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XXV

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Le lendemain nous assistons aux solennelles cérémonies de Pâques.

L’église resplendit de toutes ses richesses.

Les chandeliers d’argent, libres de leurs housses, brillent sur l’autel entre les roses trémières en papier.

On allume tous les flambeaux, dont les plus grands, détachés de la muraille où ils sont d’habitude accrochés (à quoi croire désormais?), me dévoilent leur supercherie de faux flambeaux creux, en fer-blanc peint, où l’on introduit de petites chandelles. Des flammes piquent des étoiles sur le tableau du maître autel (la Résurrection) et font trembler sous leurs ondes vacillantes les abominables soldats juifs qui gardent le tombeau. Au-dessus, la douce Pieta s’adoucit encore sous de fumeux nuages.

Je suis au banc des marguilliers contre le gros pilier, près du chœur.

Les chants commencent traînards et glapissants; je les écoute machinalement, plongé dans mes rêves. Mes regards errent sur l’assemblée, que je domine de ma place, plus élevée d’une ou deux marches. Lorsqu’ils rencontrent une tête connue, ma pensée s’y fixe un instant. D’abord, c’est la terrible Mlle Rosalie, l’œil dur, qui fait semblant de lire son missel, mais en réalité surveille sa petite troupe. Oh! je me tiens bien sage! Elle a beau m’épier de sa froide prunelle en coulisse, elle n’aura rien à raconter à mon oncle.

Derrière les poussins de Mlle Rosalie, c’est l’école des filles plus grandes. Mes rêves s’égarent souvent de ce côté. Je suis sûr de la revoir, là, au premier rang! Qui? Elle! Celle que j’appelle dans le secret de mon cœur, ma petite bueresse (laveuse), parce qu’elle ressemble à une de nos laveuses. Je l’aime et je n’ose demander son nom à personne. Elle est toute rose et prie comme un ange.

Plus loin des vieilles femmes marmottent leurs oremus; et, sous le portail, se perdant un peu dans l’ombre, des hommes couleur de brique, où des crânes chauves, tout blancs, brillent comme de la porcelaine. Là, Bénési prie avec de pieuses grimaces. Je me laisse doucement engourdir par les chants, qui vont toujours bercés par le mol ophicléide. Au fausset gras, à la basse nasillarde, aux cris étranglés du trio des chantres, se mêlent, par instant, détonnant toujours, les notes sèches et saccadées de M. le curé, voix de trombone. Mes oreilles sont faites à ce charivari.

M. le curé, maigre et long, le nez et le menton saillants, les cheveux noirs ondulés, a revêtu sa brillante chappe d’or.

Par instants il se retourne brusquement, poussant des chut irrités aux gamins du banc de communion.

Le curé ! nous en avons tous peur. Parfois sa face se crispe singulièrement. Lorsqu’il lit le prône, il jette es sons inarticulés. L’autre jour pourtant il a été aimable: j’étais allé à confesse aux raisins; c’est notre confession à nous, petits enfants. J’avais apporté au confessionnal un panier plein d’oignons pour M. le curé qui, après avoir écouté mes péchés, m’avait remis le Paquet de raisins secs d’usage.

Marraine avait choisi les plus beaux oignons et il m’avait paru bien content.

Mais on dit que le diable le tourmente parfois. Ainsi, l’autre semaine, quel effroi dans le village! On allait, on venait dans la rue, on se demandait s’il était toujours là ? On retournait voir: Oui, il était toujours là, debout à l’autel, roide et la tête agitée de contorsions; et il tenait haut l’hostie consacrée; et il ne pouvait pas la portera sa bouche! De grosses gouttes de sueur roulaient sur sa face crispée. Et cela dura trois heures, le temps d’aller à Carvin chercher le doyen, qui chassa le maléfice...

Des trois chantres, deux sont remarquables et aussi différents que leurs voix.

Celui qui chante en fausset est vieux, laid et décharné. Il ne chante qu’aux grands jours, car c’est un Personnage...

Il porte une sorte de perruque de chiendent. Sa peau est moussue comme une vieille pelure d’arbre, avec deux ou trois emplâtres noires au hasard des clous. Ses sourcils, en accent circonflexe, sont très loin des yeux dont les paupières se découpent dans l’ombre de leur trou: nez retroussé, loin aussi de la bouche sans lèvres, menton long, cravate blanche, lunettes et boucles d’oreilles en or, grand col, gilet jaune à raies brunes, grande redingote grise à tout petits boutons.

Je tremble tant il devient violet, lorsque, entre deux accès de toux, il module, en se rengorgeant plein d’orgueil, son trémolo gras de petit enfant.

L’autre, celui dont le nez psalmodie la basse, est le chantre attitré.

Lorsque plus tard mon oncle achètera le Béranger illustré, nous serons très surpris d’y trouver son portrait absolument exact. Dans un trait de génie, Grandville l’avait deviné : cela fait honneur à tous les deux.

C’était une face carrée, plus large à sa base, front très bas, cheveux gras, ondulés, sourcils droits touchant presque les yeux fort petits et bleus d’azur dans la carnation rouge; gros nez, bouche immense et lippue, ne pouvant se fermer complètement et faisant saillie en bourrelets retroussés; grosse tête, dans les épaules, portée par un buste rentré, voûté, un creux à la place du ventre, tout cela se balançant sur des jambes cagneuses, où bâille le pantalon, et que terminent des pieds en dedans, difformes, et qui fauchent en marchant.

Il est aussi prétentieux que l’autre, mais plus plaisant. Il n’a jamais dit oui ni non, il est de ceux qui répondent: «On le dit, vous le dites, on a vu cela, et quand cela serait, mais encore...»

En qualité d’ivrogne il consomme beaucoup de genièvre, et, dans les nombreux cabarets où il ne fait que passer, il n’a jamais demandé un petit verre, il dit: «Il me manque quelque chose..., j’ai un sou qui me gêne..., puisque j’ai encore un sou!...» Et l’on comprend, et il arrive à vider son litre sans compromettre sa langue.

Un jour qu’il était tombé dans le chœur, ivre à ne pouvoir se relever, il répondit à son curé, qui le tançait vertement: «Donnez-moi la main, vous parlerez après!» En punition de ce scandale, il lui fut défendu, durant deux ou trois mois, de mettre son surplis.

Tel est l’homme qui pousse au lutrin des sons traînards, où le nez seul prend part.

Ces chants sont si monotones et l’ophicléide qui les accompagne prolonge des plaintes si endormantes, que j’ai peine à tenir mes paupières ouvertes.

Et puis cette messe se fait si longue... Je m’ennuie comme ce moineau prisonnier qui va se heurter aux fenêtres et tantôt se pose sur les statuettes qui sortent du mur et font cul-de-lampe sous les arches du plafond. Ces statuettes n’ont plus de tête; les méchants (à ce que me dit ma grand’mère) la leur ont coupée à la Révolution. Le vieux charpentier P... en était; aussi m’inspire-t-il le même effroi que ces Juifs qui frappent Jésus.

La fadeur de l’encens m’assoupit de plus en plus, et je me mets à rêvasser en contemplant, à travers mes cils, ma petite bueresse, si sage, et qui prie si simplement le bon Dieu.

La vie d'un artiste : Art et nature

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