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ОглавлениеPHILOSOPHIE
DE
L’ART AU MOYEN AGE
ES arts au moyen âge sont empreints d’une grande tristesse, d’une mélancolie profonde, d’une noire terreur; c’est que c’est en effet une vie de longue souffrance que la vie des peuples occidentaux à cette époque qui a pourtant été pour la France celle de son plus bel épanouissement.
Le moyen âge est compris entre deux catastrophes: l’invasion des barbares du Nord et celle des Turcs. C’est l’époque des choses sublimes et des choses horribles, des plus grands crimes et des plus belles vertus, des terreurs terrestres et des enthousiasmes religieux.
Les monuments de cette époque sont des témoins désolés de la vie malheureuse et craintive de nos ancêtres. En effet, la terreur régnait partout; il fallait craindre et le roi qui ne se gênait pas pour brûler même ses sujets, comme à Vitry, au XIIe siècle, où il brûla plus de1,000habitants dans l’église, et le noble qui veillait du haut de son donjon sur le voyageur et qui descendait dans la plaine, avec ses hommes d’armes, pour lui prendre la bourse ou la vie et souvent les deux, ou qui, d’autres fois, en guerre civile, massacrait, comme le duc de Bourgogne au XVe siècle, à Paris, plus de quinze cents personnes dans les rues, les prisons et même les églises. Il fallait craindre aussi le bohémien, voleur et pillard, l’étudiant en guenilles qui attendait le soir sous un porche d’église ou au coin d’une rue les passants attardés pour les détrousser, et par-dessus tout cela les ennemis, les envahisseurs, grands tueurs d’hommes (comme les Normands qui incendiaient au Xe siècle les bords de la Seine, les Anglais qui massacraient à Limoges).
La famine venait encore ajouter à la désolation et aux terreurs des hommes du moyen âge. «Sur les chemins, dit le moine Glaber, les forts saisissaient les faibles, les déchiraient, les rôtissaient et les mangeaient. Les riches maigrirent et pâlirent; les pauvres rongèrent les racines des forêts, plusieurs dévorèrent des chairs humaines.»
Il semblait, tellement la vie était terrible, que la mort était une délivrance; aussi voit-on dans les arts de cette époque jusqu’à la négation du corps humain emprisonnée dans de longs suaires.
Cette terreur continuelle avait appris aux hommes à se fortifier, aussi les rues de cette époque étaient-elles tortueuses, remplies de passages voûtés, les fenêtres étroites comme des meurtrières, les églises bastionnées, les maisons massives, les bourgs perchés sur les pointes des collines comme des nids d’aigles, protégés par des remparts crénelés et des tours d’où l’on guettait l’approche des ennemis.
Si l’art du moyen âge est empreint d’un grand système de défense, il revêt aussi un grand caractère religieux et triste; cela se comprend facilement, car lorsque la misère, la douleur, le désespoir règnent sur la terre, l’âme humaine, qui a toujours soif d’idéal, prend son vol en des régions plus pures où tout semble meilleur et s’adresse à Dieu comme une suprême espérance, comme la meilleure consolation.
C’est le rêve poétique de la Foi, de l’Héroïsme qui proteste contre la brutalité des événements humains; l’idéal reprend ses droits avec enthousiasme et à travers les malheurs et les lâchetés sans nombre, produit des choses sublimes et héroïques jusqu’à la folie.
C’est alors que prit naissance cette fine fleur, la Chevalerie, création française par excellence, car en plein XIXe siècle les étrangers proclament toujours la France la première des nations chevaleresques.
C’était vraiment le temps religieux et chevaleresque où la pratique de la religion, des vertus, des idées généreuses étaient le souci de tout homme de cœur; aussi dans les arts étaient-ce les types de l’infinie beauté morale que les artistes aimèrent à reproduire; la forme n’était rien, la pensée était tout, l’expression était réservée au visage aux dépens du corps emprisonné dans de larges mailles ou dans de grandes armures.
Par suite de la prédominance des idées religieuses et morales c’était la tristesse qui dominait partout et qui avait si bien marqué de son empreinte l’art du moyen âge.
Les architectes qui ont édifié les sombres églises romanes ou les grandioses cathédrales gothiques ont exprimé au moyen de la pierre toute la poésie touchante de leur âme. Le moyen âge semble frissonner et gémir au fond de ces sombres voûtes
Ce sont les tristes scènes de la Passion que les sculpteurs français ont groupées le long des piliers et sur les portails des églises où les saints de pierre semblent rêver dans une extase douloureuse.
Ce sont aussi les tristesses de la Passion, les crucifiements, les couronnements d’épines, les nativités, les vierges et les saints aux visages souffrants, les douleurs de la mort, le désespoir de l’enfer, que les peintres primitifs de la France, de l’Italie, de la Flandre, de l’Allemagne, ont reproduits dans leurs fresques lugubres et mélancoliques.
Et cette mélancolie profonde a continué longtemps à marquer de son empreinte les œuvres d’art, car, même en pleine Renaissance, elle fera encore sentir sa vitalité.
N’est-ce pas la mélancolie du moyen âge qui a fait donner aux géants de pierre de Michel-Ange cet air las et fatigué, aux femmes de Léonard de Vinci ces sourires mystérieux comme des énigmes, aux portraits de Hans Holbein ces airs tristes et ennuyés, aux fresques d’Orcagna cette désolation et cette désespérance.
N’est-ce pas la mélancolie qui a guidé le grand artiste allemand, lorsqu’il a représenté ce chevalier en compagnie de la Mort et qui, arrêté sous une forêt sinistre et lugubre, déjà immobile sous son armure de fer, regarde fixement le sablier presque vide où les siècles viennent de s’enfuir.
Mais si l’art a été triste et mélancolique au moyen âge, il a été aussi surtout, pendant la dernière période, moqueur et satirique.
Quand des hommes ont souffert et pleuré pour des chimères, pour des beaux rêves, et que leurs doux rêves se sont évanouis, ces hommes, tout en conservant l’amère tristesse de leurs illusions perdues, se. moquent, se raillent de tout ce qu’ils ont aimé et adoré.
Et cette moquerie sera d’autant plus grande que le rêve avait été plus haut et la chute plus profonde. C’est ce qui est précisément arrivé au moyen âge.
L’expérience avait donné un démenti aux plus beaux rêves enthousiastes des chevaliers, des preux et de la multitude.
Les Croisades, étaient nées d’un sentiment exquis et au mouvement desquelles tout un peuple, depuis les rois, les chevaliers, les nobles jusqu’aux serfs, avait pris part. Certains alors pensaient et soupiraient à la conquête de ce doux hameau de Bethléem où, dans la nuit de Noël, des rois étaient venus adorer un pauvre enfant couché dans une étable, premier berceau d’un Dieu bon et pauvre, et à celle de ce Golgotha où cet enfant divin devenu homme avait pleuré et prié pour les hommes la veille de sa mort.
Toute une multitude avait donné son sang pour reconquérir ces lieux saints et les arracher aux mains des infidèles. Mais ce sang avait été répandu en vain (ce Dieu dort, disait un troubadour, et Mahomet triomphe), et en fait de vertus, beaucoup de croisés avaient rapporté les vices des Orientaux.
Le procès des Templiers au XIVe siècle n’avait-il pas montré comment, même chez certains ordres religieux, le vice avait fini par l’emporter sur la vertu parfaite?
A quoi avait servi l’héroïsme, qu’avaient rapporté aux chevaliers, aux preux sans peur et sans reproche, leurs luttes gigantesques, leurs exploits sans nombre?
Ils avaient eu beau faire, leurs combats sanglants n’avaient pu ni ramener la fraternité sur la terre ni chasser les infidèles de la chrétienté. Le tombeau du Christ était toujours la proie des mécréants.
A quoi bon tous ces beaux rêves, toutes ces belles œuvres?
Aussi, tout en pleurant le passé, tout en gardant le. triste deuil des bonheurs évanouis, les hommes du moyen âge se moquèrent-ils, se raillèrent-ils.
Et cette raillerie, cette satire se montre non seulement dans les Lettres, mais dans les Arts. Elle est partout: dans les fresques lugubres où le grotesque se mêle au sublime, dans les sculptures de nos cathédrales, où des monstres à figures grimaçantes coudoient les vierges, les saints, les scènes de la Passion.
Il n’était pas jusqu’aux appartements, jusqu’aux meubles les garnissant, qui n’aient revêtu, dans la première partie du moyen âge, une teinte de mélancolie. Ces salles hautes et froides, aux fenêtres étroites garnies de vitraux multicolores où étaient représentés les scènes de l’Évangile, les mystères de saints, les exploits des chevaliers; ces bancs de pierre ou de bois sculptés, ces chaires hautes., ces chapelles attenantes aux châteaux et remplies d’objets de sainteté, de statuettes en pierre ou en bois coloriés de Christ aux visages douloureux, tout cela ne respire-t-il pas une mélancolie profonde?
Plus tard, la raillerie, la satire vinrent s’y mêler aussi et on vit apparaître dans ces salles des sculptures grotesques, dans ces chapelles des sculptures, des ornements jurant avec la sainteté des lieux.
Cette satire c’était la critique vivante du moyen âge, la protestation contre l’emprisonnement lugubre qu’il faisait subir à l’art; c’était un commencement d’acheminement vers l’art demi-païen renouvelé de l’antique, en un mot de la Renaissance