Читать книгу Le 13e Hussards, types, profils, esquisses et croquis militaires... á pied et á cheval - Emile Gaboriau - Страница 15

XII

Оглавление

Table des matières

On dit comme ça, au 13e hussards, que la goutte est le lien des cœurs et le ciment de l’amitié.

Cet axiome est flamboyant de vérité, mais il ne dit pas toute la vérité.

Au 13e, la goutte est une puissance, une séduction irrésistible, un magique talisman qui, plus d’une fois, a fait fléchir l’inflexible discipline.

Pour elle, des brigadiers, des maréchaux des logis même, ont compromis et risqué leurs galons.

Pour elle, on a vu des brigadiers—c’est un grade si altéré—emboîter[B] avec préméditation leurs subalternes, des conscrits naïfs, les flagorner audacieusement, les admettre sans vergogne aux épanchements si doux de l’amitié, et le verre à peine vide, les lèvres humides encore, les coller impitoyablement au clou, pour la plus grande gloire du service intérieur.

[B] EMBOITER—circonvenir. L’armée a aussi sa langue verte.

Rien de plus figuré d’ailleurs que l’expression. La mesure de la goutte n’a d’autres limites que la fantaisie. Tel qui a mis à sec une bouteille, prétend et soutient qu’il n’a bu qu’une simple goutte.

Cependant la mesure généralement adoptée est le quart, si bien que les deux mots quart et goutte sont devenus synonymes.

Quant au liquide, c’est toujours de l’eau-de-vie, prononcez schnick, d’où le verbe schniquer et le substantif schniqueur.

La goutte se boit à toute heure de la journée, depuis le réveil jusqu’à l’extinction des feux, avant ou après la soupe. Mais de préférence on la boit le matin, au saut du lit.

Rien de meilleur pour éveiller son homme, de plus apéritif pour l’estomac, de plus sain pour dissiper le brouillard.

Sombre et mélancolique est le hussard qui n’a pas, dès l’aurore, son demi-quart au moins dans le fusil. Toute la journée s’en ressent, aussi assure-t-on que qui ne boit goutte n’y voit goutte.

Tous les militaires sont, dit-on, égaux devant la goutte parce qu’elle met dedans avec la même impartialité l’adjudant-major aussi bien que le dernier trompette.

N’est-ce pas le maréchal Bugeaud qui disait un jour: Le soldat s’agite, la goutte le mène.

Malheureusement, au 13e, on abuse souvent du schnick. Mais qui donc y trouverait à redire, si le service n’en souffre pas? Et chacun sait que le cavalier porte sans chanceler une ration qui anéantirait trois pékins, débiles buveurs de petits verres.

Le 13e hussards montre avec orgueil un vieux brigadier—cocardier à trois brisques—qui ne commence à voir clair dans ce qu’il appelle un peu fastueusement peut-être ses idées, qu’entre la troisième et la quatrième goutte.

Ce brave calculait un jour que, depuis son entrée au service, c’est-à-dire en vingt-deux ans, il avait absorbé trente-six mille cinq cent quarante quarts, encore devait-il se tromper en moins, n’ayant pas tenu compte des années bissextiles.

C’est le même qui, se trouvant indisposé, un matin qu’il avait schniqué plus que de coutume, s’écriait d’un air convaincu:

—C’est tout de même vrai, comme dit c’t autre, que quand le vase est déjà plein, faut qu’une goutte pour le faire déborder.

Le 13e Hussards, types, profils, esquisses et croquis militaires... á pied et á cheval

Подняться наверх