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Les idées, dans le cerveau de l’enfant, naissent sous la forme d’images. Avant d’être penseur l’homme est voyant. La vision! Je ne sais pourquoi cette faculté merveilleuse, au lieu de se développer, va s’atrophiant à mesure que grandit la puissance de la pensée. Ceci éteint cela, et c’est dommage.

Rien de plus adorablement exquis que cette puissance créatrice qui, sous les paupières fermées, évoque et déroule, hors de la réalité diurne, tant de formes charmantes et étranges, impalpables et pourtant évidentes et comme éclairées par une lumière surnaturelle.

Comme j’aspirais au moment où, niché dans mon lit bien chaud, la lampe éteinte, j’allais assister au spectacle quotidien!

D’abord, des lueurs pâles, crépusculaires, mêlées à des ombres brunes et flottantes, s’agitaient devant mes yeux clos, dans les remous d’un informe chaos, ébauche de création où bientôt scintillaient des points clairs comme des étoiles. Et puis les formes naissaient, s’aggloméraient, se massaient, se dessinaient, se transformaient, absolument involontaires, amenant toutes sortes de surprises.

Les tableaux se succédaient, charmants, bizarres, insensés ou horribles, suivant les dispositions de mon humeur.

Je les regardais tous curieusement, voluptueusement et sans peur.

Parfois je voyais de grandes plaines couleur de sang, très sombres, où de hideux serpents rampaient, roides comme des pieux, dans un mouvement saccadé correspondant au bruit battant de mes artères. Et voici que cela s’éclairait, s’illuminait, s’emplissait de rayons; les serpents s’allongeaient en guirlandes de fleurs; des oiseaux fabuleux passaient et repassaient; des moulins tournaient sur le ciel et le tout s’envolait dans un essor vertigineux, où je me sentais entraîné avec mon lit, ébloui, enivré ! Oh! que cela était beau!

Ce paysage s’effaçait et voici que la mer se montrait à mes yeux comme on me l’avait décrite, semblable a une immense toile s’enroulant et se déroulant, et je me sentais pris dans ses plis, emporté, délicieusement bercé. Puis c’était le ciel, rien que le ciel avec de magnifiques nuages d’or sur lesquels marchaient saint Nicolas, sainte Catherine, la Vierge et le petit Jésus et où passaient des tournoiements joyeux d’anges aux ailes bleues.

D’autres fois je voyais des intérieurs pleins d’ombre et d’ustensiles bizarres comme dans notre grenier, de vastes cuisines avec de grands feux où le diable tournait la broche.

Ou bien ma chambre s’emplissait de fusées multicolores avec des tourbillonnements que j’ai revus plus tard, aux feux d’artifice.

Par instant, je voyais des jouets vivants marcher tout seuls, processionnellement; des tambours, des polichinelles, des flûtes de Pan, des trompettes et aussi des choses plus naturelles, la véritable procession avec M. le curé, les chantres, Mlle Rosalie, Bénési... Un jour, ° douceur! ma mère surgit brusquement et m’étreignit dans ses bras...

Et tous ces tableaux m’apparaissaient spontanément, positivement vus par les yeux intérieurs et non comme ces vagues images qui hanteront plus tard notre cerveau, images si lentes à prendre la forme définitive dont nous les revêtirons.

Je crois que beaucoup d’enfants possèdent ce don de double vue. Mes frères et moi, nous nous racontions ces visions et parfois, d’une chambre à l’autre, au moment où elles se produisaient.

La vie d'un artiste : Art et nature

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