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Un comité de soutien féminin

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Qui sont ces esprits intrépides qui, à peine le libertin mal repenti tiré de la Bastille et réfugié sur ses terres bourguignonnes, s’engagent dans une correspondance qui, pour beaucoup, se poursuivra tout au long de l’exil et de la vie de Bussy ? À première vue, on a affaire à un groupe hétérogène qui réunit des femmes de la haute et de la petite noblesse provinciale, des personnalités en vue comme la comtesse de Fiesque1, et d’autres plus discrètes, comme Mme de Scudéry2, dont le talent nous serait demeuré inconnu sans cette correspondance. Plusieurs générations sont confondues : la comtesse de Fiesque est née en 1619, la comtesse de Guiche et Mlle d’Armentières ont vingt-deux ans. Le cercle des muses galantes à la réputation sulfureuse – Mme de Gouville3, la comtesse de Fiesque –, côtoie celui des muses savantes – Mme de Scudéry, veuve et dévote –, des précieuses qui militent contre l’amour – Mlle Dupré –, et des indépendantes, réfractaires aux catégories – Mme de Sévigné.

On discerne toutefois des liens multiples et variés entre les correspondantes de la première heure. Liens familiaux d’abord : d’après Mireille Gérard, « la plupart des correspondants de Bussy en 1666 sont en fait de proches parents4 ». Moyennant la conception extensible de la notion de cousinage, l’épistolier peut s’estimer apparenté à des degrés divers à Sévigné, Fiesque, Gouville, Guiche et jusqu’à la Grande Mademoiselle. Dans ce réseau familial entendu au sens large se dessinent également d’étroits liens politiques : plusieurs épistolières font partie de l’entourage de Mlle de Montpensier – c’est le cas de Fiesque et de Scudéry – et ont été mêlées, comme Gouville, aux intrigues de la Fronde5. Myriam Tsimbidy, qui s’est penchée sur la correspondance de Bussy avec Mademoiselle, montre que des liens d’estime, voire d’amitié existaient entre eux6. En 1662, alors que la princesse est exilée à Saint-Fargeau après le refus du mariage portugais, Bussy lui adresse de véritables gazettes sur tous les événements de la cour. En 1666, dans l’entourage de cette princesse, on s’empresse donc de retourner la faveur en permettant à l’exilé de demeurer en contact avec le centre des nouvelles et en jouant les intermédiaires : Fiesque s’offre pour faire pression sur ceux qui travaillent au retour en grâce, Scudéry est en relation étroite avec Saint-Aignan, principal soutien de Bussy auprès de Louvois, et Dupré assure la liaison avec des personnalités du milieu lettré comme Conrart, Bouhours et Rapin.

Ensuite, la plupart des correspondantes sont liées d’amitié et se fréquentent assidûment. La « Comtesse » (de Fiesque) figure régulièrement dans les listes d’amis et de proches dont Sévigné transmet les compliments et les nouvelles à sa fille7. Bussy, quand il s’adresse à ce réseau amical, doit tenir compte du fait que ses interlocutrices se fréquentent au quotidien, sous peine de se faire gentiment moquer de lui :

Je me trouvai hier chez Mme de Montglas, qui avait reçu une de vos lettres, et Mme de Gouville une autre ; je croyais en trouver une chez moi. Mais je fus trompée dans mon attente, et je jugeai que vous n’aviez pas voulu confondre tant de rares merveilles.8

La plaisanterie, qui associe avec élégance le reproche et l’excuse, assure discrètement la promotion du groupe des correspondantes. Et tandis que Bussy doit fournir aux attentes de chacune, les épistolières s’associent aussi bien dans la lecture que dans l’écriture et l’expédition des lettres :

Je vous dirais que je n’ai point reçu ce paquet de votre part, dans lequel vous me mandez qu’il y avoit deux lettres de vos amies.9

Je vous assure, monsieur, que je vous ai écrit une grande lettre de l’hôtel de Sully : la duchesse vous fit même un compliment dans ma lettre et badinoit avec vous ; nous vous mandions toutes les nouvelles.10

J’arrive de la campagne de mon côté et notre cousine [de Fiesque] du sien. La première chose à quoi nous pensons, c’est à vous écrire et à vous prier d’envoyer chez moi prendre nos deux portraits […]. La comtesse dit qu’elle ne vous écrit pas mais que vous n’en êtes pas moins persuadée de son amitié. Entre vous deux le débat.11

Loin de n’être qu’une commodité postale, la tactique du tir groupé renforce l’avantage des épistolières, autorisant l’appel à témoin en cas de litige (lettres perdues, manque d’assiduité). Toute nouvelle recrue se recommande du groupe. Quand Mme de Scudéry prend l’initiative d’écrire à Bussy, elle met d’abord en avant la pression de ses amies – « Je crois qu’elles se sont imaginé que nous nous connoissions encore plus que nous faisons » –, puis déclare faire équipe avec Mlle Dupré, autre ennemie de la galanterie : « Nous sommes inséparables. C’est la meilleure amie que j’aie au monde12. » Enfin, son amitié pour Mme de Montmorency13 montre que des recoupements sont possibles entre le cercle des muses savantes et celui des muses galantes. Les lettres de Bussy doivent tenir compte de cette dynamique de groupe et du fait qu’une allocutaire peut en cacher une autre :

Pour Mlle de Vandy, je lui ai lu l’endroit de votre lettre où vous me mandez la manière dont vous feriez galanterie si vous étiez une dame : elle en a extrêmement ri. Enfin elle m’a prié de vous le mander et qu’elle était toujours votre servante.14

C’est donc bel et bien un réseau de soutien épistolaire féminin qui se forme et s’organise autour de l’exilé, dont il est d’abord question de conjurer la mort sociale. En retour, les épistolières aménagent habilement un régime de publicité acceptable car calqué sur des pratiques plébiscitées par la société honnête. Le groupe se porte garant de l’activité d’écriture individuelle, suspecte dans un domaine où les femmes ne sont pas les bienvenues. La circulation intense des lettres désigne un autre régime de publication, dont les produits sont privés certes du privilège officiel mais appréciés à leur juste valeur par une secte d’amateurs éclairés. Si Bussy est courtisé par les épistolières, c’est moins du fait de son aura galante que de sa capacité à « distribuer » leur production sous un label indépendant.



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