Читать книгу " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle - Группа авторов - Страница 5

AVANT-PROPOS

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Mathilde BOMBART (Université Jean Moulin Lyon 3)

Sylvain CORNIC (Université Jean Moulin Lyon 3)

Edwige KELLER-RAHBÉ (Université Lumière Lyon 2)

Michèle ROSELLINI (IHRIM-ENS de Lyon)

Le XVIIe siècle est marqué en France par une expansion sans précédent du marché du livre. Si certains auteurs s’inquiètent d’un développement qui multiplie les livres et élargit le lectorat en transformant en profondeur le rapport aux savoirs et à la culture écrite, la librairie gagne en légitimité en même temps que le monde des lettres se constitue en champ social. Cette expansion touche tous les centres de production et de diffusion. Lyon, notamment, qui s’est doté au siècle précédent d’imprimeries prestigieuses, joue à cet égard un rôle déterminant au point de s’imposer comme deuxième place éditoriale après Paris. Le cadre lyonnais, particulièrement riche en institutions et manifestations dédiées à l’histoire du livre, de l’imprimerie et de l’édition1, était ainsi tout indiqué pour accueillir un congrès international interrogeant les liens qui se nouent en France à cette période entre littérature, livre et librairie. Proposé à la North American Society for Seventeenth-Century French Literature (NASSCFL), société nord-américaine réunissant les spécialistes du XVIIe siècle français anglophones et francophones du monde entier, le projet a donné lieu à son 47e congrès annuel dont sont ici rassemblés les actes2.

Les questions que ce projet a permis d’ouvrir sont novatrices, à la fois dans les études dix-septiémistes, qui ont longtemps été curieusement réfractaires à l’approche des œuvres par le livre, et dans un contexte de recherche locale où des spécialistes des XVIIe et XVIIIe siècles œuvrent de longue date à l’exploration du domaine de l’écrit et de l’imprimé dans tous ses aspects, en prêtant une attention particulière au livre lyonnais3. Soutenu par l’Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités (IHRIM-UMR 5317), le congrès s’est tenu sur quatre sites différents : ENS de Lyon, Université Lumière Lyon 2, Université Jean Moulin Lyon 3, École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (ENSSIB) qui nous ont apporté une aide importante, tant financière que logistique4.

L’objectif du congrès était d’observer les interactions politiques, économiques et culturelles entre le monde du livre et la création littéraire et d’interroger les représentations qui s’y attachent. Trois grands axes d’études ont structuré la réflexion et fédéré les questionnements des contributeurs et contributrices lors de ces quatre journées (21-24 juin 2017) : les supports de la publication, ses acteurs, et la législation sur le livre avec, plus largement, la question des rapports des livres aux pouvoirs civils et politiques du temps.

Portées par l’accès direct au patrimoine écrit et imprimé de la ville de Lyon qu’elles ont favorisé, ces journées ont connu un succès qui a dépassé nos attentes et confirmé l’intérêt de notre communauté scientifique pour le domaine de recherche que la manifestation mettait en lumière :

 un comité scientifique international de chercheurs et chercheuses mondialement reconnu.es ;

 127 intervenants et intervenantes, dont 53 internationaux en provenance d’Italie, d’Allemagne, de Suisse, de Hollande, du Royaume-Uni, de Pologne, de Russie, du Canada et des États-Unis ;

 deux événements in situ destinés à faire découvrir la richesse du patrimoine du livre à Lyon : la présentation de livres anciens issus des fonds de la Bibliothèque Diderot de Lyon par Claire Giordanengo, responsable du département Patrimoine et conservation ; la visite du Musée de l’Imprimerie et de la Communication Graphique ;

 deux conférences ouvertes au grand public dans des lieux d’accueil prestigieux impliqués dans le domaine, l’une prononcée par l’historien qui a ouvert en France la voie d’une histoire du livre au sens plein et large, incluant notamment celle des pratiques sociales qui lui sont associées, Roger Chartier, Professeur au Collège de France et à l’Université de Pennsylvanie (Bibliothèque municipale de Lyon, 22 juin 20175), l’autre par Jean-Dominique Mellot, historien du livre, conservateur général à la Bibliothèque nationale de France et chargé de conférences en histoire du livre à l’École pratique des hautes études (Archives départementales et métropolitaines du Rhône, 24 juin 20176).

La prise en compte de la matérialité du livre, non seulement comme support configurant le sens des écrits, mais aussi comme ensemble signifiant en soi, est au cœur du renouvellement épistémologique qu’ambitionnait de promouvoir le congrès. Nous avons souhaité que soit manifesté ce parti pris à travers l’architecture du présent volume. Il s’y dessine un parcours nettement orienté : des modes de publication ancrés dans leur contexte d’origine (I. La fabrique du livre) aux modes de diffusion actuels par le numérique (IV. Lectures numériques). La fabrique du livre se prolonge par une enquête sur ses usages dans un contexte social historiquement situé (II. L’imprimé dans la société) où il produit aussi des formes d’imaginaire spécifiques (III. L’imaginaire du livre).

L’objet de la première partie est le livre saisi dans son processus d’élaboration et de diffusion, de l’atelier aux différents circuits de la librairie. À cet égard, le livre mérite d’être envisagé à partir de son état manuscrit (1. Usages du manuscrit) et de son iconographie, très présente dans certains genres littéraires en raison d’enjeux culturels et politiques (2. Le livre illustré). De qui le livre porte-t-il la marque ? Dans la chaîne de fabrication, les stratégies d’appropriation des différents co-élaborateurs de l’œuvre peuvent se révéler complémentaires ou conflictuelles (3. Pratiques éditoriales).

Ces fortes tensions autour du livre témoignent de son importance sociale : telle est la perspective de la deuxième partie. Le collectif ne pouvait négliger Lyon en tant que centre majeur de l’édition. Outre ce que l’imprimé lyonnais doit à sa floraison renaissante, quels sont les traits spécifiques de son évolution au XVIIe siècle ? Et quelles sont les modalités d’exercice des métiers du livre en cette période (1. Le livre à Lyon) ? Il faut conserver à l’esprit leur encadrement sous le contrôle des instances des pouvoirs civils et monarchiques, mais aussi le poids des luttes d’influence et des clientèles dans le monde de l’édition, qui se manifeste, par exemple, dans la production de l’actualité (2. Livres et pouvoirs) et les formes prises par le renouvellement des savoirs théoriques et pratiques (3. Savoirs du livre, savoir par le livre).

L’expansion du marché de la librairie a pu susciter de l’adhésion ou, au contraire, de la résistance, déterminant un imaginaire du livre qu’explore la troisième partie. Les résistances s’expriment par des fictions critiques qui prennent l’allure de bibliothèques imaginaires et de représentations satiriques du monde de l’édition. Quant à la présence croissante dans la société des ouvrages imprimés, elle se manifeste par leur intense circulation dans les sphères mondaines et/ou érudites, ainsi que par la pratique élargie du commentaire dont témoignent les correspondances, autre lieu d’appropriation imaginaire du livre.

Tout autre est l’imagination qui dynamise les entreprises éditoriales « 2.0 » dont rend compte la quatrième et dernière partie. Cette partie ne restitue que très partiellement la richesse des apports du congrès dans le domaine des humanités numériques puisqu’il s’est agi, pour la plupart des contributeurs et contributrices, de présenter des sites et des bases de données, souvent en cours de construction. En s’emparant des corpus textuels du XVIIe siècle, ils apportaient la preuve de la vitalité de ces nouvelles pratiques éditoriales. Temps fort de la réflexion scientifique, ces approches numériques disent beaucoup d’une modification de nos rapports aux textes et de nos réflexes méthodologiques qui a animé l’ensemble du congrès.

La priorité donnée au livre et à la librairie à cette occasion produit d’ores et déjà ses effets dans nos pratiques de littéraires tant sur le plan scientifique que pédagogique. Dans sa conférence, Jean-Dominique Mellot n’a pas hésité à qualifier le congrès de « moment historiographique » dans la mesure où le « postulat de symbiose » entre les historiens de la littérature et les historiens du livre était, selon lui, « proprement impensable il y a quelques décennies » encore. Ces propos formalisent une tendance de la recherche en vigueur depuis quelques années dans les études littéraires d’Ancien Régime. Ils désignent un nouveau courant de critique littéraire, ainsi que de nouvelles frontières, expansives, à la catégorie de « littérature » et aux objets, comme aux méthodes, dont les études littéraires peuvent se saisir. C’est à cette dynamique que ce volume d’actes, dans le sillage du congrès dont il est issu, entend donner visibilité, cohésion et légitimité.



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