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Paris, 13 avril.

MAGISTRATS COMPLAISANTS

Table des matières

Avant d’écrire l’histoire des menées opportunistes en Corse, il est indispensable de reprendre certains incidents de l’affaire qui attire en ce moment l’attention de la France et d’aller au plus pressé.

C’est un système de politique qui est mis en cause; mais c’est la mort de Saint-Elme dont il s’agit d’abord d’éclaircir les causes et de découvrir les coupables. Après ce travail préliminaire, après quelques mesures d’assainissement, le public comprendra vite que le tragique accident n’est pas un malheur fortuit ni un cas isolé.

Tout se tient dans l’organisation du favoritisme et des tyrannies officielles, qui succombe enfin sous l’effort d’une vaillante protestation, et, hélas! au prix de la vie d’un écrivain martyr.

Déjà le gouvernement est obligé par l’opinion de rompre avec les traditions de facilité insouciante, qui livraient à des tripotages électoraux, à des conciliabules de café, l’honneur, la fortune et la vie des citoyens corses.

Il vient d’ordonner une enquête! mieux vaut tard que jamais. Espérons qu’elle sera impartiale et implacable dans ses conclusions, qu’elle ne reculera ni devant l’inviolabilité parlementaire, ni devant le prestige administratif, pour découvrir les responsabilités réelles.

Le cabinet, engagé par un échange de services réciproques avec quelques souteneurs de sa majorité, ne saurait arguer de sa bonne foi trompée qu’en brisant sans délai. Sans attendre les résultats de son enquête, il peut déjà juger du rôle qu’on lui faisait jouer en examinant la conduite des deux magistrats mis en lumière dans le procès Saint-Elme.

Par un phénomène étrange et qui rend bien précaire l’inviolabilité de l’individu, le directeur du Sampiero n’a jamais trouvé de magistrats pour défendre sa cause; quand il attaquait le régime officiel, on le mettait au secret sans motif; quand il se plaignait d’être emprisonné, battu, traqué, il se heurtait à une entente inqualifiable de la justice avec ses agresseurs.

Il n’en était plus de même quand il s’agissait de protéger la préfecture et la députation contre le journaliste embarrassant.

Faut-il nous étonner que le tribunal d’Ajaccio ait rendu un service au lieu d’un arrêt? Le président, M. Casanelli, n’est-il pas lié par le lien de la reconnaissance la plus étroite aux maîtres de l’île? N’ont-ils pas renvoyé malgré lui sur le continent son prédécesseur, M. Landry, avocat opposant sous l’Empire, nommé en 1871 par M. Crémieux, assez courageux pendant le Seize-Mai pour rester fidèle à ses principes de libéralisme et d’indépendance dans plusieurs procès de presse et de colportage?

M. Casanelli, ancien magistrat de l’Empire, nommé dans son propre arrondissement, allié aux familles les plus compromises avec le passé, mêlé à toutes les affaires locales de parti, est peut-être un commode agent. Nous nous refusons à voir en lui le type accompli du serviteur de la loi, et sa sévérité s’est exercée largement contre Saint-Elme, condamné à cinq mois de prison, réduits à quarante jours par la cour de Bastia.

Ici, c’est l’avocat général qui s’est fait en une heure la plus triste des notoriétés: homme également dévoué à la coterie opportuniste, il pensait se signaler par un excès de zèle et justifier la violence des assassins de Saint-Elme. C’est un exemple extraordinaire que celui de ce magistrat approuvant le recours à la violence dans la patrie de la vendetta, couvrant de sa robe pacifique les pires attentats, surexcitant les passions d’une race inflammable et patronnant de son autorité légale les scandales et les rixes d’Ajaccio.

Quel enseignement donné à ce peuple que l’opportunisme a partagé en deux camps, exploiteurs et exploités! Quelle imprudente et coupable provocation aux meurtres à venir!

Nous n’aurons pas de peine à montrer que la magistrature corse a été épurée du haut en bas d’après ce modèle et pour faire la même besogne.

Le danger est donc partout; la loi est mise au service de l’anarchie, l’existence de tous est abandonnée aux caprices d’intérêts exigeants et d’âpres convoitises.

Pour sévir et arrêter l’envahissement du mal, il n’est pas besoin de pousser plus loin l’enquête: le gouvernement, complice dans une certaine mesure, doit déjà connaître son premier devoir.

On l’attend impatiemment à l’œuvre, à moins que la Corse ne soit ravalée, par la tolérance ministérielle, au rang de la Sicile et ne soit livrée à la bande de camorristes qui la corrompent et l’exploitent.

La question corse

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