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ОглавлениеL’AFFAIRE SAINT-ELME ET LA PRESSE
La presse de toute nuance ouvre les yeux sur l’inqualifiable système de gouvernement qu’appliquent en Corse les auteurs responsables de la mort de Saint-Elme. C’est une levée en masse pour protester et demander justice. Parmi les plus ardents à défendre la cause de l’humanité indignement sacrifiée, nous avons cité hier la Gazette des Tribunaux, dont le récit est écrasant par son impartialité même.
Le Télégraphe réclame l’action ministérielle:
Le drame est complet, mais tout n’est pas terminé avec ce sinistre dénouement: on dit ouvertement que les meurtriers de l’infortuné journaliste sont connus, et l’on se demande comment la justice n’a pas cru devoir ordonner contre eux des poursuites. On dit encore que les haines politiques, si vives en Corse, servent les assassins de M. Saint-Elme et empêchent qu’une action judicaire soit ouverte. On dit, enfin, que les autorités font de leur mieux pour étouffer l’affaire.
La presse de toute opinion commence à s’émouvoir de ces graves allégations.
Nous croyons qu’il convient de se tenir sur la réserve quant à l’appréciation des faits. Mais ces faits existent matériellement. Il y a eu mort d’homme, et nous nous refusons à admettre cette monstruosité qu’un écrivain hostile aux hommes du pouvoir puisse être assassiné sans que ses meurtriers soient seulement inquiétés.
M. le ministre de la justice a le devoir de forcer certaines résistances, si vraiment elles se produisent, et de mettre en mouvement l’action publique. Nous sommes persuadés que M. Martin-Feuillée n’y manquera pas.
Le Figaro proclame hautement, dans cette triste affaire, la solidarité de la presse:
Il est du devoir de la presse d’intervenir et d’obtenir justice pour ce meurtre d’un journaliste.
La presse française s’honorait, ces jours derniers, en protestant, sans distinction de nuances, contre les sévices dont était victime notre honorable confrère Henri des Houx dans les prisons italiennes.
Voici un journaliste qui n’est pas des nôtres — un radical, soit; — ce n’est pas une raison pour qu’on l’assassine impunément et pour que les avocats généraux opportunistes se donnent l’abominable plaisir de l’insulter à son lit de mort.
Le Soir conclut à la nécessité de réformes immédiates:
Une pareille situation démontrera-t-elle au gouvernement que la Corse appelle sa plus grande attention? Ce n’est pas en choisissant ses fonctionnaires, ses magistrats dans le tas et au hasard qu’il tiendra envers la Corse les engagements pris lors de la conquête. Il faut là-bas des hommes d’expérience, justes, humains, sachant se placer au-dessus des coteries, vivant à l’écart, loin des foules, et n’intervenant que pour assurer l’ordre, développer la prospérité de cette île enchanteresse.
Le National parle avec dégoût: «du guet-apens dressé par quatre partisans, de plus en plus zélés, de la cause préfectorale, qui se confond ici avec la cause de MM. Arène et Peraldi. Ces bravi, exécuteurs volontaires des hautesœuvres de l’opportunisme, assomment littéralement le journaliste au point de le laisser pour mort.» Il condamne, avec une certaine énergie, le langage et l’attitude de l’avocat général:
Non seulement les auteurs de l’embuscade n’ont pas été inquiétés, mais la victime, qui respirait encore, a été, avant d’être guérie de ses blessures, traînée ou plutôt portée à l’audience pour y subir son jugement. Et en présence de ce malheureux, gisant devant la barre de la cour et à plusieurs reprises évanoui, qu’a-t-on entendu? Un mot de pitié ? un blâme, au moins, pour ses agresseurs? Nullement.
On a entendu cette parole froide de l’avocat général, — un magistrat républicain cependant! un magistrat après épuration, un être humain dans tous les cas! — disant: «Que l’état dans lequel vous voyez le prévenu ne vous touche point. C’est peut-être une comédie qu’il joue. D’ailleurs, il a reçu la leçon qu’il méritait.»
Qu’il méritait!... Voilà donc comment parle la justice maintenant! Voilà donc comment le représentant de la loi envisage la violence, comment le ministère public rappelle aux citoyens le respect du droit et de la vie humaine!
Six jours après, le condamné mourait!
N’a-t-il toujours que ce qu’il méritait?
Le XIXe Siècle n’est pas moins catégorique:
En quelles mains est donc tombée l’administration de la Corse pour que ce pays serve de théâtre à de si détestables scandales? Est-ce qu’il est possible d’imaginer quelque chose de plus odieux et de plus honteux? Nous ne pouvons douter que le gouvernement ordonne une enquête, et nous sommes convaincus qu’il n’attendra point que l’indignation publique l’y contraigne. M. Saint-Elme a rédigé un journal qu’on peut apprécier le plus sévèrement du monde, soit! Mais ce n’est pas une raison pour que des est affiers le tuent lâchement, ni qu’un magistrat ose dire en pleine cour: «Il a eu ce qu’il méritait!» Ce n’en est pas une surtout pour que la justice locale, inexorable à l’égard de Saint-Elme, couvre de sa protection, — et l’on pourrait dire: de sa complicité — les bandits qui ont assassiné ce malheureux.
La Lanterne, l’Intransigeant, la Justice soutiennent le bon combat.
La République française elle-même réclame une prompte enquête:
Il est indispensable que la vérité se découvre et que, s’il y a lieu, justice soit faite. Il n’est pas admissible qu’on puisse dire et répéter: «Tout le monde nomme à haute voix les individus qui ont frappé de la sorte un citoyen, et ces individus ne sont pas poursuivis.»
Seul, le Paris, par la plume d’un député de la Corse, se déclare satisfait, et soutient que la malheureuse victime était «clans l’obligation de mourir de faim ou de mourir de coups!»