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Les manuscrits de Bussy-Rabutin : pratique aristocratique, usages familiaux
ОглавлениеYohann DEGUIN
Université Rennes 2
Un aristocrate du XVIIe siècle peut-il être auteur ? Bussy-Rabutin, dont les œuvres écrites sont pourtant nombreuses1, répondrait que non. Bouhours lui écrit en effet que « c’est grand’pitié […] que d’être auteur de profession, on a plus d’affaire que n’en a M. Colbert, et à peine peut-on trouver le temps d’écrire à ses meilleurs amis2 ». La réponse de son correspondant apporte les éléments d’une définition de l’auteur : « Je comprends bien l’embarras des gens qui font imprimer, et ceux qui m’ont délivré de ces peines ont eu plus de bonté qu’on ne sauroit dire3. » L’auteur de profession est donc celui qui fait imprimer : il préside à la diffusion de ses textes. Bussy-Rabutin a certes beaucoup écrit, beaucoup copié, beaucoup corrigé, critiqué, mais jamais il n’a fait imprimer lui-même ses textes. L’Histoire amoureuse des Gaules, son œuvre la plus célèbre, est un hapax au sein de l’œuvre de Bussy-Rabutin : imprimé de son vivant, bien que Bussy ait toujours nié tout rôle dans cette diffusion, c’est le seul de ses écrits dont on ne trouve aucune trace autographe4. Cette dichotomie entre les textes personnels ou familiaux – Mémoires, lettres, discours à ses enfants – et ce roman illustre la double détente de sa pratique auctoriale. D’une part, on peut observer une stratégie d’écriture et de lecture contrôlée ; de l’autre, une propagation qui révèle une perte totale de contrôle sur l’objet écrit, parce qu’il est imprimé, puis copié par des tiers en raison de sa nature scandaleuse5. Cette tension entre deux modes de diffusion de l’écrit, et le discours de Bussy-Rabutin à ce sujet, suggèrent chez lui la présence d’une posture d’auteur et d’une conscience de la destination des textes. On a ironiquement glosé sur la relative confidentialité de Bussy-Rabutin, comparée au succès de sa cousine de Sévigné. L’épistolière aurait atteint la postérité sans la programmer ; le mémorialiste y aurait échoué, alors qu’il l’espérait. On peut pourtant se demander dans quelle mesure cette postérité a pu être effectivement programmée, eu égard à ses réflexions sur le statut d’auteur, et à sa pratique du texte manuscrit.
On constate, en effet, à l’étude de quelques autographes de Bussy-Rabutin, un jeu de composition et de recomposition des textes. Bussy-Rabutin se refuse à fixer l’œuvre dans l’imprimé6, parce qu’elle doit être plastique, en fonction des destinataires qu’on lui attribue, en fonction aussi d’un processus d’élection aristocratique.
Après un sommaire état des lieux des manuscrits autographes de Bussy-Rabutin parvenus jusqu’à nous, on analysera les stratégies de destination qu’il revendique et le discours qu’il tient sur le manuscrit comme objet. On envisagera ensuite, chez lui, le manuscrit comme un texte dont la (re)copie tend à le rapprocher de l’imprimé par le passage vers une forme plus lisible, tout en lui conservant une grande plasticité, et vers des déclinaisons qui font le pari du morceau choisi offert au public, qui sont autant d’embryons de textes programmant une postérité.