Читать книгу Le 13e Hussards, types, profils, esquisses et croquis militaires... á pied et á cheval - Emile Gaboriau - Страница 19
XVI
ОглавлениеLe réveil venait de sonner, Gédéon s’habillait en toute hâte, lorsque le brigadier Goblot entra dans la chambre.
—Hussard Flambert, dit-il, vous êtes de cuisine.
—Ciel! vous n’y pensez pas, brigadier, je n’ai pas la moindre notion de cet art, je ferai des choses horribles.
—Que vous croyez peut-être qu’un blaireau comme vous va être cuisinier en pied? Vous êtes commandé pour aider. Allons, à cheval!
A l’aspect de la cuisine, Gédéon fut saisi d’effroi.—O Hercule nettoyeur, murmura-t-il, sois-moi propice et viens à mon aide.
Près d’un vaste fourneau, un grand diable vêtu d’une indescriptible blouse fumait tranquillement sa pipe.
—Allons, blaireau, dit-il à Gédéon, dépêchons-nous; et pour commencer tu vas astiquer toute cette vaisselle de fer-blanc. Et il montrait un énorme tas de gamelles.
Tristement Gédéon se mit à l’œuvre. Évidemment, se disait-il, je ne suis que le marmiton, cet autre est le cuisinier en chef.
Un homme important, le cuisinier en pied—il y en a un par escadron—presque un personnage!
Aussi ne l’est pas qui veut. Longue est la liste des conditions requises: il faut avoir fait très-peu de punitions, être un propre soldat, connaître à fond le métier de cavalier, et avoir sa masse complète.
Quant à des connaissances culinaires préalables, pas n’en est besoin. A quoi bon d’ailleurs? Tout l’art du cuisinier consiste à mettre, à une certaine heure, dans la marmite, de l’eau, du bœuf et des légumes, à faire bon feu dessous; puis, à une autre heure, à retirer le tout, pour le distribuer également dans un certain nombre de gamelles, et cela, deux fois par jour.
Le cuisinier sortant explique à son successeur les autres détails, comme, par exemple, qu’il est bon, sinon indispensable, d’éplucher les légumes.
Et cependant le 13e a eu ses illustrations culinaires. On y parle encore d’un Provençal qui n’avait pas son pareil pour le rata au lard et aux pommes de terre; et il est avéré que certain soir, ayant un grand dîner, le capitaine de l’escadron envoya chercher plein une soupière de cette délicieuse tamponne, pour en faire goûter à ses convives,—lesquels s’en léchèrent les doigts.
Ce poste de cuisinier est des plus convoités; mais aussi, que d’avantages! On assure qu’un cuisinier adroit fait sur la graisse, les os et les épluchures des bénéfices considérables, et qu’il met de l’argent de côté.
Ne va-t-on pas jusqu’à dire qu’il s’entend avec le brigadier d’ordinaire, qui lui gargarise le gosier et ne le laisse jamais manquer de tabac? Enfin, il est accusé de trafiquer avec une cantinière, et de lui livrer—meilleur marché que le boucher—les plus fins morceaux adroitement escamotés.
Mais cette dernière imputation est si formidable et peut conduire si loin les coupables, que mieux vaut ne pas approfondir.
Un cuisinier et un aide suffisent très-bien à préparer l’ordinaire d’un escadron; la chère est, il est vrai, des plus élémentaires: la soupe et le bœuf deux fois par jour, parfois, pour varier, un rata de pommes de terre et de lard ou de veau et de haricots.
Avec cela, un pain de trois livres tous les deux jours; et le soldat se porte comme un charme.
Gédéon avait beaucoup moins nettoyé sa porcelaine de fer-blanc que sali ses doigts, lorsqu’on lui commanda de tailler la soupe.
Comme il se livrait fort attentivement à cette occupation, armé d’un grand couteau et d’un gros pain blanc, le cuisinier, son chef pour l’instant, lui ordonna brutalement de siffler.
Pour le coup, se dit Gédéon, voilà de l’arbitraire et du despotisme; certes, je n’obéirai pas, d’autant que sur la manche de ce cuisinier je n’aperçois pas l’ombre d’un galon.
—Je n’ai pas la moindre envie de siffler, dit-il, et je ne sifflerai pas, n’y voyant aucune nécessité.
—Ah! tu ne veux pas! riposta le cuisinier furieux, eh bien, je me charge de faire régler ton compte.
En effet, un maréchal des logis étant entré, le cuisinier se plaignit amèrement de l’insubordination de son aide, et réclama pour lui une punition.
Le maréchal des logis se prit à rire.
—Il faut toujours obéir, dit-il à Gédéon, surtout quand on ne sait rien. On fait siffler les bleus en taillant la soupe, pour être sûr qu’ils ne mangent pas le pain blanc. Cet usage évite l’ennui de surveiller leurs mâchoires, l’expérience ayant démontré qu’il est impossible de siffler et de manger simultanément.
Pour cette fois je vous épargne la salle de police.