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IX L’HOTEL DE LA PLAGE.

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Table des matières

Blankenberghe n’est qu’un village;–un village charmant, qui n’aurait qu’à perdre en devenant ville, car rien n’est plus maladroit que de bâtir les villes à la campagne,–pour parler comme dans la chanson de La Palice.

Les bains surtout doivent être essentiellement sagrestes, autant pour l’hygiène que pour l’agréiment des baigneurs, puisque la majorité sont des habitants des villes épuisés ou affaiblis qui vienment changer d’air.

Blankenberghe a la vogue des plages belges; c’est la retraite de prédilection des gens tranq quilles; les poseurs y sont assez mal reçus et ils n’y font pas encore la loi.

Selon l’usage des bains, les maisons privées se convertissent presque toutes en «quartiers meublés,» en brasseries ou en bazars pendant la saison. Quant aux hôtels patentés, ils ne sont ni meilleurs ni pires qu’autre part.

En descendant à la gare, comme nous ne trouvâmes qu’une seule voiture, nous la prîmes sans hésiter.

C’était l’omnibus de l’Hôtel de la Plage, le plus important.

Nous y fûmes bientôt une quinzaine, entassés les uns sur les autres, surmontés d’une montagne de bagages.

Après un court trajet, M. François, l’hôtelier, nous reçut avec la quintessence de son sourire et nous casa tous tant bien que mal.

Voulez-vous le portrait de M. François? Pourquoi pas?

–Voici:

Il avait une figure de patron: des favoris bruns, coupés en côtes de pré-salé; du linge extra-blanc, avec un devant de chemise plissé comme une persienne; des souliers vernis; une vareuse de flanelle; la voix grêle d’un mirliton; la bedaine convenable, et du coton rose dans les oreilles.

Cependant, figurez-vous, je vous prie, que vous avez une clarinette dans le ventre; la position vous paraîtra amère au milieu d’une partie de plaisir, et encore plus dans un voyage de noce.

Nous étions tous attristés.

M. Gustave commençait à ressentir des coliques lancinantes. Ce mélange de tête de veau, de saucisses au cumin, de faro, de tabac, de buis et de nickel provoquait des rumeurs sourdes, avec des borborygmes prolongés, comme des roulements lointains, avant-coureurs d’une guerre intestinale. Malgré son courage, il poussait des soupirs à épouvanter une baleine.

Mme Bittermeineliebe manda de suite le médecin principal, et M. François cria à la hâte, par la croisée, au palefrenier qui se trouvait dans la cour:

–Eh! Tapot! Cours vite après M. Lanini! cours vite!…

Tapot courut à la belge, c’est-à-dire sans se presser.

Il ne revint guère qu’une demi-heure après, nous annoncer que «l’artiste» allait venir; qu’il finissait de dîner.

–Comment, l’artiste? m’écriai-je à l’idée d’une nouvelle erreur; car en Belgique, comme en France, les paysans appellent généralement «l’artiste,» le vétérinaire.

–Oui, l’artiste! reprit Tapot avec force; il vient à la minute!

–Ah! bourrique! murmura le patron de sa voix flûtée et polie qui contrastait burlesquement avec l’injure, qu’est-ce que tu lui as dit?

L’autre s’expliqua dans le discours suivant, en belge le plus pur:

«–Ma fine, que j’y dis, salut m’sieu Lanini; ça va-t-il comme vous voulez? que j’y dis.– Quoi qu’il y a, Tapot, qu’il me dit, mon ami? dit-il. Il y a une bête malade, que j’y dis.– Ah! ah! dit-il.–Vite! j’y dis, elle gueule!– Oui, dit-il, laisse-moi au moins me mouiller le tuyau du cou, dit-il; j’ai couru toute la journée comme un dératé, dit-il.–Ça presse, que j’y dis, c’est pour des étràngers!–Ah! ah! dit-il, faut-il poser un séton? dit-il.–Je ne sais pas, que j’y dis, mon cher.–Eh bien! va devant, dit-il, je prends ma belle seringue de Paris, nous allons l’étrenner, dit-il.–C’est ça! que j’y dis…»

M. François était exaspéré de la balourdise de son messager, qui, du reste, ne voulait pas se taire avant d’avoir dévidé toute la conversation.

En vain le patron se dressait-il sur ses escarpins tant qu’il pouvait, en grossissant sa voix, pour crier:

–C’était le médecin! que je te disais, le médecin, le médecin! Tu n’es qu’une buse! c’est toujours comme ça avec tes commissions!…

Allons, file d’ici!…

Tapot criait plus haut que lui, et à mesure que l’autre le poussait par les épaules pour le renvoyer, il revenait à la charge, en gesticulant avec plus d’emportement.

–Ah! tu sais, monsieur, ne m’insulte pas! Je ne suis pas plus buse que toi… Pourquoi qu’il beuglait comme un veau? C’est pas ma faute, pour une fois.

Puis, il recommençait sa tirade avec l’artiste.

Ils en étaient là, quand celui-ci entra précisément.

Disons d’abord, à la décharge du brave Tapot, qu’il y avait deux Lanini à Blankenberghe, l’un médecin, l’autre vétérinaire. C’étaient les deux cousins.

Tapot s’était naturellement adressé à celui de : son ressort.

En définitive, pour réparer sa méprise, il cou-[rut après celui qu’il fallait.

Si je ne vous pensais désireux de poursuivre, je citerais quelques anecdotes exceptionnelles, certainement, mais qui montrent à quel point les médecins des bêtes ou des gens se valent dans bien des cas. La plupart ne connaissent guère que quelques remèdes qu’ils appliquent à la façon de Barbari, mon ami.

Par exemple, je sais un paysan d’Auvergne à qui ceci est arrivé tel que je le rapporte:

Il s’en va le même jour consulter l’artiste pour sa jument blessée au genou, puis un officier de santé pour sa femme prise d’un gros rhume.

Le premier lui donne un liniment pour friction, l’autre un électuaire pour potion.

De retour à la maison, il frictionne sa femme et verse l’électuaire dans le cou de la bête.

Elles guérirent toutes les deux en moins d’une semaine.

Deuxième anecdote.

Dans un autre village, situé sur des hauteurs, par conséquent où les marais sont inconnus, un médecin prescrit six sangsues à un enfant pour un dépôt à la cuisse.

Sa sœur, qui n’avait jamais posé ni même vu de ces annélides, les lui passe à la poêle et il les mange.

Deux jours après, il jouait à la paume avec les autres gamins.

Cependant Lanini, l’artiste, était plus que mécontent d’avoir été dérangé de son dîner pour le roi de Prusse, et il exigeait le montant de sa visite assez justement.

Le Poméranien s’y refusait assez justement aussi.

La contestation s’aigrissait. Déjà les gros mots, qui ne se gênent pas dans les Flandres, se croisaient dans les airs comme des nuées de corbeaux sur un ciel orageux.

Enfin, une pantomime bouffonne se jouait parallèlement à quelques pas.

En entrant, le vétérinaire avait posé sa seringue sur la table, et, tandis que personne ne regardait, le sajou l’avait emportée lestement. D’après sa façon de la manier, je pense qu’il la prenait pour un fusil à piston; il avait sans doute vu des exercices de la landwehr, car il les imitait avec beaucoup de grâce: Portez armes!… Présentez armes!… Alignement!… Par file à droite!…

Par hasard, il y avait dans le couloir un potage à l’oseille prêt à servir à une dame des États-Unis.

Pipi en chargea son fusil, puis revint bravement se mettre en faction devant la croisée.

Elle donnait sur la cour, où plusieurs pensionnaires se promenaient en attendant le dîner, entre autres le chanoine.

Il venait de s’adosser contre un chambranle de porte, devant la fenêtre, et comme il avait un commencement de fringale, il bâillait aussi largement qu’une grenouille de jeu de tonneau.

L’adresse de Guillaume Tell n’était rien à côté de celle de Pipi.

En joue!… Qs!…

Voilà un jet brûlant sur la luette.

Incontestablement un verre de Madère eût été mieux venu.

Affolé par la douleur, le père se prit à courir dans la cour en criant. Il finit par se jeter, la tête perdue, dans une grande manne, à côté des cuisines, où les marmitons conservaient les plumes des volailles pour des édredons.

Le panier se renversa sur lui et le couvrit jusqu’aux jarrets, à la façon d’un éteignoir sur une chandelle.

Par bonheur, la laveuse de vaisselle accourut le dégager. Mais il était emplumé de duvet de toutes les couleurs, au point de ressembler à un gros coq de bruyères.

En résumé, il eut plus de peur que de mal. Après avoir été brossé soigneusement, il décrivait lui-même sa panique en riant tout son soûl, ce qui était le meilleur moyen de ne pas prêter à rire aux autres.

Toutefois, la mauvaise humeur de l’artiste redoublait de ce que le sajou s’était servi de son instrument, sans sa permission, pour tirer à la cible.

C’est alors que le patron, pour en finir, lui promit une indemnité, de laquelle il pensait bien se dédommager lui-même, avec usure, en l’ajoutant sur la note de tous ses clients.

Ainsi réconciliés, ils se quittèrent amicalement.

Comme l’un partait, l’autre Lanini entrait.

Après s’être enquis de l’accident, il haussa les épaules:

–Bah! ce n’est qu’oune bagatelle, dit-il avec un zézayement vénitien assez prononcé; z’en ai vou bien d’autres, nella mia pratica.

A vrai dire, il ne manquait pas de mérite. De plus, il possédait une qualité précieuse, celle d’égayer ses malades par sa bonne figure et par les gaudrioles qu’il leur racontait avec une verve irrésistible.

Il se borna à prescrire une infusion de guimauve, laquelle soulagea presque de suite l’imprudent expérimentateur.

Du reste, il déclara sur l’honneur qu’il n’y avait pas de danger, le sujet étant prussien:

–Tout le monde sait que l’appareil dizestit des Proussiens s’exerce tellement depouis la mamelle, qu’à la longue il becco, fout-il en acier, serait concassé, broyé, émietté, poulvérisé, dissous et finalmente passerait comme oune asperze.

Ainsi rassurés sur notre compagnon, nous descendîmes dîner, car il passait déjà six heures.

Mademoiselle Baukanart

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