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X. — LE TENTATEUR.

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Frédéric attendait, avec une impatience fiévreuse, le retour de Dassel, pour apprendre le résultat de ses efforts, Il avait mûrement pesé le plan de Reinald; ce plan lui convenait, et paraissait tellement favorable à ses projets, que la seule supposition de voir le duc Henri opposé au divorce, et contrarier par là ses desseins, le troublait singulièrement. Un chambellan annonça l’arrivée de Henri. Frédéric dissimula les pensées qui l’agitaient, et ce fut en souriant qu’il tendit la main au duc.

— Etes-vous donc enfin satisfait de nous, cher duc? dit-il en le priant de s’asseoir.

— Certes, il faut bien que je le sois, répondit Henri qui semblait triste, inquiet et chagrin.

— Les princes vont entrer dans quelques instants et le conseil ouvrira la séance. Il s’agit de décider quelles mesures nous prendrons contre Milan. Cette ville fière et rebelle sentira tout le poids de notre colère. Nous sommes presque résolu à anéantir ce foyer de révolte, et nous espérons nous trouver d’accord sur ce point avec votre Seigneurie.

Le duc ne répondit rien, et ses regards demeurèrent fixés sur le sol.

— Seriez-vous d’un avis différent? dit Barberousse. Mon plan est le résultat de mûres réflexions, mais dites-moi le vôtre, je le comparerai au mien.

— Comme vous voudrez, Sire, répliqua Henri.

Barberousse lança un coup d’œil à Reinald, qui y répondit par un regard surpris.

— Votre seigneurie me paraît mécontente et soucieuse.... Pardonnez-moi cette observation, dit Frédéric avec abandon. J’espère que ce ne sont pas de mauvaises nouvelles reçues de votre duché, ou des contrariétés plus intimes qui vous attristent?

— Des chagrins domestiques, Sire, dit Reinald.

— Comment cela?

Dassel vit dans le silence de Henri une invitation à exposer l’affaire, et il commença à peindre, sous de sombres couleurs et avec une habileté calculée, le malheur du duc qui, avec toute sa puissance et toute sa renommée, n’avait point de postérité à laquelle il pût léguer l’illustration de ses hauts faits personnels.

— Ces tristes circonstances ont fait l’objet de notre entretien. Votre Majesté trouvera donc tout naturel cet abattement de la part d’un homme, qui ne pense pas seulement au présent, mais qui travaille surtout pour l’avenir.

— Réellement, j’en suis tout affligé, dit Barberousse, mais qu’y faire? Clémence, pourtant, ne paraît pas destinée à réaliser le vœu de votre Seigneurie...

— Pardonnez à ma hardiesse, si j’ose faire allusion à la conduite de Votre Majesté en des circonstances identiques, dit Reinald.

— Soit! mais chaque époux ne peut, en semblable circonstance, agir comme je l’ai fait, dit Frédéric.

Cette observation devait exciter l’orgueil du duc de Saxe, habitué à regarder Barberousse comme un empêchement à sa grandeur et à sa puissance personnelles.

— Il faut que l’Empereur soit éclairé sur la situation, répondit Henri en relevant fièrement la tête. Je dois vous dire, qu’en pareil cas Votre Majesté pourrait attendre des égards réciproques de la part du duc.

— Surtout du duc de Saxe et de Bavière, qui ne porte pas en vain le fier nom de Lion. Mais, reprit-il en levant la tête, les circonstances sont sérieuses et difficiles, et bien que l’opportunité de la séparation nous paraisse évidente, il n’est pas en notre pouvoir de la prononcer. Sa Sainteté le pape Victor possède seul ce privilége.

Les dernières paroles de Frédéric étaient sagement calculées. Il fallait qu’Henri comprît bien que, seul, le pape de Frédéric, et encore sur l’ordre impérial, pouvait prononcer la rupture de son mariage. Frédéric voulait s’assurer si le duc abandonnerait Alexandre III.

Le prince saxon savait que le pape Alexandre ne prononcerait jamais la rupture d’une union régulièrement contractée. Pendant qu’il était occupé de cette pensée, le regard de Barberousse se fixa sur lui. Le silence du Lion était déjà d’un heureux augure, car Henri avait jusqu’alors, même contre Frédéric, soutenu la légitimité d’Alexandre.

— Nous ne doutons nullement, reprit Barberousse après un court silence, que Sa Sainteté, sur nos observations, ne se laisse émouvoir.

— Je désirerais l’intervention de Votre Majesté, dit le Lion, afin que cette affaire pût être menée aussi rapidement que possible.

— Comme nous nous sommes trouvés dans le même cas, nous connaissons les raisons à faire valoir pour en accélérer la solution, dit le monarque. Que la duchesse ne sache rien d’avance.... A quoi bon? Les pleurs d’une femme ne peuvent changer ce qui doit arriver.

Le chancelier, voyant que tout allait à souhait, s’esquiva pour aller à la recherche de l’abbé Conrad et de sa protégée. Il tenait à faire réussir la demande d’Hermengarde, non par compassion, mais pour assurer le triomphe de son infàme politique. Le religieux se trouvait dans le salon du comte, qui faisait partie de la tente impériale. Chacun des regards de la jeune fille cherchait le chancelier, dont elle attendait le retour avec impatience, car elle espérait que ses larmes et ses prières pourraient amollir le cœur de Barberousse. L’abbé cherchait à la consoler, mais sans y réussir. Hermengarde s’était assise dans un coin de l’appartement, portant ses yeux tantôt vers l’entrée, tantôt vers le ciel. Le moine avait ouvert son psautier et priait. Enfin Reinald apparut; souriant à l’idée de son succès auprès du duc Henri, il s’approcha de la fille de Bonello, en lui faisant entendre de douces paroles.

— Pardonnez-moi, noble demoiselle, si je vous ai fait attendre. En pareille occurrence l’opportunité est décisive. Or, le moment opportun est venu.

Ces paroles éveillèrent l’espoir de la jeune fille, mais la pensée qu’elle était si près de l’instant qui allait décider de la vie ou de la mort de son père lui serra le cœur, et elle resta pâle et silencieuse.

— Soyez rassurée.... Tout va bien.... N’ayez nulle crainte, quand vous vous trouverez devant l’Empereur. Ne cherchez point longuement vos paroles, parlez selon l’inspiration de votre cœur. En de telles circonstances, ce langage est toujours le meilleur.

— Avez-vous quelque espoir? demanda l’abbé Conrad, qui cherchait à lire sur les traits de l’homme d’Etat.

— D’excellentes espérances, mon cher abbé. L’Empereur, j’en suis convaincu, fera grâce.... Mais hâtez-vous! Quand on viendra vous dire d’entrer, ne vous faites pas attendre.

Il dit encore quelques mots pour consoler la jeune fille et disparut. Pendant se temps, Frédéric se dirigeait vers la salle du conseil. Les seigneurs s’y tenaient en cercle, discutant le siége et le sort futur de Milan. Obitzo, le chef des troupes auxiliaires d’Italie, parlait avec éloquence contre la tyrannie de Milan, et insistait sur la nécessité de lui faire subir le traitement qu’elle avait infligé à Lodi. Le voisin d’Obitzo, revêtu des habits épiscopaux, et l’épée au côté, écoutait à peine les observations de l’Italien. Il regardait vers la portière de la chambre impériale, attendant avec inquiétude l’arrivée de l’Empereur. C’était l’évêque Géro de Halberstadt, élevé à ce siége par la toute-puissante volonté de Barberousse, en dépit de tous les règlements, après l’expulsion de l’évêque Ulrich. Ce digne prélat avait trouvé un refuge auprès de l’archevêque de Salzbourg, et comme Géro savait qu’un envoyé de l’archevêque était arrivé, il craignait de perdre ses prébendes. Les évêques d’Osnabrück et de Minden, créatures impériales, parlèrent aussi dans le sens de la guerre. Le comte palatin Otto de Wittelsbach, peu partisan des longs discours, trouvait la harangue d’Obitzo bien prolixe, et commençait à se mettre en colère. On entendit en ce moment la puissante voix d’Henri-le-Lion, le rideau fut écarté, et l’Empereur entra accompagné des ducs de Saxe, de Bohême et de Rottembourg. En dernier lieu venait Reinald. Les assistants s’inclinèrent devant l’Empereur, qui prit place sur un siége préparé d’avance, pendant que les seigneurs s’asseyaient sur d’autres siéges placés en demi-cercle. A son entrée, le chancelier avait quelque peu relevé le rideau, de façon à laisser une légère ouverture. Derrière cette ouverture, se tenait un serviteur, qui attendait, immobile, les ordres du chancelier.

— D’importants motifs nous décident, dit Barberousse, à ne pas attendre l’arrivée du duc d’Autriche, et à nous diriger, dès demain, sur Milan. Avec l’aide de Dieu, il sera donné à la bravoure allemande de châtier les crimes que cette ville a commis contre le droit, contre la suprématie du peuple allemand, et contre la majesté de notre personne. Dans la connaissance où ils sont de leur culpabilité, les rebelles ne s’attendent pas à une lutte comme le prescrirait la générosité, mais à une guerre d’extermination. Nous désirons savoir si les vues de nos fidèles alliés sont d’accord avec ce qu’attendent nos adversaires. Nous vous posons donc cette question: La guerre doit-elle suivre son cours avec une inexorable justice, ou l’ennemi mérite-t-il un traitement plus doux, et devons-nous respecter les biens et les personnes de nos adversaires?

Henri-le-Lion à qui appartenait le droit de parler le premier, réfléchit un moment. Son esprit chevaleresque n’était pas sympathique à cette guerre à outrance que proposait l’Empereur. On lisait une pensée identique sur les traits du duc de Rottembourg, et du duc palatin Otto. Les évêques schismatiques, au contraire, qui avaient parfaitement compris que Barberousse voulait la destruction de Milan, baissèrent la tête en signe d’assentiment. Ils avaient peine à attendre que le moment du vote arrivât, pour faire preuve de leur obéissance. Obitzo s’agitait impatiemment sur son siége, et ne pouvait comprendre l’hésitation du duc de Saxe.

— Je suis venu avec mes Saxons et mes Bavarois pour combattre l’ennemi, dit le Lion, pour châtier les rebelles et les soumettre à votre sceptre. Mais tout cela peut se faire sans dévaster ce beau pays. A quoi bon arracher les vignes, déraciner les arbres, anéantir les moissons, brûler les villages et les hameaux? Je ne suis pas partisan de la cruauté.

— En d’autres circonstances, nous partagerions votre manière de voir, cher duc, répondit Frédéric, mais nous croyons qu’il faut traiter Milan comme Milan a traité les autres.

Le margrave Obitzo ne put garder plus longtemps le silence.

— Pourquoi user de modération envers la dévastatrice de toute la Lombardie? Milan a versé des flots de sang innocent, et n’a laissé à ses victimes le choix qu’entre la mort et l’esclavage! Oui, s’écria-t-il, Milan a cent fois mérité la destruction. Et ce que j’exprime ici, messeigneurs, ce n’est pas seulement mon opinion personnelle, c’est le sentiment de toute la Lombardie.

Obitzo était en bonne voie, il en eût dit bien d’autres, mais un regard de Frédéric lui imposa silence.

— Vous n’avez rien chargé, margrave, dit Barberousse d’un air gracieux, mais vous avez parlé avec un peu trop de chaleur. Quel est votre avis, duc? demanda-t-il à Rottembourg.

Ce prince tenait à se concilier la bienveillance de l’Empereur. Il trouvait intérieurement que la destruction de Milan était un châtiment trop sévère, mais en voyant le regard de l’Empereur fixé sur lui, il se prononça dans le sens réclamé par le monarque.

Le duc Diepold de Bohême opina également pour le pillage et la destruction de l’ennemi.

— Et vous, comte palatin? demanda encore Barberousse.

— Je partage l’avis du duc Henri, répondit Wittelsbach avec une mâle fierté ; il ne faut pas que l’ennemi puisse dire que nous avons agi comme des païens.

— Si vous craignez de mécontenter l’ennemi, cher comte, il vous faudra traiter plus doucement les pauvres diables au fort du combat.

Puis il continua à recueillir les voix. Tous, comme on devait s’y attendre, se prononcèrent dans le sens de la volonté impériale.

Le duc de Saxe laissa tomber avec bruit sa lourde épée, regarda avec colère les vils courtisans, et se tira la barbe, ce qui était chez lui un signe de colère. Frédéric se hâta de chercher à calmer Henri.

— Vous n’êtes pas tenu de vous conformer aux décisions du conseil de guerre, mon cher duc; nous nous en rapportons à vous pour ce qui est de votre conduite personnelle à l’égard de l’ennemi..... Mais, ajouta Barberousse, qu’on fasse savoir à l’abbé de Saint-Augustin, dont le monastère est voisin de Milan, qu’il ait à nous prier de bien vouloir épargner le couvent et ses dépendances. Ces moines sont les adversaires déterminés de Sa Sainteté le pape Victor, et les partisans décidés du cardinal Roland.

Henri ouvrait déjà la bouche pour défendre l’abbé, et exposer que des discussions ecclésiastiques ne sont pas un motif pour détruire un monastère, mais il pensa à la rupture de son mariage, à l’impossibilité de l’obtenir d’Alexandre III, et il se tut.

— Ces moines sont les plus dangereux ennemis de Votre Majesté, dit Obitzo. Ils soulèvent continuellement le peuple, et attisent le feu de la révolte, sous prétexte que Votre Altesse dépouille l’Eglise de sa liberté, et veut tout soumettre à sa volonté.

Ici Reinald fit un signe à son serviteur, qui se hâta de disparaître.

— Autant que je sache, dit l’évêque Werner de Minden, qui ne laissait passer aucune occasion de faire preuve d’érudition, ces moines suivent la règle de Saint-Augustin. Or, cette règle défend aux frères, en termes très-énergiques, livre II, chap. 12, de prendre part aux affaires terrestres, et leur recommande l’étude et la vie contemplative.

— Pardonnez, seigneur évêque, dit en l’interrompant Barberousse, qui redoutait déjà une dissertation savante, la règle de ces moines n’a rien à voir dans la question qui nous occupe.

— Certes, dit avec soumission le prélat, la règle n’a rien à voir avec la rébellion; c’est pourquoi je souscris de tout mon cœur au châtiment de ces Augustins.

— Il me semble, dit l’évêque Géro de Halberstadt, que ces moines ont d’autant plus mérité d’être châtiés, qu’ils ne veulent pas reconnaître le pape que leur indique l’Empereur, auquel, d’après le droit et l’usage, appartient la nomination de l’évêque de Rome. Pour ce motif seul, les réguliers de Saint-Augustin méritent d’être traités en rebelles et en révoltés.

Personne ne parla en faveur des pauvres moines, et l’on décida que le couvent serait pillé.

Barberousse achevait de remercier les princes et les prélats de leurs sages conseils, quand le rideau de soie qui fermait la tente s’ouvrit au large. On put voir alors la noble stature de l’abbé Conrad, qui tenait par la main la tremblante Hermengarde, une enfant hésitante à la main d’un vieillard à cheveux blancs. Le filleul de l’Empereur, Erwin, les suivait. Le jeune homme, touché du malheur de cette belle jeune fille, était accouru pour offrir ses services. La position du comte auprès de Barberousse lui permit de suivre la malheureuse dans la salle du conseil, et il y prit la noble résolution de joindre ses prières à celles de l’infortunée Hermengarde.

L’Empereur parut surpris et mécontent. La présence de l’abbé et de la jeune fille lui fit immédiatement comprendre le but que l’on se proposait. De sombres nuages, sinistre présage! s’amoncelèrent aussitôt sur son front. Les seigneurs présents ne pouvaient s’empêcher de prendre part à la douleur d’Hermengarde.

— Pardonnez, Sire, dit l’abbé après s’être profondément incliné devant l’Empereur et les princes, si ma confiance en votre générosité m’enhardit à solliciter de nouveau votre clémence en faveur du malheureux Bonello. Voici l’infortunée fille du condamné, que la mort de son père va laisser orpheline et sans appui, au moment où une guerre terrible dévaste le pays. Que Votre Majesté daigne consentir à prêter l’oreille à la clémence, car cette vertu ne sied pas moins aux monarques que la justice.

Pendant que Conrad parlait, Hermengarde tomba à genoux devant l’Empereur. Malgré tous ses efforts, elle ne put prononcer que des paroles entrecoupées:

— Pitié !.... grâce!.... Pour l’amour de Dieu!.... Soyez miséricordieux!

Barberousse restait assis, sombre et taciturne. Son regard calme errait de la suppliante à l’abbé.

— Vous auriez pu vous épargner cette démarche, seigneur abbé, dit-il avec violence. Croyez-vous donc que les pleurs d’une femme obtiendront ce que vos représentations n’ont pu obtenir?

— Je le supposais, Sire. Il est naturel au cœur humain de se laisser toucher par les larmes, les prières et les plaintes de l’innocence. Je n’en attendais pas moins du cœur de Votre Altesse!.....

Les évêques furent effrayés de la hardiesse du langage de l’abbé. Le Lion inclinait la tête. Les sourcils de Barberousse s’épaississaient toujours. Reinald avait observé Henri dès l’apparition d’Hermengarde, afin de voir quel effet produirait sur lui la beauté surprenante de la jeune fille. Mais le rusé diplomate avait eu tort de croire qu’un homme comme Henri-le-Lion se laisserait prendre à un piège aussi grossier. Dassel avait déjà bâti tout un édifice, et il s’était flatté de dompter l’indomptable Lion. Si la supposition du chancelier s’était réalisée, il eût parlé en faveur de Bonello. Mais le courtisan ne vit aucun indice d’approbation sur la physionomie du duc, et il s’abstint de soutenir la cause que plaidait Hermengarde. Celle-ci était toujours agenouillée à la même place, fondant en larmes et se cachant le visage dans ses mains. Puis, elle regardait l’Empereur, s’efforçant de rassembler ses pensées; chaque fois le regard farouche de Barberousse la forçait à baisser les yeux.

— Pitié ! disait-elle, ne faites pas périr mon père; il regrette son crime, grâce....

— Nous sommes fatigué de ces lamentations! dit Barberousse; relevez-la, et qu’elle sorte d’ici!...,

L’évêque Géro se hâta d’accomplir le désir de l’Empereur, qui exposa aux personnes présentes le crime de Bonello.

— Si vous trouvez notre arrêt injuste, parlez, le criminel sera mis en liberté.

— Bonello est une bonne épée, mais il a mal employé sa vaillance, dit Otto. Du reste, je supplie Votre Altesse, pour l’amour de cette pauvre fille, de faire grâce à son père!

— Faites grâce, Sire, dit Henri-le-Lion. Je crains que votre arrêt ne cause la mort de deux personnes!....

Et il désignait la pâle et tremblante Hermengarde.

— Cette fois, nous ne voulons être que juste, dit Barberousse.

— L’arrêt est parfaitement juste, ajouta Werner de Minden. Qui donc mériterait la mort, si l’on épargnait ceux qui sont traîtres envers l’Empereur?

Les deux autres évêques baissèrent la tête en signe d’assentiment; ils approuvaient toujours ce que réclamait le regard de Barberousse.

— Vous le voyez, seigneur abbé, nous ne pouvons faire grâce.....

Il s’arrêta tout à coup...... La vue de la tremblante Hermengarde, qui s’affaissait sur son siége, ne lui permit pas de continuer.

— C’est bien, seigneur Conrad, vous pouvez vous retirer.

Et il fit signe de la main d’éloigner la fille de Bonello.

En cet instant, Erwin s’avança vers le monarque. La douleur de la jeune fille avait profondément ému le jeune homme, et l’on pouvait voir clairement que la dure conduite de son parrain le chagrinait. Le visage en feu, il se plaça devant l’Empereur, s’inclina et dit:

— Pardon, Sire, si j’ose vous rappeler le souvenir de la récente lutte, et la promesse que m’a faite Votre Majesté de m’octroyer une grâce.

— Ah! j’espère que tu n’abuseras pas de ma parole, Erwin?

— En abuser..... Non,, certes. La grâce que je sollicite, Sire, c’est la vie et la liberté de Bonello, le père de cette jeune fille.

Barberousse regarda Erwin d’un air irrité et terrible

— Votre demande est-elle sérieuse, comte?

— On ne peut plus sérieuse, Sire, se hâta de répondre le jeune homme.

— Réfléchis, enfant, à ce que tu demandes, s’écria l’Empereur en courroux. Ne joue pas avec notre parole... elle est sacrée..... mais.....

Et il éleva la main droite d’un air menaçant.

— Si l’égoïsme présidait à ma demande, ce serait faire abus de votre promesse impériale; mais je ne réclame que la vie et la liberté d’un homme dont la protection est nécessaire à cette jeune fille..... En cela, je crois accomplir une œuvre d’humanité, et, peut-être, de chevalerie.

Barberousse se tut. Ses yeux furieux se portèrent sur Erwin, qui se tenait calme devant lui.

— Eh bien! dit-il après un silence, puisque vous vous obstinez dans cette demande que nous ne pou-vous vous refuser, soit! Bonello est libre...... Mais vous, comte Erwin de Rechberg, pour ce mauvais usage que vous faites de notre parole, nous vous retirons notre faveur..... vous êtes banni....

Il n’acheva pas. Erwin, stupéfait, se jeta précipitamment aux pieds de l’Empereur, et, embrassant ses genoux:

— Sire! dit-il, arrêtez! Suspendez, de grâce, ce châtiment..... Ne me bannissez pas.... au moins pas pour le moment; que je puisse rester auprès de vous, qui êtes si souvent menacé de la mort! Ah! laissez-moi veiller sur votre précieuse existence, permettez-moi de vous témoigner toute ma reconnaissance pour l’amour et les soins paternels que vous m’avez manifestés jusqu’ici! N’ai-je pas joué tout jeune sur vos genoux? ne m’avez-vous pas appris à me servir de l’arc, de l’épée et de la lance? n’avez-vous pas été mon second père? Ah! mon cher parrain, ne me bannissez pas, je ne puis vivre sans vous!

Cette requête si naïve d’un cœur qui lui était tout dévoué, produisit une grande impression sur Barberousse. Il n’interrompit point Erwin, ne retira pas sa main qu’il baisait, et se mit à observer la figure du jeune homme. Toute dureté disparut de ses traits, et fit place à la condescendance.

— Relève-toi, dit-il; tu es un fameux flatteur, Erwin! Peut-être aussi un petit coquin? Qu’en peusez-vous, messeigneurs?

Les seigneurs ne remarquèrent pas sans surprise l’attendrissement du souverain, mais il leur fut sincèrement agréable. Le monarque ajouta:

— Mais nous ne devons pas cependant faire preuve de faiblesse, et, à cause de l’intérêt que tu as manifesté pour un coupable, tu seras banni, pendant huit jours, de notre camp. Ce châtiment te permettra de ramener dans ses foyers la jeune personne, pour laquelle tu t’es conduit d’une façon si chevaleresque.

Erwin rougit, s’inclina devant l’Empereur et disparut.

La terreur et l’effroi ne permirent pas d’abord à Hermengarde de comprendre ce qui se passait. Mais quand le jeune homme revint lui annoncer la liberté de Bonello, une joie vive se répandit sur le visage de la jeune fille. Elle se leva rapidement, et voulut se jeter aux pieds de Frédéric pour le remercier. L’Empereur détourna la tête, et s’opposa à toute démonstration de reconnaissance.

— Vous n’avez point à nous remercier, dit-il. Adieu! nous sommes fatigués de cette affaire!

Et il lui fit signe de se retirer. Conrad Rechberg et Hermengarde quittèrent donc la salle.

Barberousse - L'église au XIIe siècle

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