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DÉFILÉ DES COMMUNES.

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Pendant que les réceptions ont lieu à la préfecture, il se prépare une manifestation dont l’éclat pittoresque et nouveau peut être difficilement décrit.

Les populations de l’Alsace avaient l’intention de défiler devant le Prince Louis-Napoléon. Toutes les communes se sont mises à contribution: les fermiers avec leurs chars et leurs robustes attelages, les jeunes gens avec leurs vigoureux chevaux, les jeunes filles avec leurs piquants costumes, tous, avec cette richesse de verdure et de fleurs que juillet prête en ce moment aux campagnes.

Un moment on a pu croire que tous ces préparatifs allaient devenir inutiles. La violence de l’orage du matin avait tout dispersé. Le cortége villageois avait dû chercher un asile sous les halles qui sont près de la porte de Saverne.

Mais, le plus mauvais moment passé, on s’est un peu rassuré, et, vers trois heures, profitant d’une courte éclaircie, le cortége est sorti et a commencé sa marche sous des nuages menaçants et un soleil douteux.

Strasbourg tout entier, hommes, femmes, enfants, était dehors, répondant à l’appel de la curiosité.

Le défilé devait suivre les principales rues de Strasbourg, mais le centre de la fête était au pied de la terrasse des jardins de la préfecture.

Cette terrasse domine le canal dont elle est séparée par une large chaussée. En face, de l’autre côté du canal, sont disposées des tribunes en amphithéâtre couvertes de dames élégament parées. Au sommet d’une petite éminence, on aperçoit les dispositions du feu d’artifice qui doit être tiré ce soir. Dans le canal stationne un bateau à vapeur tout pavoisé, couvert de spectateurs. Au milieu de la terrasse, sur le bord de la chaussée, se dresse, riche d’élégance et de simplicité, la tente destinée à S. A. Impériale.

C’est au pied de cette tente que doit avoir lieu le défilé.

Lorsque S. A. Impériale arrive, suivie de son cortége de ministres, de généraux, d’aides de camp, de députés, de conseillers d’État, de préfets, d’officiers supérieurs des armées badoise et prussienne, tous en grand costume, les cris de Vive Napoléon! Vive l’Empereur! s’élèvent de toutes parts. S. A. Impériale est en uniforme de général de division. Elle se tient debout et la tête couverte, le cortége est debout et tête nue. Une seule dame prend place à côté du Prince, c’est S. A. la grande-duchesse douairière de Bade.

Le défilé commence, et, si le soleil lui eût prêté son éclat, rien n’eût manqué à la magnificence de cette fête.

Rien de plus original, de plus curieux, de plus neuf que cette revue des cultivateurs de l’Alsace.

Ce sont d’abord des essaims de cavaliers, montés sur leurs robustes et vigoureux chevaux. Puis viennent les chars. Ce ne sont pas de frêles et élégants équipages, décorés de dorures, de velours et d’armoiries; ce sont tout simplemeut de solides chars à bancs peints en vert, en bleu, en jaune, selon la fantaisie des propriétaires ou la mode des localités. Leurs bords s’évasent gracieusement en forme de corbeilles. Les uns sont couverts de guirlandes de fleurs, de rameaux de verdure qui s’entrelacent et s’arrondissent au-dessus en frais berceaux; les autres sont découverts. Ils sont attelés de deux, quatre ou même six et huit chevaux de cette forte race qui vit aux bords du Rhin. Les attelages sont harnachés à la manière allemande, avec un luxe inouï de rubans et de bossettes de cuivre. Mais ce qui fait remarquer ces chars, ce n’est ni la vigueur des chevaux, ni la richesse agreste des harnais, ni la variété des couleurs, ni les fleurs et la verdure qui les décorent; c’est le costume pittoresque et la beauté piquante des jeunes filles qui les remplissent. Chaque char en porte quinze ou vingt. Elles sont assises sur les bancs avec le costume de leurs cantons.

L’Alsace n’a pas suivi ce mouvement qui emporte les populations vers l’uniformité des vêtements, éternel désespoir des artistes. Elle garde ses vieux costumes nationaux. Rien ne produit plus de variété et ne convient mieux à la fantaisie du peintre. Le caractère général du costume est assez facile à saisir. La coiffure et l’écharpe en sont l’élément principal. La coiffe est de soie, de velours ou de maroquin de couleurs différentes, retenue par une bande d’étoffe éclatant qui vient se nouer au sommet de la tête et laisse flotter deux bouts arrondis. Les cheveux sont pliés en chignon, tressés en casque ou tombent en longues tresses. L’écharpe, aux couleurs variées et voyantes, passe devant la poitrine et se noue derrière le cou de manière à laisser flotter ses deux extrémités. Mais ce qui varie à l’infini, c’est la forme des corsages, tantôt longs, tantôt courts, toujours gracieux; ce sont les couleurs toujours éclatantes et tranchées, mais toujours diverses. Le goût de ces toilettes rappelle le ton des peintures italiennes avec plus de brusquerie et de fantaisie.

Dans l’intervalle des chars, viennent les cavalcades, parmi lesquelles on remarque toujours l’écharpe du maire de la commune.

Chaque fois qu’un char passe devant la tente impériale, une jeune fille, désignée par ses compagnes, y jette un bouquet, et en un instant tous les fauteuils se trouvent chargés de fleurs.

Le prince a, de son côté, jeté aux jeunes filles un bouquet dont elles se sont partagé les fleurs avec un joyeux empressement.

Quoique le défilé s’effectue avec rapidité, et que souvent les cavaliers passent au grand trot, il a duré plus d’une heure. Toutes les communes étaient représentées. Plusieurs attelages étaient venus de plus de vingt lieues; il n’y avait pas moins de cent vingt chars et de douze cents cavaliers.

Chaque char portait le nom de la commune qu’il représentait. Sur des bannières dont ils étaient ornés, on lisait, en lettres d’or, des inscriptions telles que celles-ci:

A Louis-Napoléon

Reconnaissance et dévouement!

Qu’il soit le bien venu, en Alsace!

Il nous a sauvés, ne l’oublions pas!

Qu’il assure à jamais l’avenir de la France!

Parmi ces chars, on en a remarqué deux: l’un, conduit par un père de famille, portait sa femme et ses sept filles, toutes éblouissantes de fraîcheur; l’autre était celui des ouvriers de l’usine d’Altkirch’Graffenstaden, couvert de modèles de machines, de banderoles et de guirlandes de fleurs.

Chaque fois qu’une commune passait devant la tente impériale, elle poussait les cris de: Vive Napoléon! Vive l’Empereur! que répétaient avec énergie les deux rives du canal.

La pluie a interrompu cette manifestation, qui n’en est pas moins une des plus belles auxquelles nous ayons assisté.

Une promenade semblable avait eu lieu en 1839, lors de l’inauguration de la statue de Guttemberg, mais elle était bien loin d’avoir cet éclat. Trente-trois chariots seulement avaient été députés par les communes.

Après le défilé, les jeunes filles qui se trouvaient dans le char qui avait fermé la marche ont été admises à présenter à S. A. Impériale une corbeille de fleurs. Le Prince a accueilli leur hommage avec cette grâce qui ne l’abandonne jamais et leur a offert des bagues en diamants.

Les maires et les adjoints des communes, qui avaient figuré dans le défilé, ont été ensuite présentés au chef de l’Etat par le préfet. Ils se sont retirés heureux de l’accueil qui leur a été fait.

Le soir, le Prince a réuni, dans un dîner de soixante couverts, les notabilités de la ville et plusieurs membres du conseil d’administration du chemin de fer. Pendant le dîner, la musique du 73e de ligne a exécuté plusieurs symphonies.

C’était un journée bien remplie. Mais, la nuit venue, une fête nouvelle commence. Le temps devient meilleur. Le ciel s’éclaircit, et voilà que cette vaste cité s’anime de nouveau et s’éclaire des feux d’une vaste illumination.

Vous connaissez Strasbourg et ses édifices gothiques. Vous l’avez parcouru le jour et vous avez admiré ses splendides monuments. Vous ne pouvez avoir une idée du spectacle qu’il présente ce soir. De toutes parts on entend des orchestres en plein air. Toutes ces merveilleuses façades resplendissent de lumières artistement disposées. Chaque maison a son éclat, et, au milieu de toutes ces splendeurs nocturnes, s’élance dans les nues la flèche de la cathédrale, qui semble confondre avec les étoiles les feux de Bengale dont elle est couverte. Figurez-vous ce monument unique dans le monde, que seule la grande pyramide d’Égypte surpasse à peine en élévation, qui porte, à cent cinquante mètres de hauteur, sa croix triomphante, montant vers le ciel comme un flambeau gigantesque et jetant, sur toute la ville qu’il domine, les lueurs brillantes des verres colorés qu’il porte à chacune des sculptures de ses pierres.

De la préfecture aux ponts couverts, sur toute l’étendue du canal des faux remparts, glissent légèrement des flottilles de bateaux pavoisés, tout pleins de lumières et de chants. On dirait une nuit de Venise racontée par les poëtes.

Partout les bruissements d’une foule immense qui parcourt la ville dans tous les sens et qui se communique ses impressions.

Mais les fêtes de l’inauguratien ne sont pas terminées, et cette nuit ne doit pas épuiser la curiosité publique. Demain, au lever du jour, commenceront les grandes manœuvres militaires si populaires dans cette Alsace qui, dans les mauvais jours, a été le boulevard de la France.

Voyage de Sa Majesté Napoléon III, empereur des Français

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