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Paris, Il avril.

LA JUSTICE EN CORSE

Table des matières

L’indignation publique, avec une généreuse spontanéité, flétrit, sans distinction d’opinion, l’assassinat du journaliste qui vient de mourir, en Corse, victime des haines politiques. La solidarité d’un pays libre, devant un attentat inouï, se manifeste avec éclat.

Cette explosion d’unanimes sentiments de réprobation ne suffit pas; il faut que les criminels soient poursuivis et que l’indifférence de l’administration cesse de toucher à la complicité.

L’enquête ne sera ni longue ni difficile: tout le monde connaît à Ajaccio les meurtriers de Saint-Elme; tout le monde peut nommer les auteurs responsables du crime qui débarrasse d’un adversaire gênant un parti sans scrupule.

Les faits sont ici plus éloquents que tous les commentaires. Nous les empruntons à la Gazette des Tribunaux. Voici d’abord l’origine de l’affaire:

Emile Dosquet Saint-Elme, homme de lettres, directeur du journal le Sampiero, est un jeune homme de vingt-huit ans; élève de l’Ecole de Saint-Cyr, officier d’infanterie, il donna sa démission pour se lancer dans le journalisme.

Au mois de juillet 1883, M. Dosquet Saint-Elme se rendit en Corse pour y publier un journal intransigeant; on lui avait dit que ce département, après avoir été un foyer de conspiration bonapartiste, était devenu un des bourgs pourris de l’opportunisme.

Aussi, dès que l’on vit sur les murs d’Ajaccio les affiches annonçant la prochaine apparition du Sampiero, on suscita à Saint-Elme mille embarras; les imprimeurs d’Ajaccio refusèrent leurs presses... et le journal s’imprima à Marseille. Mais il advint que des lettres confiées à la poste et contenant des articles pour le Sampiero disparurent; les affiches furent partout lacérées.

Le journal paraît enfin et prend vivement à partie le préfet, M. André de Trémon tels, M. Peraldi, maire et député d’Ajaccio, M. Arène, député de Corte, et quantité de hauts fonctionnaires; peu de jours après Saint-Elme, rentrant chez lui vers dix heures du soir, est assailli par plusieurs individus armés de bâtons qui l’accablent de coups en lui disant: «Cela t’apprendra à écrire!» On verra plus loin quel fatal dénouement a eu cette lâche agression. Saint-Elme se présente à la préfecture pour demander des explications; M. le préfet refuse de le recevoir.

A la suite de cette provocation et d’un déni absolu de justice, Saint-Elme rencontre le préfet: une explication très vive et un conflit en sont la conséquence; le journaliste est souffleté, frappé avec une barre de fer et traîné en prison.

L’administration, non satisfaite encore, après une détention préventive et une mise au secret de trente-cinq jours, obtient contre Saint-Elme une condamnation à cinq mois de prison.

A travers toutes ces émotions, la santé du journaliste se comportait assez mal; mais son obstination et ses attaques redoublées le rendaient encore dangereux. Dans les premiers jours de janvier, quatre sbires se chargèrent de briser sa plume à coup de matraque. Il était perdu.

Quand son affaire vint en appel, le 2 avril dernier, à la cour de Bastia, c’est avec peine qu’on put le traîner à l’audience. Nous citerons encore l’impartiale Gazette des Tribunaux:

Un peu avant l’ouverture de l’audience, M. Saint-Elme est porté sur un fauteuil devant le banc de la défense: le rédacteur du Sampiero est dans un état effrayant; il respire à peine; sa jeune femme l’accompagne; elle suit d’un regard anxieux le malade et lui prodigue toutes sortes d’attentions.

On est d’autant plus impressionné, que la maladie de M. Saint-Elme est le résultat d’un ignoble attentat. Après l’arrêt du 3 janvier, M. Saint-Elme, se trouvant à Ajaccio, fut assailli par quatre individus qui l’assommèrent à coups de bâton et le laissèrent pour mort sur le pavé ; c’était à deux pas de la préfecture, sur le cours Napoléon, au milieu d’une foule nombreuse.

Depuis ce jour, M. Saint-Elme est alité et crache le sang: les médecins l’ont condamné et les individus qui l’ont frappé, et que tout le monde nomme à haute voix, n’ont été l’objet d’aucune poursuite.

Pendant la lecture du rapport, Me de Montera demande la parole, et, au nom de l’humanité, prie M. le président de vouloir bien procéder à l’interrogatoire de M. Saint-Elme, qui s’est évanoui plusieurs fois et ne saurait, sans danger, rester plus longtemps dans la salle. Il est aussitôt accédé à cette prière.

Interrogé, le prévenu déclare, d’une voix affaiblie, s’en rapporter à ce qu’il a dit dans l’instruction et n’avoir rien à y ajouter.

La séance est suspendue; on emporte M. Saint-Elme évanoui.

La rage politique pouvait désarmer devant cet agonisant cadavre pour le lendemain; pourtant il s’est trouvé un avocat général, M. Bissaud, pour conserver un sang-froid surprenant et une puissance extraordinaire d’invective; qu’on en juge d’après son réquisitoire:

L’état dans lequel est Saint-Elme ne saurait lui attirer la pitié de ses juges; les violences exercées sur lui, l’instruction l’a démontré, ont été légères (bruit). Saint-Elme a reçu la leçon qu’il méritait. (Vives protestations.)

M. Vivet, en souffletant Saint-Elme, a été correct; il n’a pas excédé les droits de la légitime défense, il a rappelé le prévenu au sentiment de l’honneur. Le sang constaté sur ses vêtements provient de la violence du soufflet. Il se pourrait bien qu’il jouât aujourd’hui une comédie; d’ailleurs, les médecins qui le soignent physiquement et politiquement sauront le guérir.

Tout bonapartiste et opportuniste que fût l’auditoire, il ne put s’empêcher de protester contre cet incroyable langage; le tumulte fut indescriptible quand M. Bissaud joignit à ses philippiques contre un agonisant le panégyrique du préfet:

Cet administrateur éminent, dit-il, dont l’habileté a su réunir autour de lui toutes les forces vives et républicaines du pays...

Il fallut évacuer la salle.

Maintenant Saint-Elme a eu le mauvais goût de donner un démenti à l’avocat général de Bastia.

Il est mort.

Nous savons que le peuple corse, si hospitalier pour les étrangers, est à la fois humilié et douloureusement frappé par un acte qui déshonore les mœurs nationales; le devoir du gouvernement est de faire au plus vite la lumière sur ces faits scandaleux, et celui de la justice de frapper les coupables, quels qu’ils soient. Il y va de notre sécurité et de notre dignité à tous.

La question corse

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