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I A LA GARE DE BRUXELLES.
ОглавлениеNous étions une centaine de voyageurs à la gare de Bruxelles, prêts à partir dans la direction des Flandres et de la mer par le train de six heures du matin.
Nous nous promenions tranquillement sur le quai en attendant le signal, car les administrations étrangères n’ont rien des tracasseries mesquines et prétentieuses de celles de France envers le public.
Dans tous les pays, dès que le train est monté, les voyageurs peuvent aller se placer selon leurs convenances, au lieu de s’impatienter à s’écraser le nez contre les portes-fenêtres des salles d’attente, jusqu’à ce qu’un geôlier inflexible leur permette enfin de se précipiter bruyamment en masse affolée dans les wagons, à la manière d’une meute dans un bois.
Aussi, avons-nous beaucoup d’accidents dans nos gares; les Français ont tellement l’habitude des tutelles qu’ils ne pensent en rien par eux-mêmes; ils se fient constamment à la vigilance d’un gardien pour leur conservation personnelle, de même qu’à leur journal pour leurs opinions politiques, artistiques ou religieuses.
La foule, à la gare de Bruxelles, quoique à une heure si matinale, était déjà des plus mêlées; il s’y trouvait des gens du peuple et des gens des classes dirigeantes.
Pour qui sait lire au vol dans les pensées, rien de plus bizarre que ces va-et-vient de voyageurs qui se croisent, qui s’accompagnent, qui se fuient, qui s’attendent, qui se poursuivent.
Que d’expressions diverses vous apercevez, pêle-mêle, à travers tous les âges de la vie, depuis l’enfant qui tette au vieux qui se traîne; allant sans transition du grotesque au niais, au lamentable; des visages soucieux et désolés aux figures épanouies; des lèvres plissées de rire aux paupières baignées de larmes!
Et les recommandations sans fin? Et les adieux? Et ceux-là qui voyagent pour leur agrément, ceux-ci pour leur santé; ces autres pour leur commerce?
Plusieurs s’expatrient pour courir après un bonheur rêvé;–une chimère, mon Dieu!
Il y en a aussi qui ne reviendront pas.
En définitive, un train qui file, avec son sillon blanc de fumée et son cri aigu de vapeur, emporte les nuances innombrables des passions humaines.
Je m’installai dans un des wagons désignés pour Bruges, direct, et à mesure qu’il me venait des compagnons, je m’appliquais à les dévisager.
Visiter les musées, les monuments, les ruines, les aqueducs, les points de vue, c’est bien;– étudier les âmes, c’est mieux.
Comment acquérir l’expérience du monde sans ça?
Nous contenons tous une série de panoramas intérieurs intéressants à connaître. Et puis ces analyses sur le vif, qui se renouvellent sans cesse avec le charme de l’imprévu, sont souvent grosses de trouvailles.
Peu à peu la foule s’étant casée, le départ sonna.
Comme il fallait s’y attendre, surtout dans une saison de déplacement, de vacances et de bains, mon wagon présentait l’aspect le plus disparate imaginable.
Nous partîmes au complet; la seule place encore disponible en apparence était retenue pour un promeneur fantaisiste, qui ajouta bientôt sa note baroque à l’ensemble déjà si bigarré.
Au reste, je vais esquisser mes voisins, l’un après l’autre, en quelques pages.