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Paris 15 avril.

L’ENQUÊTE SAINT-ELME

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M. André, préfet de la Corse, a eu le courage ou l’effronterie de faire écrire dans ses journaux qu’une enquête serait faite, sur sa demande, à propos de l’assassinat de Saint-Elme.

Nous remarquerons qu’une enquête n’est pas un cadeau de l’administration, qu’elle doit émaner spontanément de l’initiative judiciaire, qu’elle devrait être commencée depuis longtemps. Ce retard est si extraordinaire qu’il est déjà une complicité.

Nous ajouterons que si le gouvernement veut une enquête sérieuse, il ne saurait la confier à ceux qui sont peut-être les premiers coupables.

Si la préfecture et la magistrature, telles qu’elles sont aujourd’hui représentées à Ajaccio, dirigent l’affaire, l’enquête sera stérile.

Tout le monde le répète en Corse: il faut une satisfaction qui ne soit pas dérisoire; après avoir tué Saint-Elme, il est impossible d’enterrer le crime.

UNE ÉLECTION LÉGISLATIVE EN CORSE

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M. Emmanuel Arène n’est pas, malgré les apparences, le personnage le plus important de la coterie opportuniste en Corse; M. Pierre-Paul de Casabianca, président du conseil général, tient tous les fils de la politique locale. Nous aurons à revenir sur le rôle de ce singulier républicain qui, en 1875, acclamait M. Rouher et s’écriait dans un banquet: «Vous êtes le grand agent de la politique impériale.»

Mais M. de Casabianca seul n’aurait pas fait le rapide chemin que lui ouvre l’appui du gouvernement et de l’administration s’il ne s’était rencontré avec M. Emmanuel Arène. Ces deux cœurs étaient faits pour se comprendre. Le député de Corte n’a pas dans le pays la situation de famille et le crédit insulaire de son associé, mais il prend sa revanche à Paris; les complaisances de Gambetta, d’abord, puis d’innombrables relations habilement menées et savamment entretenues lui ont permis d’accaparer toutes les forces officielles qui agissent pour placer les alliés et destituer les adversaires ou les indifférents.

L’élection de 1881, à la suite de l’option de M. de Choiseul pour Seine-et-Marne, est donc une date mémorable dans la politique corse.

C’est une entrée en scène.

Les débuts promettaient d’ailleurs largement. Le candidat était un jeune homme, mais il n’avait pas besoin d’attendre le nombre des années pour connaître tous les secrets de la pratique électorale. Il y avait lontemps que l’Éliacin de l’opportunisme était guéri des illusions naïves.

Qu’on en juge. Avec le coup d’œil d’un tacticien expérimenté, il sentait que les justices de paix sont là-bas l’élément essentiel de la victoire. La puissance de ces magistrats chez un peuple irascible, enclin aux contraventions est presque sans limites. Les traditions laissées par des siècles de persécution ont laissé des traces tellement profondes qu’il est bien difficile de rendre la justice.

L’interprète de la loi n’a cessé d’être jusqu’ici l’élu d’un parti. Il croit donc faire son devoir en témoignant sa reconnaissance; il est, par une coruption naturelle des mœurs, entraîné à prononcer des sentences en faveur de ses amis et contre leurs adversaires.

Il appartenait à la République de répudier hautement ces dégradantes habitudes et d’inaugurer le système de l’indépendance chez les magistrats. Au lieu de relever l’esprit public et de proscrire des abus, M. Arène n’a su que dépasser les pires exemples du passé.

Rien ne lui fut refusé pour avertir les populations qu’il arrivait en conquérant, et qu’il serait désormais seul arbitre des ambitions de clocher.

Des négociations préalables s’engagent: républicains et bonapartistes sont passés au même crible: qui veut s’engager à voter pour le futur député, est maintenu ou nommé ; qui refuse est exclu du festin officiel.

Aussi, quelques jours avant l’élection, l’Officiel publia un décret revoquant ou changeant d’un seul coup dix-huit juges de paix et vingt suppléants. L’arrondissement de Corte tient la plus grande place dans cette fournée. Quelques nominations étaient faites dans d’autres cantons de la Corse; mais elles avaient également pour but exclusif d’opprimer les nouvelles influences que l’on voulait créer.

Une interpellation eut lieu à la Chambre à ce sujet. Le garde des sceaux répondit par des généralités sans entrer dans aucun détail, sans citer aucun fait précis à l’encontre de ceux qui lui étaient objectés. M. devis Hugues, qui avait dirigé l’interpellation, alla plus loin, et anonça qu’une seconde fournée de juges de paix serait faite après l’élection. C’est ce qui ne manqua, pas. Douze autres juges de paix étaient encore frappés quelques semaines plus tard.

Pour appuyer ce mouvement, un coup de maître enlevait toutes les résistances; voici le tableau exact des nominations accordées par l’intermédiaire de M. Arène au barreau de Corte, une petite ville de quelques milliers d’habitants:

Un an avant l’élection, M. Guelfucci, avocat à Corte, était nommé substitut du procureur général à Limoges. l’eu de temps après, M. Grimaldi, avoué à Ajaccio, mais membre du conseil général dans l’arrondissement de Corte, était nommé substitut à Valence.

Vingt jours avant l’élection; M. Giuli, avocat à Corte et membre du. conseil général dans l’arrondissement, était nommé procureur de la République à Largentière,

Puis, peu de temps après l’élection, M. Giaccobi, un quatrième avocat de Corte, était nommé substitut à Sain-Sever.

Puis, M. Zuccarelli, un cinquième avocat de Corte, était nommé substitut à Saint-Claude.

Puis un sixième avocat de Corte, M. Delfini, membre du conseil général dans l’arrondissement, était nommé juge en Afrique.

Puis, il y a un an, un septième, M. Laurelli, avocat à Bastia, mais qui appartient à l’arrondissement de Corte, où son frère est membre du conseil général, était nommé procureur de la République à Lorient.

Puis, un huitième, M. Angeli, avocat à Corte, a été nommé juge à Castellane.

Puis, un neuvième, M. Grimaldi, membre du conseil général dans l’arrondissement de Corte, a été nommé juge à Dax.

Ici, nous croyons devoir faire une halte et respirer. On peut toutefois être rassuré. Il y a encore, il est vrai, quelques avocats à Corte; il en est même qui sont républicains. Mais ils n’ont pas été, ils ne seront pas, ils ne pou-vent pas être placés, par cette seule raison qu’il ne sont pas opportunistes.

Si l’opportunisme des neuf-est de bonne marque, leur capacité judiciaire est plus douteuse: il en est qui n’ont jamais paru à la barre d’aucun tribunal, simples ruraux, ayant simplement conquis les grades qui se refusent rarement, puis discrètement retirés sous leurs chataigniers et lancés par la haute protection de M. Emmanuel Arène.

Nous nous bornerons à parler du cas de M. Laurelli, qui ne nous démentira pas si nous disons qu’il était encore, il y a deux; ans, un des bonapartistes les plus militants de la Corse. En 1875, M. Rouher fit un voyage dans l’île, dont il était député. Des manifestations factieuses éclatèrent à cette occasion; la presse dut s’en occuper. On peut lire, dans le Journal des Débats du 1er novembre 1875, sous la signature de M. Francis Charmes, un long article consacré à ces incidents et au compte rendu d’un banquet donné à M. Rouher à Bastia. On y relèvera notamment les passages suivants, relatifs au rôle joué alors par M. Laurelli, l’un des principaux organisateurs de ces manifestions:

M. Rouher, dit M. Charmes, parle de Turgot, penseur profond, noble cœur, éminent homme d’Etat. M. Laurelli, immédiatement frappé de la ressemblance, s’écrie: «Vive la continuation de Turgot!» Il faut entendre M. Rouher parler des réformes économiques de l’Empire. Avec quels moyens l’Empire a-t-il fait tant de choses? Avec son génie d’abord, cela va de soi, puis avec la démocratie, qu’il a su mettre en œuvre. «Vive la démocratie impériale! » s’écrie encore ce même M. Laurelli, dont le nom, porté sur les ailes de l’enthousiasme, mérite bien d’arriver à la publicité.

Voilà ce qu’écrivait M. Francis Charmes, dont les vœux n’ont été qu’imparfaitement exaucés. M. Laurelli n’est pas arrivé à la publicité, mais il est arrivé à la magistrature. Sa dévotion pour la démocratie impériale l’a tout naturellement conduit à la démocratie opportuniste, tant les deux choses se tiennent de près. Il y a un an, il a été appelé au poste important de procureur de la République à Lorient.

Mais l’histoire ne finit pas là. Trouvant qu’il était traité au-dessous de ses mérites, il se fait installer devant la cour de Rennes, ne paraît pas à Lorient, puis vient à Paris solliciter mieux. Au bout de six mois, la chancellerie a cru lui être plus agréable en le nommant procureur de la République à Avignon. Même jeu.

Il va se faire installer, paraît à peine à Avignon, puis revient à Paris pour demander de l’avancement, tenant la dragée haute à la chancellerie qui le supplie d’accepter, parce que M. Laurelli, propriétaire d’un établissement thermal en Corse, peut mettre trois ou quatre cents suffrages au service de l’opportunisme. Maintenant, qui a fait le service depuis quatorze mois aux deux parquets de Lorient et d’Avignon, et aussi, qui a touché les appointements?

M. Laurelli, sans doute ému par l’affaire Saint-Elme, comprenant qu’il est parfois imprudent de se rallier, écœuré lui-même de son stage dans la camarilla, a fini par donner sa démission. Mais le cas n’en est pas moins curieux, et l’élection de Corte, qui nous a valu la fortune de M. Emmanuel Arène, présente au moins de piquantes aventures. Quand nous passerons en revue tous les rouages de la vie administrative en Corse, nous n’aurons pas de peine à montrer qu’il a su depuis se dépasser lui-même.

La question corse

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