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VII. — PÈRE ET FILLE,

Table des matières

Dans un obscur et profond souterrain de la forteresse de Cinola, se trouvait assis, sur un bloc de pierre grise, Guido de Bonello. Le prisonnier était courbé, et sa tête touchait presque à ses genoux. Ses yeux regardaient le sol, sur lequel tombait parfois une larme, jusqu’à ce que la source en fut tarie. Ses mains enchaînées pendaient jusqu’à terre, vraisemblablement entraînées par le poids des fers.

Bonello ne manquait pas de courage, et regardait la mort en face sans trembler. Quand, parfois, de petites lueurs pénétraient par l’étroite lucarne et tombaient sur son visage, on pouvait s’apercevoir que son esprit errant au loin ne songeait guère à sa propre destinée, mais à sa fille, encore si jeune, et qui allait se trouver seule et sans appui. En ce moment, un bruit de pas se fit entendre. Il releva la tête, écoutant avec attention s’il ne reconnaîtrait pas la démarche légère d’une femme. La clef grinça dans la serrure, la porte s’ouvrit, et livra passage au guichetier en chef, suivi de l’abbé Conrad et de Lanzo.

— Voilà un prêtre, dit le geôlier d’un ton bourru. Faites vite, qu’on puisse enfin vous pendre! Si on agissait ainsi envers tous les coquins, ma foi! je donnerais ma démission de porte-clefs.

— Je suis tout à votre service, mon bon ami, dit le prélat, en s’approchant avec bienveillance du prisonnier.

— Merci, mon père, répliqua Guido; mais vous vous trompez fort, si vous croyez trouver ici un criminel!.....

— Bien parlé, cousin, s’écria le fou. Il est d’usage aujourd’hui de pendre les honnêtes gens, et de laisser courir les coquins. Allons donc, cousin, par le seul fait que tu es un trop tendre père, et que tu émeus jusqu’au cœur des fous, tu deviens digne de la potence! Dieu sait que la pitié seule a pu me décider à te chercher un confesseur.

Sans faire attention au babil de Lanzo, le condamné regardait attentivement l’abbé, qui semblait surpris et affecté de voir Bonello en cet état.

— Vous n’avez point devant vous un criminel endurci, dit Bonello, devinant les pensées de l’abbé. Tout mon crime consiste à avoir tiré l’épée contre la domination sanguinaire de l’empereur. Ce qui vous a amené dans le camp de Barberousse, ce n’est certes pas le désir d’encourager les erreurs et les débordements du schismatique. Vous n’êtes pas un flatteur, vous ne vous êtes pas vendu au tyran, cela se voit clairement dans votre œil limpide et pieux! Aussi, parce que je suis un pécheur, je saisis avec joie l’appui de votre bras pour mon dernier voyage. Mais accordez-moi d’abord les secours spirituels.

Un bruit de pas de chevaux venant de la cour interrompit le prisonnier. On entendit marcher vers le cachot, et une légère apparition couverte de voiles, entra dans le souterrain. La fille de Bonello se trouvait dans ses bras.

Piétro Niger se tenait à l’entrée, et ce n’était pas sans émotion qu’il regardait la scène qu’il, avait sous les yeux.

Le condamné, embrassant son enfant, pleurait et sanglottait. La pensée de tenir dans ses bras, sur le bord de la tombe, tout ce qu’il aimait, brisait son cœur. La contenance de la noble jeune fille était plus calme. Elle ne se laissait pas aller aux plaintes et aux lamentations. Sa tête demeura un moment penchée sur la poitrine de son père, mais bientôt elle se releva, et écartant les cheveux gris qui couvrait son visage, elle le regarda avec amour.

— Mon père! dit elle. Elle n’en put dire davantage, mais le ton dont ces-deux mots furent prononcés laissait deviner tout ce que ressentait son cœur en ce terrible moment. Elle s’était dégagée des bras de Bonello, et regardait autour d’elle.

Les femmes montrent souvent dans les circonstances difficiles une force étonnante et une énergie sans égale. Chassant loin d’elle la douleur, et maîtrisant toute impression pénible, elle ne songea qu’à adoucir les derniers moments du condamné.

— Otez, je vous prie, les lourdes chaînes qui le font tant souffrir, et conduisez-le dans un réduit moins horrible que celui-ci.

Le sbire fit entendre un sourd murmure:

— Oui, mais je n’ai pas envie de me faire pendre à sa place!

— Oh! dit-elle d’une douce voix, ce n’est pas un crime d’adoucir les dernières heures d’un condamné.

Elle saisit la main du guichetier, et y vida le contenu d’une petite bourse de soie. La vue de l’or toucha le cœur de cet homme, il sourit, s’inclina, et marmotta des excuses.

— Noble demoiselle...... trop aimable...... Vous avez raison, il serait inhumain de tourmenter sans nécessité ce pauvre diable. Il y a là-haut dans la tour une chambre vide, dont la solidité défie toute tentative d’évasion. C’est là que je veux mener votre père. Quant aux chaînes, je les ôte dès maintenant, car il ne peut, d’ailleurs, les conserver pour le dernier voyage.

Et, prenant une clef dans son trousseau, les chaînes de Guido tombèrent sur le sol.

— Le capitaine Hesso pourrait faire la grimace, s’il voyait tout ceci, mais il ne reviendra pas aujourd’ hui, et demain tout sera fini.

Ces dernières paroles brisèrent le cœur de la jeune fille. Le fou remarqua sa douleur sur son visage rougissant, et son cœur en fut touché.

— Oui, dit-il, demain tout sera probablement fini. Du reste, cousin geôlier, il me suffirait de dire un seul mot à monseigneur le duc, pour te faire mentir. J’ai déjà une fois coupé le nœud de la corde; je pourrais encore en faire autant, si je le jugeais à propos.

— Je te dois des remercîments, mon ami, dit Bonello en pressant la main du fou. Sans ta bonne lame, sans ton cœur meilleur encore, je ne compterais plus parmi les vivants.

— Bah! ce n’était qu’un acte de folie, mon doux seigneur; mais voulez-vous faire quelque chose d’habile? envoyez ce révérend Père à l’empereur, afin que Sa Majesté daigne ouvrir votre cage.

— Si vous avez accès à la Cour, révérend Père, intercédez pour moi! Si l’empereur m’accorde la vie, je la consacrerai tout entière à protéger et à élever mon enfant. Jamais je n’ai fait d’opposition à la suprématie impériale. Ma main et mon cœur n’étaient armés que contre la tyrannie!

— Sire chevalier, je ferai avec joie tout ce qui sera en mon pouvoir. Une mission m’appelle sans retard auprès de l’empereur. Dieu veuille que je trouve son esprit bien disposé ! Je ne tarderai pas à vous annoncer moi-même le résultat de mes efforts.

Et le prélat, suivi de Lanzo, reprit la route du camp.

Le geôlier conduisit ensuite Guido, sa fille et Piétro Niger dans une chambre haute et bien éclairée de la tour.

— Si vous avez un désir à exprimer, dit-il, ouvrez cette fenêtre, je suis toujours à proximité.

Il attendit un instant, car il pensait qu’on allait lui adresser quelque demande. Mais comme tous gardaient le silence, il sortit en fermant soigneusement la porte. Les voyageurs avaient évidemment besoin de rafraîchissements, le geôlier lui-même semblait l’avoir compris; mais le terrible destin qui pesait sur la tête de Bonello, ne permettait pas à sa fille de penser aux besoins du corps. Chaque minute augmentait son inquiétude, car chaque instant rapprochait son père de l’heure du supplice. Pour ne pas affliger les courts moments qui lui restaient à vivre, elle cherchait à cacher sa propre douleur. Chaque mouvement, chaque regard de la jeune fille trahissait sa douleur intérieure.

Piétro était pâle et souffrant. Il avait été blessé dans cette malheureuse bataille. Mais le fier Milanais souffrait davantage du péril de sa patrie que de sa blessure encore ouverte. Il se tenait à la fenêtre et considérait le camp des Allemands. Tout entier à sa contemplation, il oublia bientôt l’infortuné Guido et sa fille.

— Je vous attendais depuis deux jours, mon enfant! Le peu de sûreté des routes vous aura sans doute retardée?

— Mais non, père; la blessure de Piétro ne permettait pas de voyager plus promptement.

— Vous n’avez pas été inquiétés?

— Non, au contraire, dit-elle, partout les chevaliers allemands nous ont traités avec égards.

— Etranges gens que ces Allemands! dit Guido. J’ai déjà admiré leur retenue et leur politesse envers les dames..... Mais il suffisait que tu parusses dans le camp, Hermengarde, pour que plusieurs vaillants chevaliers t’offrissent leurs services!

— Gardons-nous, toutefois, de compter sur cet appui chevaleresque, dit Piétro, dont la haine pour les Allemands ne pouvait souffrir qu’on les louât.

— Rendre justice à l’ennemi, reprit Bonello, n’est pas faire preuve de faiblesse ou de trahison.

— Non; mais reconnaître des vertus chez son ennemi, cela n’est pas d’un bon patriote, reprit Niger.

Le condamné connaissait la haine aveugle de Piétro et prévoyait sa réponse. Il ne lui fut pas difficile de démontrer, d’après les faits, l’injustice de ce reproche. Pendant qu’ils discutaient ainsi, Hermengarde s’approcha de la fenêtre, où elle donna un libre cours à ses larmes longtemps contenues. La potence s’élevait devant ses yeux; elle pouvait voir le bourreau qui y travaillait encore. Détournant ses regards, elle leva les yeux au ciel qui resplendissait pur et limpide au-dessus du paysage. Elle songea à la démarche du pieux abbé, et aussitôt ses mains se joignirent. Dans la foi de son cœur pieux, elle implorait Dieu et la sainte Vierge pour son malheureux père.

Ses larmes cessèrent de couler, et, devenue plus calme:

. — Certainement, mon père, l’empereur vous pardonnera. Le Tout-Puissant connaît votre innocence, il ne permettra pas que vous périssiez de la mort des criminels.

— Espérons, mon enfant!

— Moi je n’espère rien, disait Niger. Le cœur tyrannique de Barberousse ne connaît ni la bienveillance ni la justice..... Hermengarde, résignez-vous, ne vous bercez pas d’un espoir chimérique.

— Ah! Piétro, dit-elle en se détournant.

— Soyez fière de la mort de votre père, il meurt pour la liberté de la patrie!

— Assez! assez! interrompit Bonello. Une jeune fille de quatorze ans à peine ne peut comprendre ce langage héroïque, cher Pietro! Mais voyons, si mes heures étaient comptées, s’il me fallait vous quitter, (et Guido fit appel à toute sa force pour conserver son calme), c’est à vous, Piétro, qu’il appartiendra de remplacer, autant que possible, le pauvre père. Vous connaissez mon désir; recevez ici la main d’Hermengarde, en attendant que le prêtre vous unisse pour toujours.

Des larmes vinrent mouiller les yeux du condamné et coulèrent sur sa barbe grise, tandis qu’il prenait la main d’Hermengarde pour la joindre à celle de Piétro. Mais les paroles de Niger avait trop profondément déchiré le cœur d’Hermengarde; elle se tourna du côté de son père, lui prit la main, se jeta à son cou et pleura amèrement.

Barberousse - L'église au XIIe siècle

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