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VI EN ROUTE.

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De Bruxelles à Blankenberghe, par un train lent qui dessert les villages, il faut plus de huit heures; mais il y a de quoi voir le pays et dîner plusieurs fois.

Si rien ne vous presse, ce mode de transport n’est pas ennuyeux. Ajoutez qu’il se trouve toujours quelqu’un qui profite de ces repos de deux minutes par-ci, deux minutes par-là, pour aller boire un coup ou pour quelque autre nécessité. Messire Bittermeineliebe alternait l’une avec l’autre, sagement.

Dès Laëken, à dix minutes de Bruxelles, il lui fallut demander un bock, la saucisse fumée étant altérante.

Même manège aux stations suivantes. Il descendait avec la ponctualité d’un fonctionnaire; –d’un fonctionnaire aimable, car il n’oubliait pas de rapporter à madame, tantôt un pistolet au jambon beurré, tantôt un morceau de fromage odorant.

Le pauvre amiral, qui avait les narines impressionnables, était obligé de respirer constamment un flacon de sel ammoniac.

A vrai dire, le Poméranien ne manquait pas d’une certaine prévenance; il nous demandait avec un large sourire:

–Ces messieurs ne viennent pas se désaltérer?…

Le chanoine en mourait d’envie. Cependant, il n’osait pas accepter tout seul.

Je résolus de l’aider.

A la gare d’Alost, après la gracieuse invitation:

–Ces messieurs ne viennent pas se désaltérer?…

Je fis mine de suivre mein herr, de sorte que le père, comme entraîné par l’exemple, se leva précipitamment et courut d’un pas léger avec son gros ventre qui ballottait joyeusement.

Le Prussien demanda deux pintes de faro.

Cependant, comme il était plus expéditif que son invité, ayant plus d’expérience, il vida sa pinte d’un trait. L’autre, au contraire, buvottait à la façon des cahards en se rinçant le voile du palais.

Tout à coup, la sonnette nous prévint de remonter en voiture.

Mein herr nous rejoignit tranquillement sans avoir l’air de se souvenir du chanoine, qu’il laissait seul pour payer les deux pintes, plus une saucisse plate pour madame.

Vous savez, sans doute, qu’il n’y a pas de pays où les dissidences éclatent plus passionnément qu’en Belgique, ni où les partis échangent des aménités plus inqualifiables. Les Belges éclairés en conviennent eux-mêmes.

Les rivalités politiques et les coteries religieuses, si éminemment divisantes, entretiennent sans cesse l’animosité.

Par bonheur, tout se borne à des menaces, grâce à la plus grande qualité des Belges, à leur sens pratique. Il se passe parmi eux précisément l’inverse de ce qui a lieu en France.

Ici, les polémiques détraquent le commerce, les transactions, la quiétude, par suite la prospérité;–en Belgique, l’amour de l’argent devient un si puissant dérivatif qu’il modère les haines les plus violentes.

La situation n’en est pas moins tendue et par conséquent précaire. Au reste, elle explique déjà clairement le côté déplorable de l’esprit moderne des Belges, qui se gâte de plus en plus.

Tous les peuples ont leur défaut capital, leur maladie endémique.

Nous, c’est la vanité devenue proverbiale. Les Belges, c’est la fausseté.

Ils sont tous plus ou moins jésuites et menteurs. Pour la rouerie, la défiance, l’ingratitude, et comme maîtres exploiteurs des autres, ils égalent déjà les Allemands. Oh! le désintéressement de leurs aïeux, ils ne s’en souviennent plus guère!

A la gare d’Alost, le buvetier était un radical à tous poils.

Rien qu’à voir ses yeux sournois, d’un éclat cannibalesque, vous sentiez de suite qu’il avait un projet de gouvernement dans la tête, pour sauver l’humanité, lequel projet consistait à l’élire souverain du royaume.

Sa barbe inculte et rude, rousse du roux des renards, s’en allait tout de travers comme ses idées. Au demeurant, ses mains velues étaient aussi sales que ses opinions, car des plaques de crasse apparaissaient entre les jointures, même à la distance convenable de dix pas.

Après Dieu, le savon était son plus irréconciliable ennemi.

Dans sa joie d’embêter un prêtre, il lanternait, exprès, pour lui changer sa monnaie.

Bref, le train démarra.

Ah! ah! victoire! Le buvetier ricanait avec insolence; ses grosses canines de Barbe-Bleue lui relevaient la lèvre d’un côté; il avait l’air de les aiguiser voluptueusement pour dévorer le chanoine, à la sauce Robert.

Le pauvre chanoine! il criait:

–Attendez-moi! attendez-moi! au nom du ciel!… en agitant son parasol avec des gestes lamentables.

Par chance, le mécanicien l’aperçut. Il était clérical. Il prit sur lui de s’arrêter au risque de recevoir son congé de l’inspecteur, peut-être un républicain indépendant, qui sait?

Toujours est-il que le révérend put monter à la hâte sur un wagon découvert, chargé de houille, et à la station suivante il revint à sa place.

Il n’avait pas l’air content, parbleu! Cepen-dant il se mit de suite à parcourir son bréviaire pour apaiser son ressentiment.

Par contre, M. Bittermeineliebe, qui, décidément, n’était pas la fine fleur de la délicatesse, essaya d’établir un parallèle entre les bières de Bavière et de Louvain.

Il va sans dire que le chanoine ne se souciait plus de lui donner la réplique; il paraissait de plus en plus plongé dans ses litanies; il remuait les lèvres et tournait les pages rapidement.

Cependant le Poméranien nous assourdissait par son vacarme.

Il ne se gênait pas pour pincer devant nous tout ce qu’il pouvait à madame son épouse, ni de lui claquer des baisers bruyants avec l’inconcevable impudeur des Allemands.

De son côté, la dame suivait le courant d’une telle éducation; elle ripostait sans timidité, allant de son mari au singe ou du singe à son mari.

Entre les baisers, ils dégustaient un cercle de saucisse à l’ail, pour se parfumer l’haleine.

Je ne saurais exprimer l’impression de malaise que nous ressentions tous,–le Russe excepté, –à voir une femme gracieuse, au teint frais, ayant encore de l’enfance exquise en elle, s’abandonner ingénument à un débraillé si indécent.

Par intervalle, pour se reposer, mein herr fumait une cervelle de tabac dans la tête barbue de l’empereur Guillaume, en terre de pipe.

Avoir sa figure en terre de pipe, c’est la gloire des gloires.

Pourtant, je songeais, à part moi, qu’un jour ou l’autre, toutes les idées de la vraie cervelle finiraient de même par s’évaporer en fumée.

D’autres fois il tirait sa montre, une magnifique pièce à répétition, à quantièmes et à secondes.

Il se vantait de l’avoir volée pendant la guerre dans une villa de la banlieue de Paris.

Mme Bittermeineliebe s’amusait à presser la détente pour écouter la sonnerie, en l’appliquant contre son oreille ou contre celle de Pipi.

Ces notes claires délectaient le joli sajou, qui prenait des inclinaisons de cou et des mines d’une mutinerie adorable.

Mais j’allais oublier une des distractions favorites du Poméranien, car ce n’était pas assez d’une femme, d’une pipe, d’un singe, des saucisses, d’une montre à répétition; il lui fallait encore une clarinette.

Il nous jouait la valse du Beau Danube bleu avec un talent réel; surtout avec l’excellent sentiment rhytmique des Germains.

Cependant, à la gare de Gand, nous eûmes une diversion à laquelle je ne puis pas repenser sans rire.

Il est clair que personne d’entre nous n’avait dénoncé la présence de Pipi, puisque nous l’avions tous accueilli avec plaisir.

Pourtant l’administration en eut vent et voici ce qui s’ensuivit:

Un grand inspecteur, accompagné d’un grand brigadier, suivi de deux grands gendarmes, se mit en devoir de visiter le train.

Tout le monde sait comme les Belges sont fins;–s’ils ont des gendarmes avec eux, ils deviennent extra-fins.

De fin en fin, celui-ci parvint au Fin-landais.

Le prince se promenait seul, au soleil, enveloppé dans sa fourrure.

Par une méprise très-excusable, la patrouille le prit pour le singe.

Vous entrevoyez déjà le reste.

Avec une adresse qu’il faut louer sans restriction, pour être impartial, l’inspecteur courut sur ses traces, et lui jetant un large sac sur la tête, il le renversa, le lia, puis l’enfila brutalement, la tête la première, dans une case où il y avait déjà un gros ratier et deux bassets.

Après quoi, tout fier d’une perquisition si bien menée, il fit majestueusement signe de partir.

C’était à qui le féliciterait, le brigadier, les gendarmes, ainsi que plusieurs personnes de distinction de la ville.

Comme la voiture où nous étions, et Pipi aussi, se trouvait juste devant le groupe, j’entendis l’inspecteur répondre, non sans fatuité:

–Oh! avec moi, vous savez, mon cher, les voyageurs n’ont qu’à bien se tenir; il faudrait être malin comme deux singes pour me filouter.

Il ne pensait pas dire si vrai.

Mais en définitive le malencontreux Bordelais se démenait dans son sac comme un perdu, en compagnie du ratier et des bassets irrités qui lui lacéraient les mollets de leurs incisives pointues.

Au contraire, mein herr riait en allemand d’un rire gras et postillonnant, tandis que Mme Bittermeineliebe, encore tremblante d’émotion, pressait Pipi contre sa poitrine comme s’il venait d’être délivré d’un péril épouvantable.

A vrai dire, nous riions tous, car le prince n’était guère intéressant. D’un autre côté, le coup de saisie avait été si littéralement enlevé que nous n’avions même pas pensé à intervenir.

Toutefois, nous revînmes bientôt à des sentiments plus charitables, à commencer par le chanoine.

Par précaution, nous remîmes le sajou dans sa cage; puis, au premier arrêt nous allâmes protester contre l’équivoque.

Ce fut difficile à expliquer. Le faux singe poussait pourtant des cris effrayants mêlés aux jurons les plus impies, et bien que je fisse remarquer à l’employé que prendre le nom de Dieu en vain était un signe propre à l’humanité civilisée, il persistait à ne pas vouloir désemprisonner le prince, n’osant pas reconnaître ainsi en public la bévue de son supérieur.

Il ne fallut rien moins que la déclaration pressante du chanoine, connu dans le villagé, heureusement, et qui prit sur lui toute la responsabilité, pour ravoir le Cosaque.

Enfin il fut délié, pansé de ses meurtrissures avec du cérat, puis nous le ramenâmes dans la voiture, écumant de colère.

J’avoue qu’il y avait de quoi; une pareille plaisanterie n’aurait pas été de mon goût.

Mademoiselle Baukanart

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