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LES ORIGINES D’UNE CAMPAGNE

Table des matières

La Corse était, il y a quelques semaines, plus ignorée que la Nouvelle-Calédonie; elle vient d’être découverte, grâce à la fin retentissante de l’infortuné Saint-Elme. Je n’avais pas attendu cette catastrophe pour la prévoir. Un ancien séjour à Bastia, des relations constamment entretenues avec mes amis corses, un récent voyage dans l’île me permettaient d’apprécier tout ce que cachait son apparente tranquillité, tout ce qui couvait sous le brutal proconsulat des opportunistes.

Le 3 novembre 1883, j’écrivais:

MM. Pierre-Paul Casabianca, Emmanuel Arène et Peraldi y exploitent sans pudeur et sans lutte possible la politique locale. Toutes les ressources officielles sont entre leurs mains; placés au-dessus du contrôle de la justice et des lois, ils traitent le pays tyrannisé avec les pires procédés du bonapartisme. Leur impunité est scandaleuse.

M. Emmanuel Arène, dont la fatuité est mêlée d’étourderie, répliqua par des gasconnades. L’idée que je songeais à publier le dossier de sa stupéfiante politique le mit particulièrement en gaieté. Il se flattait d’avoir dérobé ses traces dans les sous-sols où s’élabore la cuisine gouvernementale et parlementaire. Puis il avait foi dans sa jeune étoile. Enfin, Paris est si loin de la Corse; comment l’intéresser avec des historiettes insulaires?

J’avais la prétention d’être renseigné, et j’augurais mieux de la loyauté publique. Pour rompre le charme, il suffisait de parler. Le défi de M. Emmanuel Arène était un encouragement de plus. Je lui signifiais ma résolution formelle:

Nous consacrerons prochainement à cette question une étude qui étonnera certainement ceux qui ignorent la situation exceptionnelle de notre département insulaire. Grâce à des tolérances inouïes, l’administration de la Corse constitue le modèle achevé de tout ce qui est contraire aux principes du gouvernement républicain. L’opportunisme y règne en maître. Pour apprendre ce que son triomphe définitif nous vaudrait sur le continent, il est nécessaire de savoir ce qu’il a fait, là où il a vaincu. Il ne dépendra pas de nous que le public ne soit renseigné sur ses agissements.

La difficulté d’obtenir certaines pièces, des obstacles imprévus m’empêchèrent de mettre immédiatement ma promesse à exécution. Enfin, le 23 mars 188, un article sur M. Paul Bert m’amena à distinguer les différentes variétés d’opportunistes, et j’y parlais incidemment:

«Des habiles, comme M. Emmanuel Arène, qui escompte en courtages cyniques les alternances de la bascule parlementaire, qui fonde sur la faveur gouvernementale l’exploitation d’un département terrorisé.»

A cette phrase, M. Arène sentit que j’étais prêt à causer de la Corse. J’attendais une polémique qui lui permettrait de me confondre si je le calomniais. Il préféra m’envoyer des témoins. La diversion, parfaitement calculée, donna lieu au procès-verbal suivant:

A la suite d’un article publié dans le numéro du journal la France, en date du 24 mars courant, sous la signature de M. Ernest Judet, rédacteur de ce journal, M. Emmanuel Arène, député, a demandé réparation pour les expressions contenues dans cet article, qu’il considérait comme offensantes.

Une rencontre a été décidée.

Elle a eu lieu ce matin au bois de Boulogne.

Au premier engagement M. Emmanuel Arène a été atteint, au tiers supérieur et externe de l’avant-bras droit, d’une blessure intra-musculaire, suivie d’une hémorragie et de l’insensibilité du membre.

Les médecins, M. le docteur Treille, pour M. Arène, et M. le docteur Redard, pour M. Judet, ayant déclaré d’un commun accord que M. Emmanuel Arène se trouvait dans l’impossibilité de continuer le combat, les témoins ont déclaré l’honneur satisfait.

En foi de quoi ils ont dressé le présent procès-verbal.

Paris, le 25 mars 1884.

Pour M. Emmanuel Arène:

A. ETIENNE,

député.

CH. LAURENT,

Directeur du journal Paris.

Pour M. Judet:

C. LALOU,

directeur politique du journal

la France.

F. GRANET,

député.

L’inconvénient le plus grave de cette rencontre était de retarder la discussion qu’il fallait entamer pour le salut de la Corse et l’honneur de la République.

Les événements eux-mêmes se chargèrent de précipiter le dénouement. La mort de Saint-Elme, insulté la veille par l’avocat-général Bissaud, amena la campagne que j’ai entamée le premier et poursuivie sans interruption dans la France.

La question corse

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