Читать книгу Barberousse - L'église au XIIe siècle - Joseph Eduard Conrad Bischoff - Страница 8
ОглавлениеIV. — LA BATAILLE.
— Mauvaises nouvelles! sire, s’écria le comte palatin. Cinola, votre puissante forteresse sur l’Adda, est prise!
Barberousse se leva subitement, et regarda le comte avec stupéfaction. Un éclair de menace traversa son regard.
— Cinola! Quand..... par qui a-t-elle été prise?
— Aujourd’hui, et par les Milanais. Mais voici quelqu’un qui pourra donner quelques détails à votre Majesté.
Et il montra un guerrier, qui s’était jusque-là tenu dans l’éloignement.
— Ah! c’est toi, Géro, dit Frédéric, dont la mémoire extraordinaire se rappelait les noms des personnes qu’il n’avait vu qu’une fois. Voyons, parle, j’ai hâte de t’entendre.....
— Ce que j’ai à vous dire, seigneur, est de nature à accroître le plus violent chagrin. Ce matin, Cinola a été remise aux Milanais.....
— Remise?..... demanda Frédéric avec colère.
— Oui, sire, remise par le guelfe, le lâche, le fourbe Bonello, auquel vous aviez confié le commandement du château.....
Le visage de Barberousse prit une expression terrible à voir.
— Quelles sont les forces des Milanais? dit-il.
— Environ trois cents hommes.
— Ont-ils brûlé ou pillé le château?
— Je l’ignore sire. Dès que je vis flotter la bannière des Guelfes sur la tour, je me hâtai de partir. S’ils veulent piller le fort et le brûler, il leur faudra quelque temps, ils préféreront sans doute vider la cave.
— Combien d’Allemands y avait-il avec toi dans le château.
— Trois et une moitié, car l’un d’eux n’a plus qu’une jambe. Les malheureux me font mal à voir; il y va pour eux de la vie.
— Messires, dit l’empereur aux chevaliers qui s’étaient groupés autour de lui, ne perdons pas un instant courons venger cet outrage.
Tous se regardèrent avec stupéfaction; l’audacieux Otto lui-même secoua la tête.
— Les Guelfes nous sont trop supérieurs en nombre, sire, répondit-il.
— Depuis quand le comte Otto compte-t-il ses ennemis? demanda Barberousse.
— Mais, fit observer Reinald, que la résolution de Frédéric inquiétait, ne serait-il pas plus prudent d’attendre l’arrivée des troupes allemandes.
— Non; le châtiment doit suivre de près le crime. Comment! sous nos propres yeux, des traîtres ourdiraient leurs intrigues, et nous attendrions pour les châtier!... Ce serait afficher hautement notre impuissance.
— Savoir se plier aux circonstances n’est pas de la faiblesse, mais de la sagesse, fit observer Reinald. L’empereur ne doit pas exposer sa personne. Pardonnez à ma franchise, sire, mais vous ne devez pas donner à vos ennemis la joie de vous voir périr.
— Sachez, monsieur le chancelier, reprit l’empereur avec décision, que c’est en la bravant que nous évitons la mort sur le champ de l’honneur! Plutôt mourir, que de supporter un pareil outrage!
— Eh bien! que le Ciel vous soit en aide! dit Reinald avec un profond abattement. Trois cents contre quatre-vingts... C’est impardonnable.
— Soit, monsieur le chancelier; mais que peuvent trois cents traîtres contre quatre-vingts gentilhommes allemands, combattant pour la gloire de leur nom et l’honneur de leur souverain? Quand je n’aurais autour de moi que dix loyaux chevaliers, je saurais faire voir à tout l’univers que le courage et la valeur ne sont pas de vains mots en Allemagne! Allons, messieurs, aux armes!
— Aux armes! vive l’empereur! s’écrièrent les chevaliers, enflammés par l’exemple de Barberousse.
— Votre état pacifique rend votre présence inutile à cette sanglante œuvre de justice, dit l’empereur, en se tournant vers Reinald, et il vous serait peu commode de nous attendre ici... Mettez-vous donc en route, et pressez l’arrivée des princes.
— Que Dieu nous aide! dit Reinald, comprenant que Frédéric voulait lui faire éviter le danger. Je saurai mourir avec vous!...
— Votre fidélité, ami Reinald, n’a pas besoin de cette action d’éclat pour me devenir précieuse. D’ailleurs je ne suis pas encore décidé à descendre dans la tombe!... Mais cessons ce débat... Allez au-devant des princes, saluez-les en mon nom, et dirigez leur marche vers Milan.
Reinald suivit de l’œil, avec inquiétude, l’empereur dont la haute stature se voyait à travers les crevasses des murailles, tandis que son pas retentissait sous les voûtes de l’église en ruines. Les sons aigus du cor avaient réuni les chevaliers, qui étaient montés à cheval. Sans se servir des étriers, Frédéric s’élança sur son coursier tout bardé de fer. Bientôt la petite troupe disparut dans la direction du Sud-Ouest.
— Le voilà qui s’élance peut-être à la mort, se dit Reinald en regardant l’empereur qui s’éloignait. Son orgueil lui fait mépriser le danger!... Je sais qu’il peut se fier à la force de son bras, mais il ne faudrait qu’une malheureuse circonstance pour paralyser ses moyens de défense. Pendant que je vais courir au devant des princes; peut-être les Milanais se réjouiront-ils sur son cadavre, et Rome, relevant son front abaissé, fera crouler l’édifice construit avec tant d’efforts!...
Le chancelier tressaillit en s’entendant appeler.
— Si cela vous est agréable, seigneur comte, nous allons partir, dit le guerrier, que Barberousse avait chargé d’accompagner le chancelier.
— Tu n’aurais pas dû diminuer la petite escorte. Ta lance eût été aujourd’hui plus utile que jamais à l’empereur.
— Oh! je ne crains rien, reprit le guerrier. Les Guelfes ne sauraient résister au comte Otto et à ses braves compagnons. D’ailleurs, Barberousse est à leur tête!... Jamais je n’ai vu ses yeux lancer tant de flammes, que lorsqu’il m’a dit de vous accompagner.
Reinald suivit le guerrier et monta à cheval. Ils se dirigèrent vers le nord, marchant le plus vite possible.
Pendant ce temps, Barberousse et ses chevaliers s’avançaient dans la plaine. La plupart des guerriers étaient sérieux et leur visage portait l’empreinte du souci. Le silence n’était troublé que par le bruit du sabot des chevaux et le cliquetis des armes. L’empereur étudiait le pays qui s’étendait devant lui. Dans l’éloignement, on voyait de sombres masses qui s’évanouissait à chaque instant. Bientôt l’éclat des lances et des casques vint frapper leurs regards, et l’on entendit même d’une façon distincte le bruit d’une troupe en marche. Tandis que Barberousse, dans le doute, se tenait immobile, le comte Otto s’approcha de lui.
— Je crois connaître qu’elle est cette troupe qui s’avance. Quand nous avons quitté les ruines du cloître, j’ai vu plusieurs cavaliers sur une hauteur; ils se dirigeaient vers Milan. C’étaient sans doute des espions, qui se hâtent d’informer de notre approche les braves de Cinola.
— Géro, dit l’empereur, tu es moins lourdement armé... Cours en avant, examine la force de cette troupe, vois s’il y a de l’infanterie derrière ces cavaliers, et si des lances ne se trouvent pas postées dans le bois pour nous prendre par derrière.
Le guerrier partit au galop et disparut. Frédéric permit à tous de mettre pied à terre, pour se préparer à la lutte. Aussitôt les gourdes passèrent de main en main, et leur contenu ne contribua pas peu à augmenter le courage.
Barberousse ne prit rien, mais il se rendit compte, autant que possible, de l’état du terrain. Aucune élévation, aucune rivière, aucun marais n’échappa à son œil observateur. A droite, se trouvait un petit bois, qui pouvait servir à l’ennemi pour cacher ses plans d’attaque. Comme l’endroit où se trouvait sa petite escorte était légèrement élevé, Frédéric résolut d’y attendre l’ennemi, afin de rendre moins violente et moins irrésistible l’attaque des cavaliers.
Géro arriva bientôt, suivi au loin de plusieurs cavaliers ennemis, venus en éclaireurs.
— Les Guelfes s’avancent en trois corps, dit Géro. Dans le centre est l’infanterie, forte d’environ deux cents lances... Les ailes sont beaucoup plus faibles... Je n’ai rien pu distinguer dans le bois...
— Les Milanais sont sûrs de la victoire, dit en riant le chevalier Goswin, un rude homme de guerre Ils se disent: cinq Lombards peuvent bien venir à bout d’un Allemand, à quoi bon la tactique militaire? Eh bien! à Lodi, mon glaive en a assommé une vingtaine sans s’émousser. Je veux voir aujourd’hui combien de Lombards il faut exterminer pour ébrécher une bonne lame allemande.
— Oui, ajouta Frédéric en riant, et c’est pour cela que les braves gens vous appellent le «Mangeur de Lombards.» Vous voyez, maître Goswin, que votre bonne chance vous fournit aujourd’hui un choix assez nombreux pour calmer votre appétit. Mais, à l’œuvre, messires!... L’ennemi ne nous laissera pas longtemps le choix de l’attaque, il faut lui donner de l’occupation.
Il divisa ses hommes, confia l’aîle droite au comte Otto, l’aîle gauche à Goswin, et se réserva le commandement du centre. Dès le début, les Guelfes s’attachèrent à tuer les chevaux, afin de démonter les chevaliers, qui. à pied et revêtus de leurs lourdes armures, devaient tomber entre leurs mains. Barberousse comprit le danger.
Les Milanais avancèrent environ d’une centaine de pas, puis s’arrêtèrent. Contrairement au calme et au silence des Allemands, ils faisaient grand bruit, chantaient, agitaient leurs armes, comme pour faire voir qu’ils étaient sûrs de sortir vainqueurs de la lutte.
Les fidèles guerriers de l’empereur attendaient le premier choc. Barberousse s’avança sur le front de la petite troupe:
— Vaillants amis, leur dit-il, ayez confiance en votre cause!..... Vous tirez l’épée contre la trahison et la révolte! ayez foi en l’aide de Dieu, c’est lui qui châtie le parjure! Confiez-vous dans la force de vos bras habitués à vaincre!.... Faites-voir aussi que vous êtes dignes de porter le nom allemand! Que saint Michel, le patron de notre patrie, soit notre cri de ralliement! Allons, en avant, et haut la bannière!
— Saint Michel! Saint Michel! tel fut le cri qui retentit dans les rangs.
Les clairons sonnèrent et les cavaliers s’élancèrent sur l’ennemi. Les Milanais poussaient des cris sauvages. Leur cavalerie s’élançait contre l’ennemi, tandis que leur infanterie, en bataillons compactes, attendait l’attaque de Barberousse et de ses chevaliers. Un épouvantable fracas mêlé au cliquetis des armes, indiqua bientôt que les ennemis en venaient aux mains. Barberousse se distinguait à la tête des siens. De plus en plus ardent, Frédéric avait percé de part en partie chef des Milanais. Puis, le glaive au poing, il se précipita sur l’ennemi, faisant dans ses rangs de larges trouées.
Bientôt, chaque chevalier eut étendu d’un coup de lance, son adversaire dans la poussière. Les rangs de l’infanterie furent rompus, et plus d’un fantassin roula sous les pieds des chevaux. Aussitôt régna une immense confusion. Les Milanais cherchaient à traverser les rangs des chevaliers, et tombaient victimes de leur témérité. L’empereur fut bientôt au plus vif de la mêlée. Entouré de tous côtés par l’ennemi, le héros ne voulut pas reculer. L’espoir de délivrer la patrie enflammait le courage des Milanais, ils ne s’effrayèrent point de voir les plus braves et les plus courageux tomber sous l’épée de Barberousse. Au cri sauvage de: Mort au tyran! ils environnèrent l’empereur, et commencèrent à attaquer son cheval, comme s’ils eussent voulu miner les fondations d’une citadelle inexpugnable. Tout à coup, le coursier fit un écart, et tomba inanimé. Une lance venait de lui percer le flanc. A demi-couché sous sa monture, Frédéric se trouvait sans défense, en butte aux coups des Milanais. Dans leur rage aveugle, ils s’élançaient sur lui, sans songer que son armure le protégeait.
Un cri de triomphe révéla aux Allemands le malheur qui les menaçaient. Erwin parvint à traverser les rangs lombards, et les contraignit à tourner leurs armes contre lui. Les autres chevaliers arrivèrent bientôt. Erwin, renversé de son cheval, tint son bouclier au-dessus de la tête de l’empereur. Tout à coup, l’on entendit le cri de ralliement..... C’était Otto, fondant sur l’ennemi à la tète de ses braves. La lutte était terminée. L’infanterie milanaise fut dissipée ou anéantie.