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LETTRE CCXXVII

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A M. MOORE

13 Piccadilly Terrace, 28 octobre 1815.

«Il paraît que vous voilà revenu en Angleterre, à ce que j'apprends de tout le monde, excepté de vous. Je présume que vous vous tenez sur la réserve, parce que je n'ai pas répondu à votre dernière lettre d'Irlande. Quand avez-vous quitté le «cher pays?» C'est égal, allez, je vous pardonne, ce qui est une grande preuve de-de je ne sais pas quoi, mais c'est pour donner le démenti à ce vers:

»Celui qui a tort ne pardonne jamais.»

»Vous avez écrit à ***. Vous avez aussi écrit à Perry, qui laisse entrevoir l'espérance que vous nous donnerez un opéra. Coleridge nous a promis une tragédie. Or, si vous tenez la parole que nous a donnée Perry, et que Coleridge remplisse la sienne, en voilà assez pour mettre Drury-Lane sur pied, et il faut dire qu'il a terriblement besoin qu'on vienne à son aide: nous avons commencé au grand galop, et nous voilà déjà rendus. – Quand je dis nous, c'est-à-dire Kinnaird, qui est ici l'homme capable, et sait compter ce qui est plus que n'en peut faire le reste du comité.

»C'est réellement fort amusant, quant à ce qui est du mouvement que se donnent matin et soir ces gens-ci, les uns se carrant, les autres pestant. Et si l'on parvient jamais à payer cinq pour cent, cela fera honneur à l'administration. M. *** a fait recevoir une tragédie, dont la première scène commence par le sommeil, non pas de l'auteur, mais du héros. Elle nous a été présentée comme étant prodigieusement admirée par Kean; mais le susdit Kean étant interrogé, nie cet éloge, et proteste contre son rôle. – Je ne sais pas comment cela finira.

»Je ne vous parle autant du théâtre, que parce que Londres est mort dans cette saison. Tout le monde en est parti excepté nous, qui y restons pour accoucher en décembre, ou peut-être plus tôt. Lady B. est énorme et en état de prospérité, du moins en apparence, je voudrais que le moment fût passé et bien passé. -

»J'ai devant les yeux une pièce d'un personnage qui se signe Hibernicus. – Le héros est Malachi, le roi Irlandais, et le traître usurpateur c'est Turgesius le Danois. Le dénouement est beau. Turgesius est enchaîné par la jambe à un pilier sur le théâtre, et le roi Malachi lui adresse un discours qui ne ressemble pas mal à ceux de lord Castlereagh sur l'équilibre du pouvoir et le droit de légitimité, discours qui jette Turgesius dans un accès de rage, comme le feraient ceux de Castlereagh, si son auditoire était enchaîné par les jambes. – Il tire un poignard et s'élance sur l'orateur; mais, se voyant au bout de sa corde, il le plonge dans sa propre carcasse, et meurt en disant qu'il a accompli une prophétie.

»Or, voilà des faits exacts et sérieux, et la partie la plus grave d'une tragédie qui n'a pas été faite dans l'intention de la rendre burlesque. L'auteur a l'espoir qu'elle sera jouée. – Mais, qu'est-ce que l'espoir? rien que le fard dont nous parons la face de la vie, le moindre souffle de vérité le détruit, et nous voyons alors, sans déguisement, comme elle a les joues creuses. Je ne suis pas bien sûr de ne pas avoir déjà fait cette belle réflexion-là; mais n'importe, elle ira encore cette fois à la tragédie de Turgesius, à laquelle je puis l'appliquer.

»Eh bien! comment va la santé, ô toi, poète, non des mille, mais des trois mille! J'aurais bien voulu que votre ami, sir John Forté-Piano, eût gardé cela pour lui, et ne l'eût pas publié au jugement du marchand de chansons de Dublin, et je vais vous dire pourquoi: il y a de la libéralité à Longman de vous avoir donné ce prix, et il est honorable pour vous de l'avoir obtenu, mais ceci va déchaîner, contre l'heureux auteur, tous les juges faméliques et décharnés. Après tout, qu'ils aillent au diable! – Jeffrey et Moore, réunis, peuvent défier le monde avec leur plume. – À propos, le pauvre C…e, qui est un homme d'un talent admirable, et de plus dans le malheur, est sur le point de publier deux volumes de poésie et de biographie. – Il a été plus maltraité par les critiques que nous ne l'avons été nous-mêmes. Voulez-vous me promettre, si son ouvrage paraît, de faire un article en sa faveur, dans la Revue d'Édimbourg? Je pense bien que vous ne pourrez faire autrement que de lui donner des louanges; mais il faut aussi le bien louer, ce qui, de toutes les choses, est la plus difficile. – Cela fera sa réputation.

»Ceci doit rester secret entre nous, car il serait possible que ce projet ne plût pas à Jeffrey, ni probablement à C…e lui-même. Mais mon avis est qu'il n'a besoin que de quelqu'un qui lui prépare les voies, et d'une étincelle ou deux de courage pour fournir glorieusement sa carrière.

»Votre très-affectionné, B.

»P. S. Voici un ennuyeux griffonnage, mais ma première sera «plus de ce monde.»

Comme, après cette lettre, on ne trouve plus, dans sa correspondance, que des allusions très-rares à la part qu'il eut dans l'administration de Drury-Lane, je profiterai de cette occasion pour donner quelques extraits de ses Pensées détachées où l'on trouve ses souvenirs sur ses relations de courte durée avec l'intérieur du théâtre.

«Lorsque j'appartenais au comité de Drury-Lane, et faisais partie de la direction, il y avait environ cinq cents pièces dans les cartons. Imaginant que, dans le nombre, il devait y en avoir de bonnes, j'en fis l'examen en personne, et avec l'aide de mes collègues. Je ne sache pas que, de toutes celles qui me passèrent par les mains, il y en eût une seule qu'on pût décemment supporter. – On n'a jamais rien vu de semblable à quelques-unes d'elles! Mathurin m'avait été très-pressamment recommandé par sir Walter Scott à qui j'eus recours, d'abord dans l'espoir qu'il ferait lui-même quelque chose pour nous, et puis me flattant, dans mon désespoir, qu'il pourrait nous indiquer quelqu'auteur, jeune ou vieux, qui nous promettrait du succès. Mathurin m'envoya son Bertram avec une lettre, mais sans son adresse, ce qui m'empêcha d'abord de lui répondre. Lorsque je découvris enfin son adresse, je lui envoyai une réponse favorable, avec quelque chose de plus substantiel. Sa pièce réussit; mais j'étais à cette époque hors d'Angleterre.

»Je m'adressai aussi à Coleridge; – mais il n'avait rien de convenable sur le métier pour le moment. M. Sotheby nous offrit obligeamment toutes ses tragédies, et je m'engageai et réussis, en dépit de quelques discussions avec mes confrères du comité, à faire accepter Ivan. On en fit lecture, et les rôles furent distribués. Mais voilà que, lorsque tout était en train, un peu de tiédeur de la part de Kean, ou de chaleur du côté de l'auteur, porte ce dernier à retirer sa pièce Sir J. – B. Burgess nous avait aussi présenté quatre tragédies et une petite pièce, et j'avais mis tout en mouvement dans le comité et les coulisses, pour les faire recevoir, mais ce fut inutilement.

»Bon Dieu, par quelles scènes il m'a fallu passer! – Les auteurs, mâles et femelles, les modistes et les sauvages irlandais, les gens de Brighton, de Blackwall, de Chatham, de Cheltenham, de Dublin, de Dundee, qui venaient me tomber sur le dos, et qu'il était convenable de recevoir poliment, d'écouter, et dont même quelquefois il fallait supporter une lecture. Le père de Mrs. ***, maître de danse irlandais, à l'âge de soixante ans, vint me trouver pour me prier de lui faire jouer Archer en bas de soie blancs, par une journée de gelée, afin de montrer ses jambes qui, certainement, étaient belles et bien irlandaises pour son âge, et qui avaient encore été mieux; – miss Emma une telle, se présentant avec une pièce intitulée: le Brigand de Bohême, ou quelque titre de ce genre; – M. O'Higgins, alors résidant à Richmond, avec une tragédie irlandaise, où les unités ne pouvaient manquer d'être observées, puisque l'un des personnages principaux était enchaîné par la jambe à un pilier, pendant la plus grande partie de la pièce. C'était un homme à l'aspect farouche et sauvage et le seul moyen de s'empêcher de lui éclater de rire au nez, était de réfléchir aux résultats probables d'une telle gaîté.

»Comme je suis naturellement un individu honnête et poli et qui ne peut souffrir faire de peine à personne, quand il en peut être autrement, – je les ai renvoyés tous à Douglas Kinnaird, qui est un homme d'affaires, et n'est pas embarrassé de dire non: je les ai donc laissés s'arranger ensemble, et comme, au commencement de l'année suivante, je suis parti pour l'étranger, j'ai été fort peu au fait depuis de la marche des théâtres...........................

»On dit que les acteurs sont des gens intraitables, et c'est vrai; mais j'avais trouvé moyen d'éviter toute espèce de discussion avec eux, et à l'exception d'un démêlé 11, qui s'éleva entre Byrne l'aîné et miss Smith, au sujet de son pas de… j'oublie le terme technique, je ne me rappelle pas m'être jamais mêlé de leurs querelles. Je protégeais habituellement miss Smith, parce qu'elle ressemblait de figure à lady Jane Harley, et que les ressemblances ont beaucoup de pouvoir sur moi; mais en général j'abandonnais ces choses-là à mes collègues, qui prenaient à tout cela une part plus active que moi, et me reprochaient très-sérieusement de ne pouvoir me mêler de ces sortes d'affaires sans plaisanter avec les histrions, et m'accusaient de mettre tout en désordre par la légèreté avec laquelle je traitais ces importantes bagatelles.

Note 11: (retour) Un correspondant d'un des Monthly Miscellanies rapporte cette circonstance de la manière suivante:

«Pendant l'administration de Lord Byron, Byrne l'aîné composa un ballet dans lequel miss Smith (depuis Mrs. Oscar Byrne) avait un pas seul. Cette demoiselle désira que ce pas fût introduit vers la fin du ballet; le maître de ballets s'y refusa, et la demoiselle jura qu'elle ne danserait pas du tout. La musique qui annonçait le pas commença, et la demoiselle sortit majestueusement du théâtre; les deux parties se précipitèrent dans les coulisses pour exposer leur affaire à Lord Byron, la seule personne qui s'y trouvât alors. Le noble membre du comité prononça en faveur de miss Smith, et les deux plaignans, irrités, s'élançaient dehors au moment où j'entrais moi-même. – Si vous étiez arrivé une minute plus tôt, me dit Lord Byron, vous m'auriez entendu prononcer dans une affaire curieuse, sur une question de danse, moi, ajouta-t-il en jetant un regard sur son pied difforme, moi à qui la nature, dès ma naissance, a défendu de faire un seul pas. Son front se rembrunit après avoir prononcé ces paroles, comme s'il eût regretté d'en avoir trop dit, et il y eut des deux côtés un moment d'un silence embarrassant.» (Note de Moore.)

»Puis venaient le petit comité et le haut comité. – Nous n'étions pas beaucoup, mais nous n'étions jamais d'accord. – C'était Peter Moore qui contredisait Kinnaird, et Kinnaird qui contredisait tout le monde: – et puis nos deux directeurs, Rae et Dibdin, et notre secrétaire Ward; et cependant nous étions tous très-zélés pour le bien du théâtre, et le désirions de très-bonne foi. *** nous avait fourni des prologues pour la reprise de nos vieilles pièces anglaises, mais il n'a pas été content de moi, parce que je lui ait fait le compliment qu'il était l'Upton de notre théâtre (c'est M. Upton qui était le poète d'Astleys 12), et cela est cause qu'il a presque renoncé aux prologues.

Note 12: (retour) Un des théâtres inférieurs de Londres, qui est dans le genre du Cirque de Franconi.(Note du Trad.)

»Dans la pantomime qu'on joua en 1815 et 16, on avait introduit une représentation du bal masqué, donné par nous autres jeunes gens du club de Watier à Wellington et compagnie. Douglas Kinnaird, avec deux ou trois autres et moi-même, nous nous masquâmes et montâmes sur le théâtre avec οἱ πολλοί pour voir de la scène l'effet de la salle. – Cela me parut superbe. – Douglas se mit à danser parmi les figurans, et ils furent fort intrigués de savoir qui nous étions, s'étant aperçus qu'ils étaient plus que leur nombre. Il est assez étrange que Douglas Kinnaird et moi nous ayons été tous deux présens au véritable bal masqué, et ensuite à la pantomime qui en fut donnée sur le théâtre de Drury-Lane.»

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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