenir.»
Le cardinal de Retz ne se vante pas de la scène à laquelle fait allusion Mazarin, et qui eut probablement lieu à l'hôtel de Chevreuse. La fille de madame de Chevreuse, la jeune Charlotte de Lorraine, dont les amours ont été si outrageusement profanés par Retz, venait d'être enlevée par une fièvre maligne (7 novembre). Le cardinal rapporte qu'il visita madame de Chevreuse pendant la maladie de sa fille[352], et c'est probablement dans cette circonstance qu'il se trouva en présence de l'abbé Fouquet.
Comme Retz tirait sa principale force du caractère épiscopal dont il était revêtu et des fonctions que lui laissait remplir l'archevêque de Paris, son oncle, l'abbé Fouquet conseilla au cardinal Mazarin de se servir du vieux Gondi pour enlever au coadjuteur toute autorité sur [T.I pag.214]le clergé. «J'ai fait réflexion, lui répondit Mazarin, à ce que vous me mandâtes dernièrement, que l'on pourrait obliger M. l'archevêque de Paris à faire une déclaration publique qu'il ne prétend point que le cardinal de Retz fasse aucune fonction d'archevêque, et qu'il défend à tous ceux de son diocèse de le reconnaître, et comme ce serait ôter au cardinal de Retz les principales armes dont il prétend se servir pour pouvoir demeurer à Paris, je crois, si la reine le jugeait à propos, qu'on ne doit rien oublier pour faire roussir cet expédient. Je vous prie d'y travailler sans perte de temps, après en avoir reçu les ordres de Sa Majesté.» L'abbé Fouquet fit sans doute, avec son zèle ordinaire, des démarches pour assurer le succès d'une mesure qu'il avait suggérée, et que rendait plus facile la jalousie de l'archevêque de Paris envers son neveu. En cas de succès, l'abbé Fouquet eût pu devenir vicaire général et administrateur du diocèse de Paris[353]. Peut-être entrevoyait-il déjà la pourpre romaine, dont lui avait malicieusement parlé un de ses correspondants? Quoi qu'il en soit, il ne fut pas nécessaire d'employer contre Retz l'autorité archiépiscopale: il se laissa aveugler et tomba dans le piège que lui tendaient ses ennemis.
Le roi avait donné l'ordre de l'arrêter. Pradelle[354], un des officiers de l'abbé Fouquet, était spécialement chargé de veiller à toutes les démarches de Retz et d'exécuter cet ordre. En cas de résistance, il devait le tuer. Il en avait commandement exprès, écrit de la[T.I pag.215] main de Louis XIV[355]. La difficulté était d'attirer le cardinal hors de l'archevêché, où il s'obstinait à rester enfermé sous la garde d'un bon nombre de gentilshommes d'un dévouement à toute épreuve. Il fallut user de ruse pour le faire sortir de sa forteresse: une des femmes qui avaient le plus de crédit sur Retz le décida. La duchesse de Lesdiguières, dans laquelle il avait une pleine confiance et qu'il croyait bien instruite des projets de la cour, le pressa de se rendre au Louvre, en lui disant que, s'il pouvait y aller en sûreté, la bienséance exigeait qu'il s'y présentât. Retz objecta qu'il ne pouvait le faire avec sûreté. «N'y a-t-il, reprit madame de Lesdiguières, que cette considération qui vous arrête?» Sur la réponse affirmative du cardinal, elle ajouta: «Allez-y demain; car nous savons le dessous des cartes[356].» Sur cette affirmation d'une personne qu'il croyait sincère et bien avertie, le prélat oublia sa prudence ordinaire, et, pour un homme réputé habile, fit une faute étrange. A peine eut-il mis le pied au Louvre, le 19 décembre 1652, qu'il fut arrêté par le capitaine des gardes Villequier, transféré immédiatement à Vincennes sous bonne escorte et enfermé dans le château.
Ce fut l'abbé Fouquet, qui, le premier, avertit Mazarin de ce coup décisif. La réponse du cardinal est curieuse; il s'efforce de dissimuler sa joie, et affecte des regrets hypocrites. «C'est votre courrier, écrit-il à l'abbé Fouquet (24 décembre), c'est votre courrier qui m'a apporté le premier la nouvelle que le cardinal de[T.I pag.216] Retz avait été arrêté par ordre de Leurs Majestés. Je suis marri que sa conduite les ait obligées à prendre cette résolution contre un cardinal, et, à la vérité, il parait assez par les offres avantageuses qu'ils avaient eu la bonté de lui faire pour l'envoyer à Rome, dissimulant tout ce qu'il avait recommencé à faire contre leur service, qu'elles s'y sont portées avec grande répugnance, mais enfin je n'ai rien à dire à ce qu'elles font pour le bien de l'État.»
Le cardinal de Retz s'était persuadé qu'à la première nouvelle de son arrestation les Parisiens prendraient les armes; mais personne ne bougea. Quelques-uns de ses partisans, et entre autres le marquis de Château-Renaud[357], cherchèrent vainement à soulever les quartiers dont les habitants paraissaient dévoués à Retz; ils trouvèrent, dit le cardinal lui-même[358], les femmes dans les larmes, et les hommes dans l'inaction et la frayeur. Retz et ses partisans se trompaient d'époque; ils se croyaient encore au temps on l'on élevait des barricades pour Broussel[359] et pour quelques conseillers du parlement, tandis que le peuple de Paris, corrigé par une rude expérience, était las de ces agitations factieuses et aspirait au repos. Restait la cour de Rome, qui pouvait s'irriter de l'arrestation d'un prince de l'Église. Mazarin se chargea de l'apaiser. Il écrivit au pape pour lui faire connaître les motifs de cette mesure. «Le cardinal de Retz, lui disait-il, se laissant emporter à son[T.I pag.217] naturel, qui est très-fier, a fait vanité de ne rien craindre et l'a publié. Comme si la dignité, de laquelle il est redevable au roi, le rendait indépendant de son autorité, et qu'il lui fui permis de violer le respect que sa sujétion établit, ainsi que les lois les plus saintes de la monarchie, il s'est exempté de venir au Louvre, et en a déclaré les raisons qu'il avait: que c'était un lieu où il pouvait être arrêté; qu'ailleurs il était en sûreté,» etc. Après avoir rappelé tout ce que la cour avait fait pour gagner le cardinal de Retz, Mazarin montrait en lui un rebelle obstiné, que le roi avait justement puni de ses crimes envers l'État.
L'arrestation du cardinal de Retz fut le coup de mort pour la Fronde. Depuis cette époque, le parlement, déjà abattu, rentra décidément dans le devoir. La bonne bourgeoisie manifesta hautement ses sentiments, et les voix qui tentèrent de protester furent facilement étouffées. Le rôle des deux Fouquet avait été, dans ces circonstances, utile et honorable. Ils n'avaient pas dévié un instant de la voie qu'ils s'étaient tracée. L'un avait, par un mélange d'adresse et de fermeté, calmé les esprits des membres du parlement, ramené les moins passionnés, défendu habilement les intérêts du cardinal, et, lorsque la crise fut parvenue à son dernier période, il avait donné des conseils énergiques pour séparer les magistrats fidèles d'une assemblée de factieux. La translation du parlement à Pontoise avait été son œuvre. L'autre, audacieux jusqu'à la témérité, avait bravé tous les dangers pour porter au cardinal les conseils et les encouragements de ses partisans fidèles; il[T.I pag.218] avait tenu tête, dans Paris, aux Frondeurs exaltés, gagné une partie des bourgeois, lutte jusqu'à la dernière extrémité contre la faction des princes, et en même temps négocié avec une persévérance et une habileté qui ne se démentirent qu'au moment où sa passion pour madame de Châtillon commença à l'aveugler. Enfin, le principal ennemi de Mazarin avait trouvé dans l'abbé Fouquet un rival aussi décidé, aussi violent, aussi téméraire que lui, et, malgré des dédains affectés, on voit percer, dans les Mémoires de Retz, trop de haine contre cet adversaire pour qu'il ne l'ait pas jugé redoutable.
Mazarin proclamait hautement les services des deux frères. Il écrivait à l'abbé Fouquet, le 25 décembre: «Je ne puis assez louer l'application avec laquelle vous embrassez toutes les occasions d'agir pour le service du roi, sans que la considération des ennemis que vous pouvez vous mettre sur les bras soit capable de vous refroidir; mais ce n'est pas par des paroles qu'il faut témoigner le gré que l'on vous en doit savoir, vous étant obligé au point que je suis des marques d'amitié que vous me donnez tous les jours sans aucune réserve.» Les services de l'abbé Fouquet n'étaient pas désintéressés. Dès le mois d'octobre, il avait sollicité pour son frère le cordon bleu que laissait vacant la mort de Chavigny. La dignité de trésorier de l'ordre du Saint-Esprit, dont Chavigny était investi, donnait, en effet, le droit de porter cet insigne qu'ambitionnaient les personnages du plus haut rang[360]. Mazarin ne put, [T.I pag.219]en cette circonstance, céder aux instances de l'abbé Fouquet; mais son refus est exprimé en des termes qui devaient consoler l'abbé et lui faire concevoir pour l'avenir de hautes espérances. «J'ai beaucoup de déplaisir, lui écrivait-il, de ne pouvoir m'employer pour faire avoir la charge de trésorier de l'ordre à M. le procureur général; mais vous le pouvez assurer sur ma parole qu'en quelque autre occasion je le servirai aussi solidement, souhaitant avec passion de l'obliger à être toujours de mes meilleurs amis, comme je veux être toute ma vie des siens.»
L'abbé Fouquet, déjà pourvu d'une riche abbaye, sollicitait, quoiqu'il ne fût pas prêtre, un grand vicariat de l'église de Paris. Mazarin avait d'abord hésité à appuyer cette demande; mais ensuite il y vit un moyen d'opposer, dans le clergé même de Notre-Dame, un rival au cardinal de Retz, qui n'était pas encore arrêté à cette époque, et il répondit à l'abbé Fouquet: «Bien que je vous aie mandé que je remettrais à mon retour à parler à la reine pour le grand vicariat que vous demandez, ayant néanmoins depuis fait réflexion que la chose pourrait presser, et qu'étant nécessaire d'en établir un vous pourriez être prévenu, j'écris à Sa Majesté pour la supplier de vous faire donner cette commission, croyant qu'un homme qui n'est pas prêtre ne laisse pas d'en pouvoir faire la fonction. Je vous adresse ma lettre pour Sa Majesté, afin que vous la lui rendiez vous-même, et je vous prie de croire que j'aurai toujours beaucoup de plaisir de pouvoir contribuer à ce que vous souhaiterez.»[T.I pag.220]
Les deux frères avaient des vues encore plus ambitieuses. Ils savaient qu'ils avaient des adversaires dans le conseil du roi: ils aspiraient, sinon à les écarter, du moins à y faire entrer leurs amis pour balancer le crédit des anciens ministres. Michel le Tellier avait, dans une circonstance récente, témoigné à l'abbé Fouquet des charités (je cite le mot même de la lettre attribuée à Roze)[361], dont le vindicatif abbé lui gardait rancune. N'espérant pas faire disgracier Michel le Tellier, les deux frères travaillèrent à introduire dans le conseil du roi Hugues de Lyonne, avec lequel ils étaient en liaison intime. Ils y mirent une insistance qui fatigua le cardinal, malgré ses dispositions favorables pour de Lyonne; il voulait, en effet, ne s'occuper de cette affaire qu'après son retour à la cour. «Je suis surpris, écrivait-il à l'abbé Fouquet, de ce que vous me marquez que M. le procureur général ne comprend rien à ce que je lui ai écrit touchant de Lyonne, puisqu'il me semble m'être assez bien expliqué en lui disant, comme je le lui réitère encore, que je suis toujours dans les mêmes sentiments que j'ai fait témoigner au sieur de Lyonne même, et comme je sais qu'il en est fort satisfait, je crois, par conséquent, que le procureur général le doit être aussi. Après tout, il faudrait que j'eusse perdu tout crédit auprès de Leurs Majestés, si je ne venais à bout de résoudre le retour de M. de Lyonne à la cour. Je crois pourtant très à propos qu'on ne sache pas, pour son avantage même, que j'ai cette intention.[T.I pag.221] Je ne fais point de réponse plus particulière à M. le procureur général, parce que, comme nous nous reverrons bientôt, je remets tout à la vive voix, vous priant seulement de le remercier de ma part de toutes les marques qu'il me donne de son amitié, et de lui dire que je suis ravi de le voir si appliqué à tout ce qui peut rétablir l'autorité du roi au point où elle doit être.»[T.I pag.222]