Читать книгу Barberousse - L'église au XIIe siècle - Joseph Eduard Conrad Bischoff - Страница 9
ОглавлениеV. — APRÈS LA VICTOIRE.
Au milieu du champ de bataille se tenait Barberousse, entouré de morts et de mourants. Son manteau, percé de trous, pendait rougi de sang autour de son armure, dont la solidité l’avait protégé contre les armes des Lombards. Néanmoins, il avait reçu dans la lutte une légère contusion. On voyait encore, dans la plaine, des chevaliers donner la chasse aux Milanais fugitifs. Il n’était resté près de l’empereur que quelques Allemands blessés. Frédéric dirigea ses regards sur un Guelfe étendu devant lui, et dont le sang coulait à flots de sa poitrine. Le blessé regardait l’empereur, et son visage indiquait nettement les approches de la mort. Mais même à ce moment, le lombard témoignait de sa haine pour le tyran de son pays. Ses mains ne pouvant plus tenir les armes, il s’efforçait d’exhaler sa haine par de violentes paroles.
— Tyran, disait-il d’une voix entrecoupée, quand cesseras-tu de tuer et d’assassiner? Sacrifie les derniers Lombards à ton orgueil, bois le sang par torrents, nos cœurs le donneront volontiers pour la liberté !..... Mais..... sois maudit!..... toi et toute ta race!.....
Il tomba à la renverse et mourut. L’empereur contempla le cadavre. Les paroles du mourant et sa malédiction avaient ému Barberousse. Otto de Wittelsbach arrivait en ce moment, avec ses hommes et quelques prisonniers. On voyait aussi, dans le lointain, Goswin revenir victorieux.
— J’ai fait épargner ces coquins, sire, dit le comte palatin, afin que quelques-uns, au moins, pussent expier leur trahison par le supplice de la corde.
L’œil de Frédéric s’arrêta sur les prisonniers. Avant même qu’il eut parlé, ses regards avaient indiqué le sort qui leur était réservé. Mais Frédéric se taisait encore; sans doute, il attendait que ces infortunés lui demandassent grâce. Mais comme aucun d’eux n’y semblait décidé, il désigna un arbre du doigt.
— Qu’une corde en finisse avec ces rebelles, dit-il.
L’approche de la mort n’effraya pas les Lombards. Aucun ne demanda grâce. Ne mouraient-ils pas pour le plus grand des biens, pour la patrie et la liberté ? Dans leurs yeux sombres brillaient des éclairs de haine contre Barberousse.
— Comte palatin, jetez-vous avec les vôtres dans la forteresse de Cinola, avant que les Milanais ne puissent s’y fortifier. Nous attendrons ici Goswin, puis, nous vous suivrons avec les blessés.
Wittelsbach monta aussitôt à cheval et partit.
Erwin, sur l’ordre de son souverain, était resté près de lui. L’empereur regarda en souriant cet enfant qui, pour remplir les devoirs de la chevalerie, s’était distingué dans le combat et l’avait si bien protégé avec son bouclier.
— Tu as bien mérité de ton parrain, mon jeune ami, dit l’empereur. Il ne nous est pas permis d’être ingrat. Eprouves-tu quelque désir? Parle, l’empereur ne peut manquer de le satisfaire.
Erwin s’inclina en silence. Mais Goswin arrivait en ce moment, et, avec lui, le chevalier Bonello, le traître gouverneur de Cinola, qu’il ramenait prisonnier.
— Ah! par saint Guy, vous avez joliment travaillé, sire, dit Goswin, regardant les cadavres. J’aurais fini depuis longtemps, mais ce noble chevalier m’a donné forte affaire. Je dois le reconnaître c’est une fameuse lame, mais, hélas! c’est aussi un fameux traître!
Frédéric reçut avec un froid dédain l’ancien gouverneur de son château. Bonello était un homme dans la force de l’âge, petit, mais fortement constitué. Son regard était abattu, mais tranquille. Comme la plupart des nobles de condition inférieure, Guido de Bonello s’était rangé parmi les plus chauds partisans de l’empereur, et, en cela, il agissait plutôt par nécessité que par conviction. Il ne soutint pas le regard pénétrant de Barberousse.
— Etes-vous prêt à mourir de la mort des traîtres? demanda l’empereur.
— Je suis prêt, répondit Guido d’une voix ferme; mais rétractez, je vous prie, cette expression de traître!.....
— Et pourquoi donc?
— Sire, Guido Bonello n’a été traître que le jour où il vous a prêté le serment de fidélité, se soumettant au tyran de sa patrie, oubliant qu’il était Lombard!
— N’avez-vous pas honte de vouloir ainsi colorer votre félonie? dit l’empereur.
— Sire, on s’incline avec obéissance devant le souverain qui, par la force de son glaive, à su assujettir la Lombardie. Mais quand la tyrannie règne au lieu de la loi, quand toutes les libertés sont foulées aux pieds, le pays dévasté, la population rançonnée; quand le pied de fer de l’empereur se pose sur le cou d’une population agenouillée, l’obéissance alors est un crime! Plutôt mourir que de vivre esclaves! S’il faut que l’Italie vous obéisse contre son gré, déplacez-en la population et remplacez-la par des ilotes.
Le monarque, par suite de ses habitudes de justicier, avait laissé à Guido une liberté pleine et entière d’exposer sa défense. Quand il eut fini:
— Voilà bien le Lombard, s’écria-t-il; inventer des faits, dénaturer les autres!..... Vous appelez tyrannie, l’énergie déployée envers des traîtres que j’ai comblés de grâces et d’égards; les tributs légitimes, vous les qualifiez d’exactions!..... Mais qui donc a fait preuve de plus de tyrannie envers les faibles, que vous autres Lombards? Rappelez-vous Côme et Lodi. Quels désordres avant que nos armes n’y eussent rétabli l’ordre! Et ces villes, les alliées de Milan, n’en étaient-elles pas les esclaves? Mais ce n’est pas au souverain à s’excuser devant un traître!..... Le gibet vous attend!....
Sans ostentation comme sans faiblesse, Bonello entendit son arrêt. Les hommes d’armes voulurent se saisir de lui, mais il releva la tête:
— Il existe une coutume antique, observée même chez les païens... Tous les condamnés à mort ont le droit d’adresser une dernière demande, qui leur est accordée.
— C’est bien; de quoi s’agit-il?
— Remettez l’exécution à trois jours.
— Pourquoi ce délai?
Ici Guido changea de ton. Il perdit son assurance, ses lèvres tremblèrent, sa figure exprima un profond chagrin et une larme mouilla ses yeux.
— Allons, dit-il, je n’aurais pas cru à cette faiblesse!..... Les sentiments du père sont plus forts que la volonté du citoyen. Que je puisse encore une fois voir mon enfant, l’unique fruit d’une union fortunée!..... Quand on est si près de la mort, on a des arrangements à prendre.
— N’ayez nulle honte de ces sentiments, dit Barberousse. Ils vous honorent, et votre requête vous est accordée. Goswin, prenez ce prisonnier sous votre garde.
L’empereur s’éloigna; il s’occupa de soigner les blessés et de recueillir les morts. On construisit des civières avec des lances et des branches d’arbres. Accompagné de quelques chevaliers, Barberousse se dirigea vers Cinola. Les autres guerriers l’y rejoignirent bientôt avec les blessés.