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ENTRÉE A STRASBOURG. — BÉNÉDICTION DES LOCOMOTIVES.

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Table des matières

L’orage qui avait éclaté à Lunéville, et qui a suivi le train Impérial pendant le trajet, s’est dissipé. Le soleil paraît entre les nuages, et éclaire le vaste horizon qui s’ouvre devant la gare de Strasbourg. La vieille sentinelle du Rhin apparaît avec sa puissante ceinture de fortifications, les dômes de ses monuments et la flèche prodigieuse de son immortelle cathédrale. Du sommet des clochers et des tours, les cloches envoient au loin le bruit de leurs volées, qui se mêlent à celles des canons.

La gare n’est pas encore construite; elle doit s’élever sur de vastes terrains, où l’on n’aperçoit encore que quelques bâtiments provisoires. Dans cet immense espace, on a tracé un grand parallélogramme, qui encadre les rails du chemin de fer.

Au centre s’élève l’autel, sous une tente garnie de drap d’or et surmontée d’une croix.

En face de l’autel, à l’entrée de la gare, se dresse la statue de Strasbourg, la main gauche appuyée sur un canon, la main droite levée en signe de bienvenue. Derrière la statue sont cinq colonnes, surmontées d’aigles d’or, aux ailes déployées.

Des deux côtés s’étendent deux lignes parallèles de tribunes en amphithéâtre.

Aux extrémités, et près de l’autel, sont deux riches pavillons, aux tentures de velours et d’or, destinés, celui de gauche à S. A. Impériale, au maire de la ville, aux ministres, aux généraux et à l’autorité municipale; celui de droite aux corps constitués, aux fonctionnaires de tous les ordres.

De distance en distance s’élèvent des mâts, qui livrent au souffle de l’air les mille couleurs de leurs pavillons.

Sur les tribunes et sur l’autel se lisent les inscriptions, portant ces mots:

Tous les peuples se donnent la main,

Des Alpes à la mer du Nord.

Route de Marseille à la mer Baltique.

A Louis-Napoléon, l’Alsace reconnaissante!

Dire, du reste, que la ville de Strasbourg avait confié le soin des décorations à M. Alexis Godillot, l’organisateur fécond des fêtes de Paris, c’est dire que rien n’avait été négligé pour l’éclat matériel de cette solennité.

Mais ce qui faisait l’éclat véritable et vivant de cette fête, c’était cette foule innombrable, accourue de tant de pays divers, et parlant des langues différentes. C’était l’Allemagne et la France, unies au bord du Rhin, afin d’exprimer à la fois leurs sympathies pour le Prince Impérial, dont la fermeté a assuré la paix du monde, et pour cette grande œuvre du chemin de fer qui va devenir l’anneau d’alliance entre deux grands peuples, autrefois ennemis. Rien ne peut donner une idée de ce spectacle, ancien et toujours nouveau, des grandes affluences de populations. Plus de cent mille personnes se pressent sur les vastes espaces où arrive le chemin de fer. Toute place d’où l’on peut voir quelque chose est envahie.

Les toitures de plusieurs maisons ont été enlevées et transformées en tribunes. Les autres n’en sont pas moins couvertes de spectateurs, qui se juchent jusque sur les cheminées. Sur deux lignes immenses, de chaque côté du chemin, se tient une innombrable multitude. Et au milieu de cette foule, on remarque un ordre qui n’appartient qu’aux populations du Nord.

Au moment où le convoi Impérial arrive, de tous les points partent les cris mille fois répétés de: Vive Napoléon! Vive le Président! Vive l’Empereur!

S. A. Impériale, à sa descente du wagon, est reçue par M. de Chatelain, maire de Strasbourg, assisté de ses adjoints et du conseil municipal. M. de Chatelain présente au chef de l’État les clefs de la ville, puis S. A. Impériale se dirige vers la tribune qui lui était réservée.

A sa gauche se place M. le maire de la ville, et à sa droite M. le ministre de la guerre.

M. le marquis de Douglas, parent du Prince, vient le féliciter et se placer à côté du ministre de la guerre. Les autres ministres, ainsi que MM. le grand référendaire du sénat; M. Schneider, vice-président du Corps législatif; le gouverneur des provinces rhénanes de Prusse; le duc de Guiche. ministre plénipotentiaire à Stuttgart; de Fénelon, ministre en Suisse; Engelhardt, ministre à Carlsruhe; de Tallenay, ministre à Francfort, venus pour assister à la cérémonie; le général La fontaine en tournée d’inspection générale; le général Ordener, commandant la sixième division militaire; le préfet, les aides de camp du Prince, les membres du conseil d’administration du chemin de fer, sont dans la tribune présidentielle.

Aussitôt de nouvelles salves d’artillerie annoncent le commencement de la cérémonie religieuse. Les chants d’Église résonnent sous le ciel pur, et alternent avec la musique des régiments. Après une messe basse qu’a dite monseigneur l’évêque de Strasbourg, quatre locomotives:

La Ville de Rethel.

Montmirail,

Strasbourg,

Le Maréchal Drouet d’Erlon,

ornées de guirlandes de feuillages, de fleurs et de rubans, s’avancent majestueusement de front devant l’autel. Elles étaient montées par MM. Edwards, Vuignes et Regel, ingénieurs de la Compagnie; Hallopeau, chef de l’exploitation; Vande-Winkel, Strohl, directeur des chemins de fer d’Alsace, et par les mécaniciens.

Le prélat, se tournant alors vers la tribune Impériale, prononce l’allocution suivante:

«Monseigneur, messieurs,

«Taudis que l’homme livré aux calculs de l’intérêt et aux plaisirs des sens ne voit dans ces merveilleuses inventions de l’industrie, dont notre siècle s’enorgueillit avec raison, que des moyens d’accroître ses richesses et d’étendre le cercle de ses jouissances, le chrétien éclairé par la foi porte plus haut ses vues et ses pensées, et dans ces conceptions du génie humain il voit des moyens dont Dieu se sert pour accomplir ses desseins sur les peuples et pour conduire les hommes à leurs immortelles destinées.

«Il y a dix-huit siècles, messieurs, que l’apôtre des nations a gravé sur le frontispice de l’église cette sublime inscription: Un Dieu, une foi, un baptême. Et le Christ lui-même, expliquant à ses apôtres et à ses disciples le but de ses travaux et de sa mission, leur annonçait qu’un jour viendrait où il n’y aurait plus sur la terre qu’un pasteur et qu’un troupeau. Tout, dans les desseins de Dieu, tend à constituer au sein de l’humanité cette merveilleuse unité. «L’homme s’agite et Dieu le mène,» a dit un philosophe chrétien. Oui, messieurs, l’homme, créature fragile et bornée, n’assigne trop souvent, hélas! d’autre but à ses médiations et à ses efforts qu’une prospérité matérielle et périssable comme lui; mais Dieu, qui le mène à son gré, le pousse vers des régions, vers des idées qui lui sont inconnues.

«Ne pensons pas, messieurs, que la Providence reste étrangère à ce prodigieux développement de l’industrie moderne, à ces étonnantes découvertes que le génie le plus vaste et le plus hardi n’aurait pas osé prévoir il y a cinquante ans. Ne pensons pas qu’un Dieu sage et bon ne sache pas faire servir au triomphe de la vérité cette ardeur pour les intérêts matériels qui tourmente et agite le monde aujourd’hui. Si l’industrie efface les distances, si elle brise les barrières que le temps et l’espace opposent à ses créations, elle ouvre aussi une voie plus rapide et plus large aux divins enseignements de l’Évangile; elle fait disparaître les frontières, elle détruit les limites qui séparent les peuples pour n’en faire qu’une seule et même famille unie dans la charité et dans la pratique des vertus chrétiennes.

«Quand Dieu dispersa son peuple sur toutes les routes du monde connu, les ennemis de la nation sainte applaudissaient à ses revers et à ses malheurs; mais ils ne voyaient pas que les enfants dispersés de Juda étaient des missionnaires que Dieu envoyait porter jusqu’aux extrémités de l’univers le désir et l’attente du Rédempteur.

«Ces routes magnifiques dont les Romains sillonnaient l’Europe et qui subsistent encore aujourd’hui comme d’impérissables monuments de leur grandeur et de leur puissance, qu’étaient-elles autre chose que des voies ouvertes aux prédicateurs du Christ et aux missionnaires de l’Évangile? Et lorsque Alexandre conduisait ses phalanges victorieuses jusque sur les rives de l’Euphrate et du Gange, il croyait ne satisfaire que son insatiable ambition et il ne voyait pas qu’il ne faisait que préparer les voies à la vérité chrétienne et rendre ses progrès plus faciles.

«Ainsi, messieurs, les hommes, quels que soient leur puissance et leur génie, ne sont que des instruments entre les mains de Dieu pour l’accomplissement de ses desseins sur l’humanité.

«Eh bien! messieurs, que l’industrie étende donc et multiplie ses lames de fer; qu’elle en enveloppe le globe comme d’un immense réseau; qu’elle dompte le feu et la vapeur pour donner à ses convois la rapidité de la foudre; que fera-t-elle? A son insu elle concourt à l’accomplissement des volontés divines; elle favorisera les prédications de l’Évangile; les anges de paix monteront avec elle sur ses chars rapides; ils la suivront jusque dans les climats les plus reculés pour porter à leurs habitants la bonne nouvelle du salut, et travailler à la consommation de cette grande unité que le Christ, la veille de sa mort demandait à son Père comme le prix de ses travaux et de ses souffrances.

«Bénissez donc, ô mon Dieu! cette voie nouvelle qui s’ouvre aujourd’hui à la propagation de la vérité, aussi bien qu’à la prospérité du pays, et que la science unie à la foi veut placer sous votre protection!

«Bénissez ces hommes qui ont travaillé avec tant d’intelligence et de dévouement à doter la France d’une nouvelle source de richesses, et qui, après nous avoir donné de si magnifiques preuves de la puissance de leur génie, nous donnent en ce moment une marque si touchante de leur piété en implorant sur leurs œuvres les bénédictions de l’Église.

«Bénissez tous ceux qui se confieront à ces redoutables machines pour franchir les distances et dévorer l’espace. Préservez-les de tous les accidents qui pourraient devenir funestes à leurs corps et surtout à leurs âmes. Ne permettez pas que les intérêts du temps leur fassent jamais oublier les intérêts de l’éternité.

«Bénissez, ô mon Dieu! ce prince magnanime qui préside à cette fête d’inauguration, et qui, après avoir préservé la France des horreurs de l’anarchie, n’est plus occupé que du soin de lui procurer les douceurs de la paix et les bienfaits de la religion.»

Après ces paroles solennelles et écoutées dans un religieux silence, monseigneur Rœss a béni les machines. Pendant la bénédiction, l’éclat des orchestres militaires se mêlait aux roulements des tambours et aux salves d’artillerie.

A cet instant s’est produit un fait qui a attiré l’attention des nombreux étrangers qui assistaient à la cérémonie. Plusieurs cigognes sont venues planer au-dessus des locomotives. C’était là quelque chose d’extraordinaire pour les Parisiens, mais de commun pour les Strasbourgeois. La cigogne est la vieille amie des paysans de l’Alsace; ils l’aiment et la respectent; elle habite par centaines les clochers hospitaliers de Strasbourg; elle revient fidèlement dans ces plaines où l’on est reconnaissant des services qu’elle rend à l’agriculture.

La cérémonie terminée, le Prince est monté sur un cheval richement caparaçonné, et, escorté des ministres, des généraux et d’un brillant état-major, s’est rendu à la préfecture au milieu des acclamations universelles.

Au même moment, le ballon de M. Godard et son trapèze s’élevaient dans les airs.

Les|réceptions ont commencé immédiatement à la préfecture.

Le Prince a reçu dans l’ordre prescrit les fonctionnaires de tous les ordres, plus de trois cents maires venus de tous les points du département et des départements voisins, et un bataillon de vieux militaires dont plusieurs ont reçu des preuves de sa munificence. Plusieurs décorations ont été remises dans le cours de la réception: la croix de commandeur à M. le comte de Ségur, président du conseil d’administration; celle d’officier à M. Vuignes, ingénieur en chef attaché à la Compagnie; celles de chevalier à MM. Duhoux, Lemoine, Viller et Lyautey, ingénieurs ordinaires de première classe, à M. Jacquinet. l’intelligent ingénieur en chef, qui a dirigé les travaux de la quatrième section, à M. Hallopeau, chef de l’exploitation générale de la ligne, MM. Bertrand, conducteur des ponts et chaussées, et à M. Strohl, directeur des chemins de fer d’Alsace.

Voyage de Sa Majesté Napoléon III, empereur des Français

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