Читать книгу Barberousse - L'église au XIIe siècle - Joseph Eduard Conrad Bischoff - Страница 5
ОглавлениеI. — INTRODUCTION.
Vers le milieu du XIIe siècle, Milan avait conquis la prédominance sur presque toutes les cités lombardes. Elle brillait comme une reine dans toute la Haute-Italie. A l’exception de Gênes la superbe, et de Venise la maritime, la plupart des autres villes étaient sous sa dépendance. Lodi, Pavie et quelques autres villes avaient bien essayé de revendiquer leur liberté et leur indépendance, mais le résultat n’avait pas répondu à leur attente. Chaque effort tenté pour les recouvrer ne faisait qu’amener une plus complète sujétion. L’orgueil et le désir de dominer s’accroissaient à Milan à mesure que les autres cités voyaient diminuer leur courage. La plupart supportaient en silence un joug qu’elles n’osaient secouer. Elles préféraient s’y soumettre, avec la perspective d’un traitement amical plutôt que de s’attirer, par la résistance, le châtiment des Milanais, et perdre dans une lutte inégale le reste de leur indépendance.
La Lombardie était, il est vrai, sous la domination de l’empire germanique; mais la souveraineté de l’empereur n’était reconnue qu’en théorie par les Lombards indisciplinés, et quand ils s’y voyaient contraints par la force des armes. Si l’empereur se trouvait en lutte avec l’Eglise ou avec les grands de l’empire, l’esprit de rébellion prenait immédiatement le dessus.
A peine Frédéric Ier de Hohestauffen, que les Italiens désignaient généralement sous le nom de Barberousse, était-il monté sur le trône, qu’un événement remarquable attira son attention sur l’Italie.
Barberousse tint, en 1153, à Kosnitz, une Cour de justice, décidant avec sagesse toutes les causes qui lui étaient soumises. Là parurent soudainement deux hommes, portant comme indice de leur misère une croix de bois sur le dos; ils firent entendre devant le fauteuil de l’empereur de longues doléances contre Milan, dont la tyrannie avait détruit Lodi, leur patrie, après avoir dépouillé les habitants et les avoir expulsés à l’étranger. Ils venaient solliciter l’appui de Frédéric, qui pouvait seul protéger les cités lombardes.
Frédéric manda Schwicker d’Aspermont, un de ses nobles, et lui remit un écrit rempli de menaces et de reproches envers les Milanais. L’envoyé se hâta de se rendre à Milan, pour s’acquitter de son ambassade auprès des consuls et du peuple. Mais ceux-ci eurent à peine connaissance du message, qu’ils le mirent en pièces, le foulèrent aux pieds, et l’envoyé de l’empereur lui-même n’échappa à la mort que par la fuite.
On ne pouvait laisser un pareil crime impuni; à la tête d’une nombreuse armée, Frédéric se dirigea vers Milan, et apparut sans qu’on l’attendît dans les plaines italiques. Les Milanais se hâtèrent de mettre à exécution leurs intentions déloyales envers Côme et Lodi. Puis, ils firent offrir secrètement à l’empereur la somme, énorme pour l’époque, de quatre cents marcs, si Barberousse consentait à leur confirmer la suprématie sur ces deux villes. Cette proposition excita l’indignation et le courroux du souverain.
— Misérables, s’écria-t-il en se tournant vers les envoyés milanais, comment osez-vous proposer à un empereur d’Allemagne d’excuser votre turpitude? Alors même qu’il serait en mon pouvoir de vendre la moitié de l’empire, je préfèrerais réduire votre cité à l’état de bicoque, plutôt que de lui laisser exercer un pouvoir tyrannique sur des villes, qui ont, tout autant qu’elle, des droits à la liberté !
Il leur fallut alors solennellement promettre d’indemniser Lodi et Côme de tous les dommages qui leur avaient été causés. Barberousse ne pouvait faire plus pour le moment. Les alliances de Milan, ses richesses et sa force militaire, ne permettaient pas à la petite armée allemande de soumettre la Lombardie.
Puis ce fut vers Tortone que l’empereur dirigea ses forces. Cette ville alliée de Milan avait ravagé le territoire de Pavie, et commis maintes dévastations. Tortone fut invitée à s’expliquer, mais confiante en ses tours et en ses murs solides, elle refusa orgueilleusement toute explication. Alors Frédéric se dirigea vers cette ville, la prit d’assaut, et la réduisit en cendres.
Cet exemple terrible effraya les Lombards. Les Milanais ignoraient encore ce que leur réservait le jeune souverain. On avait appris à connaître la force et l’énergie de l’empereur, et on pouvait apprécier la nécessité de resserer des liens qui avaient existé jusqu’alors.
A peine l’empereur avait-il traversé les Alpes, et s’était-il fait couronner par le pape, Adrien IV, que les Milanais renouvelèrent leurs exactions contre Lodi. Bien loin de réparer les dommages antérieurs, ou d’avoir égard aux ordres de Frédéric, ils se présentèrent avec une puissante armée devant Lodi, emprisonnèrent ou massacrèrent les habitants, brûlèrent la ville, détruisirent les récoltes et les vignes, et ne se retirèrent qu’après avoir fait de tout le pays une solitude désolée.
Cette fois encore, les habitants de Lodi se rendirent en Allemagne, pour se plaindre à l’empereur.
Barberousse devint furieux. Milan avait méprisé ses menaces, et n’avait même pas tenu compte de la suprématie impériale. Une pareille audace exigeait une répression énergique.
Des rescrits furent adressés à tous les princes spirituels et temporels, pour qu’ils eussent à se joindre à l’armée destinée à opérer en Italie. Dès le mois de Juillet 1158, les escadrons allemands traversaient les Alpes, Milan était assiégée et prise, après une défense héroïque.
Cette fois encore, Frédéric ne mit pas à exécution ses menaces, bien qu’on lui conseillât de faire subir à Milan le sort de Tortone. Peut-être Frédéric voulut-il ménager la ville seigneuriale, peut-être aussi se laissa-t-il aller à écouter la voix de la mansuétude, par l’appât de quelque somme d’argent? Toutefois il courba l’orgueil de la fière cité lombarde. Elle dut renoncer à tous ses droits et priviléges, il lui fallut rebâtir Côme et Lodi; ses droits et péages firent retour à l’empereur; elle eut à payer neuf mille marcs d’argent, et il lui fallut livrer, jusqu’à l’accomplissement de ces conditions et de plusieurs autres, trois cents ôtages pris parmi les principaux de la ville.
L’empereur renvoya alors la majeure partie des Allemands dans leurs foyers, et convoqua les princes, les prélats, les comtes et autres autorités civiles à la Diète. Il devait s’y tenir une réunion complète, pour donner la paix à toute l’Italie, rétablir l’ordre et préciser d’une façon définitive les droits du souverain et ceux des sujets.
Dans l’immense plaine qu’arrose le Pô, s’éleva un puissant et formidable camp, comparable à une cathédrale; au centre se trouvait la tente impériale, et à une distance plus ou moins rapprochée, selon leur rang, les tentes des princes. Des rues en ligne droite séparaient les divers quartiers de cette ville improvisée, et, afin d’éviter les conflits, le campement des Allemands était d’un côté du fleuve, et celui des Italiens du côté opposé. Frédéric y avait appelé les quatre plus célèbres professeurs de droit de l’université de Bologne, et il leur avait adjoint vingt-huit conseillers des diverses villes lombardes, pour rechercher l’origine des lois et leurs traditions.
Du haut de son trône, Frédéric ouvrit la réunion par un discours solennel.
— Appelé au pouvoir par la grâce de Dieu, dit-il, il nous est donné de relever le courage des gens de bien, de maintenir et de corriger les méchants. Après la dernière guerre que nous venons de terminer si heureusement, les affaires de la paix réclament toute notre attention, car il nous paraît juste et convenable de protéger par nos armes le pays que nous gouvernons par nos lois. Mais avant qu’il soit rien écrit ou décidé, concernant mon droit ou le vôtre, il faut établir ce qui est juste, convenable, nécessaire, utile, selon la localité ou l’époque, car une fois les lois données ou écrites, on ne les discutera plus, on les appliquera.
Les Italiens furent surpris de l’habileté du jeune prince. Son adresse et sa politique attirèrent l’admiration, car il devenait évident pour eux qu’avec un pareil souverain, l’obéissance seule serait avantageuse.
Pendant que les légistes de Bologne, s’appuyant sur le vieux droit romain, accordaient à Frédéric les priviléges de l’antique empire romain, les Lombards remarquèrent dans les décisions un arbitraire étrange, qui ruinait toutes leurs libertés. Ainsi, telle décision d’après laquelle tous les droits et péages de fleuves, de ports, de ponts faisaient retour aux coffres de l’empereur, tous les droits de mouture, de pêche, de salines, celui de battre monnaie, qui jusqu’alors appartenaient aux ducs, aux comtes ou aux villes libres, furent atribués à l’empereur.
Barberousse avait anéanti la vie propre, organique des cités lombardes. Aussi longtemps que Frédéric resta dans la Haute-Italie, ou s’abstint de donner le moindre signe de mécontentement. Mais à peine se fut-il dirigé, vers Rome que la fomentation s’accrut, et que çà et là la révolte éclata. L’empereur envoya à Milan, pour calmer les troubles, Otto de Wittelsbach, le chancelier Reinald et le chevalier Goswin. Le peuple, furieux, s’assembla devant la demeure des envoyés impériaux, repoussa leurs chevaux, et ce ne fut qu’à grand peine qu’ils parvinrent à échapper à la mort.
Ce fait inattendu attira sur Milan l’attention de tous les nobles rassemblés près de l’empereur. La cité indisciplinée se vit vouée au pillage, à la destruction, et les habitants à l’esclavage.
Au lieu de décourager les Milanais, cette énergique démonstration les engagea à déployer toute leur puissance. On préférait mourir avec éclat, que de porter d’ignobles entraves. La lutte s’engagea sur le champ. Barberousse célébrait les fêtes de Pâques à Bologne; les Milanais s’emparèrent du trésor impérial, sommes énormes que Frédéric avait recueillies dans diverses parties de l’Italie, et qu’il y avait déposées. Puis, ils brûlèrent le château, et pendirent tous les Lombards qui s’y trouvaient, comme traîtres à la patrie.
L’empereur arrivait avec sa petite armée, mais il était trop tard. Les Milanais se réfugièrent derrière les murailles de leur ville, et purent voir Frédéric, dans son courroux, ravager tout le pays d’alentour. Il ne put rien entreprendre contre Milan, par suite du manque de troupes et d’artillerie de siége. A peine eût-il laissé le pays libre, que les Milanais reprirent l’offensive, et se dédommagèrent de la dévastation de leurs domaines, sur les alliés de Frédéric. Unis aux Brescians, ils s’emparèrent de Lodi et de Crémone. Ils essayèrent même, à plusieurs reprises, d’attenter à la vie de l’empereur. En plusieurs occasions, ils tombèrent sur les Impériaux, en tuèrent quelques-uns, et en firent d’autres prisonniers. Barberousse ne pouvait répondre avec succès à ces actes d’hostilité. Son armée se composait principalement d’Italiens. Crémone soulevée fut à la vérité prise et brûlée, mais ces représailles n’amenèrent aucun résultat.
Ces luttes acharnées et les désastres qui en résultaient pour tous les partis, réduisirent la Lombardie presque à l’état de désert. Les champs ravagés ne produisaient plus lien. La terre ne pouvant plus nourir ses habitants, l’étranger souffraient aussi de la famine. Barberousse rassembla donc ses princes et ses chevaliers, les remercia officiellement pour la fidélité dont ils avaient fait preuve, en récompensa un grand nombre et engagea les Allemands à rentrer dans leurs foyers, leur promettant de revenir avant un an avec des forces innombrables, pour reprendre les hostilités en Italie.