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Publier sans imprimer : le défi des épistolières

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Nathalie FREIDEL

Université Wilfrid Laurier

Les études récentes sur l’épistolarité féminine au XVIIe siècle l’ont amplement démontré : le consensus autour de la lettre comme « genre féminin » est en trompe-l’œil dans une période où très peu de correspondances de femmes sont publiées en réalité, où ce sont des épistoliers que l’on consacre et canonise (Balzac, Voiture, Bussy-Rabutin) et où, comme l’ont fait remarquer Elizabeth Goldsmith et Colette Winn1, l’art épistolaire, tel qu’il est défini et illustré par les manuels, est garanti exclusivement par une autorité masculine. Pourtant, lorsque la correspondance de Bussy est publiée en 1697, par les soins de sa fille, Louise-Françoise de Coligny, et de Bouhours2, on y découvre que ses correspondants sont pour beaucoup des correspondantes, dont les lettres sont incluses parmi celles de Bussy. Ce choix des premiers éditeurs, peu banal compte tenu de la réticence à imprimer qui caractérise la production épistolaire féminine, s’explique par la nature des manuscrits laissés par Bussy, qui prenait copie de sa correspondance (envoyée et reçue) pour composer la suite de ses mémoires3. Cette édition permet en particulier à ses contemporains de découvrir les premières lettres imprimées de Sévigné4. Certes, les épistolières demeurent dans l’anonymat car, comme le constate Ludovic Lalanne à propos des premières éditions françaises de cette correspondance : « on se borne presque partout à indiquer les noms propres par des initiales, qui même quelquefois sont fausses5 ». Il faut donc attendre l’édition en 6 tomes établie par ce dernier au tournant du XIXe siècle pour que la contribution des femmes à ce corpus épistolaire apparaisse dans toute son ampleur6. Alors qu’on ne s’est penché jusqu’ici qu’isolément sur le cas de quelques contributrices jugées plus douées ou plus intéressantes7, nous nous proposons d’observer la dynamique à l’œuvre dans le groupe des épistolières recrutées par Bussy dès les débuts de son exil, à partir de 1666.

Il s’agira tout d’abord de souligner l’importance d’un groupe féminin qui tend à s’organiser en réseau de soutien. Contrairement à une tradition critique qui a fait de ces échanges « une frivole conversation mondaine avec quelques dames8 », nous voyons dans l’entreprise qui consiste à transmettre les nouvelles de Paris et de la cour, voire à œuvrer en sous-main pour le retour en grâce de Bussy, une intéressante formule collaborative et clandestine, venant illustrer l’intuition de Janet Altman selon laquelle le XVIIe siècle verrait la constitution d’un « underground » de l’épistolaire féminin9. Nous nous intéresserons ensuite à la prise en compte de la littérarité de l’épistolaire dans le contrat implicite qui se met en place entre Bussy et ses correspondantes. À côté de la dimension pragmatique et informative, la fréquence des remarques et des commentaires stylistiques, ainsi que l’échange de nombreuses pièces en prose et en vers, font du commerce de lettres un véritable atelier d’écriture. A priori, le partenariat avec un homme que sa réputation de libertin n’a pas empêché d’entrer à l’Académie, sert les ambitions d’écrivaines amateures, manifestement conscientes de participer au travail d’archivage et de catalogage, par Bussy, d’ego-documents à léguer à la postérité10. Mais non contentes de contribuer à l’entreprise apologétique, les épistolières11 se montrent disposées à poursuivre l’œuvre de fiction scandaleuse, en donnant une suite au récit des amours malheureuses avec Mme de Montglas dont le premier épisode, « Histoire de Bussy et de Bélise », venait clore l’Histoire amoureuse des Gaules12.



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